Dans l’emphase d’une réalité


Par Soumia Mejtia
Lundi 27 Avril 2020

Le ciel du printemps est toujours joyeux des vols et des cris des oiseaux. Ces derniers libérés des humidités des deux saisons précédentes, réveillés au bon souffle printanier, cérémonieux dans ce ciel harmonieux, gonflés des fragrances  des arbres et rassasiés pleinement, embrasaient les airs de leur vol continu. L’un d’eux  me chantait tout à l’heure, en narguant fièrementles miettes de pain déposées tout en sautillant sur ces deux pattes en même temps. J’étais subjuguée devant ce merle noir  qui faisait vibrer librement son bec jaune en piétinant la pitance. Je me disais, les oiseaux n’ont plus besoin de nos miettes, ils ont ce ciel libre, beaucoup plus libre actuellement. J’étais dans ce ressenti de rejet total de la part de cet oiseau qui n’a pas eu peur de ma présence, qui a refusé mon pain. Puis, je me mettais à rire de moi en me disant : connais-tu cet oiseau ?As-tu une idée sur son régime alimentaire ? Je persistais à attendre l’oiseau picorant mon pain, il continuait de voler si haut que j’ai pu le voir caresser le toit bleu de ses ailes, puis disparaissant, mon regard restait niais devant ce point noir, qui auparavant me remplissait de joie. J’étais certes dans une joie, mais austère, j’étais dans l’émerveillement mais pas jusqu’au bout, j’étais dans l’effleurement du beau, et c’était suffisamment senti.
J’avais écrit dans mon précédent papier qu’il fallait vivre le monde présent avec nos sens. Assurément, car nous serons amenés à ré- habiter le monde à la manière sensorielle qui ne sera pas dans sa reconquête, car nous le perdrons à nouveau, mais les choses se feront sans façon, sans délire, sans bataille, nous serons dans la tendresse du monde qu’il nous faut sentir et intérioriser. Il nous faudra donc tout ressentir, tout regarder, tout écouter, tout entendre … toucher le monde dans son mystère et garder le monde à notre hauteur humaine sans chercher à l’agrandir avec nos loupes télescopiques ?
 Serait-ce là une approche limitée ?
Il convient de dire qu’il n’est pas question d’approche, ou de prise de mesure, nous serons encore dans le symbolisme qui ne nous fait pas sentir les choses du monde à la réalité du monde. Nous serons dans l’apriorique et cela nous mènera encore à vouloir dominer, statuer, promulguer, faire valoir, codifier… et nous serons toujours dans ce supplice : l’impression de domination et nous voudrons matérialiser cette impression dans la paume de notre main. Hélas, nous aurons encore fait des bonds rapides sans avoir exploré le monde de bout en bout, cela crée la voracité, l’avidité, tout ce qui tend à la démesure et nous ne sommes pas plus grands que le monde, il nous dévorera le premier.
Et qu’arrivera-t-il si nous sommes dans l’à peu-prêt ? Si nous quittions nos télescopes, nos agrandisseurs, nos grandes machines … ?
Il arrivera que nos mains porteront ce qu’elles peuvent transporter, que nos regards ne s’éloigneront pas trop du beau, que notre ouïe fera surgir de nous des expansions infinies du monde, que notre toucher sentira la volupté dissimilée …
Nous  pourrons alors être dans la mémoire de notre génération si nous arrivons à restaurer notre appareil humain.
Nous avons voulu nous sentir géants avec toutes nos inventions, mais tout est question de ressenti : nous sommes dans chaque situation amenés à éprouver une sensation. Notre corps n’est pas derrière nous, il est notre projection de tout ce qui se présente à nous. Si le monde d’aujourd’hui nous parait étranger, ou est dans une disposition contradictoire  avec tout ce que nous avions appris sur lui et non de lui, c’est que nous avions perdu cette délicieuse manière de le connaître : le connaitre sensuellement avec beaucoup d’amour.
Il a eu le discours écologique puis la politique écologiste, mais la dispute des richesses était plus grande que le discours et la politique l’a emporté.
Il a eu des hommes qui, pour eux, nul ne se fait sans mesure et il a eu à côté d’eux, beaucoup d’autres hommes qui ont surchargé la mesure. Au final, les premiers ont cru se réjouir de l’aboutissant mais ils se sont trouvés dans l’amalgame entre le début et la fin.
Cela fait remonter un souvenir, je me rappelle d’une personne qui venait chez nous, j’étais enfant et je la voyais à travers les paradigmes déjà dessinés. Pour moi, elle venait chez nous pour nous aider car elle était dans le besoin. Au fil du temps, j’ai compris qu’elle appartenait à cette catégorie de gens qui aimait la vie dans la mesure : elle parlait peu, riait sans s’esclaffer, mangeait peu… sa présence n’occupait  que le lieu dans lequel elle se tenait, discrète, je ne l’entendais jamais venir, elle venait juste. Je la voyais heureuse, ne demandant jamais plus, ne se plaignant de rien. Je ne comprenais pas ce nouveau paradigme, à chaque fois qu’elle arrivait, je la regardais, elle était toujours elle-même : heureuse d’un bonheur calme. A présent, je la revois, elle n’avait aucune appétence, rien qui dépassait dans ses mots, dans son corps, dans ses gestes, tout en elle était enfouie en elle, tout en étant présente à nous. Je sais qu’elle était dans l’amour du monde, elle sentait les choses de la vie et était riche de ses sensations. Chez nous, on appelle ceci le contentement, je sais que son contentement progressait infiniment en elle, de son rapport sensible avec le monde.
Il y  a toujours eu ce genre de personne, rien qu’avec eux, dans leur minorité, le monde peut se rétablir dans un juste équilibre.
Est-ce suffisant ?
Je ne saurai pas penser autrement, car j’ai envie de croire en cette minorité, j’ai envie d’avoir ce rapport délicat avec le monde, de garder le contact avec mon corps dans ses plus grands exploits : sentir sans chercher à définir ou à conceptualiser.
Et cela s’explique en les écoutant parler : elles racontent le monde et l’on croirait qu’elles parlent d’un autre, un autre que nous ne connaissons pas. Pourtant, c’est bien le même et le seul. L’on croirait aussi à une sagesse inatteignable, toutefois, ces personnes de mesure ont plus de présence au monde et si vous leur demandez comment cela est-il possible ? Elles répondront :
« La réponse ne peut émaner que de nous.»


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