Covid-19 aussi têtu que tenace


Mehdi Ouassat
Mercredi 15 Septembre 2021

Variants plus contagieux, vaccins moins efficaces… L’immunité collective semble de plus en plus difficile à atteindre

C’ est le fil rouge de cette pandémie, l'objectif à atteindre. Décrocher l’immunité collective afin de tirer un trait sur le Covid. Longtemps montrée comme la lumière au bout du tunnel pandémique, l'immunité de groupe a pris du plomb dans l'aile quand les vaccins se sont avérés moins efficaces qu'espérés à éviter l'infection. S’agit-il aujourd’hui d’un mirage, une course sans ligne d’arrivée ? Faut-il tirer un trait sur cet objectif présenté depuis plusieurs mois par les épidémiologistes comme une porte de sortie qui nous rapprocherait de la fin de l’épidémie ?
Alors que la plupart des pays se sont lancés depuis le début de l’année dans une course à la vaccination pour espérer atteindre une protection de leur population permettant de relâcher les mesures de restriction des libertés ou les gestes barrières, une phrase venue de Londres a semé la confusion. «Avec ce variant [Delta], nous sommes dans une situation où l’immunité collective n’est pas possible à atteindre, car il infecte toujours les individus vaccinés», a expliqué, Andrew Pollard, directeur de l’Oxford Vaccine Group, qui a développé le vaccin d’AstraZeneca avec le groupe pharmaceutique anglo-suédois.
Le directeur de l'OMS en Europe, Pr. Hans Kluge s'est montré plus pessimiste sur la capacité d'un taux élevé de vaccination à stopper à lui seul la pandémie de Covid-19, du fait des variants qui ont réduit la perspective d'une immunité collective. Avec une probabilité accrue que la maladie demeure de façon endémique sans être éradiquée, le professeur a appelé lors d'une conférence de presse à «anticiper pour adapter nos stratégies de vaccination», notamment sur la question des doses supplémentaires.
En mai, le responsable sanitaire onusien avait affirmé que «la pandémie sera(it) achevée lorsque nous aurons atteint une couverture vaccinale minimale de 70%» de la population mondiale. Interrogé sur le fait de savoir si cet objectif valait toujours ou s'il devait être relevé, M. Kluge a souligné que les nouveaux variants plus contagieux, principalement Delta, avaient changé la donne.
A l'époque, même si le variant détecté initialement en Inde sévissait déjà, «il n'y avait pas une telle émergence des variants plus transmissible et plus viraux», a-t-il fait valoir. «Donc je crois que cela nous amène au point où l'objectif essentiel de la vaccination est avant tout d'empêcher les formes graves de la maladie et la mortalité», a souligné professeur Kluge. «Si on considère que le Covid va continuer à muter et rester avec nous, comme la grippe, alors nous devons anticiper comment adapter progressivement notre stratégie de vaccination à la transmission endémique, et acquérir un savoir très précieux sur l'impact des doses supplémentaires», a-t-il ajouté.
Selon des épidémiologistes, il semble désormais illusoire d'atteindre l'immunité collective uniquement grâce aux vaccins, mais ceux-ci restent tout de même cruciaux pour circonscrire la pandémie de Covid-19. Un niveau très élevé de vaccination reste aussi indispensable «pour réduire la pression sur nos systèmes de santé qui ont désespérément besoin de traiter les autres maladies que le Covid», a affirmé Hans Kluge.

Le rôle initial des vaccins ne suscite quasiment aucun débat au sein de la communauté scientifique
En effet, depuis quelques mois, les données s'accumulent pour témoigner d'une moindre efficacité des vaccins face aux différents variants du SARS-CoV-2, nettement plus contagieux. Des vaccinés ont, en proportion non négligeable, été infectés par le virus, même s'ils restent très bien protégés contre les formes graves. Pour autant, l'Académie de médecine, l'instance censée porter le discours de la discipline en France, appelle à ne pas renoncer à cette immunité collective et à ne pas négliger de vacciner le plus de monde possible. Car une nuance de taille est souvent mal comprise. L'immunité collective ne revient pas à faire disparaître complètement le virus. L'objectif, c'est que le nombre de contaminations reste stable au fil du temps ou, du moins, ne connaisse que des fluctuations régulières au fil des saisons. Et c'est la vaccination du plus grand nombre qui permet d'accélérer cette évolution vers un profil d'infection banale à recrudescence saisonnière, selon l'Académie. Pour cela, le rôle initial des vaccins ne fait quasiment aucun débat au sein de la communauté scientifique.

Nette amélioration de la situation sanitaire
La pression a continué de diminuer depuis la semaine dernière dans les hôpitaux marocains, dont le CHU Ibn Rochd de Casablanca qui compte moins de 25 patients atteints de Covid en service de réanimation contre plus de 45 il y a quelques jours, selon les chiffres avancés par un médecin casablancais contacté par Libé qui souligne une évolution favorable des tendances. «À l'échelle nationale, le taux d'incidence a beaucoup dimunié, tout comme le taux de positivité des tests virologiques et le taux de reproduction du virus», explique notre source. Et de préciser : «on note que le taux de positivité est passé sous la barre des 10% lundi. 917 nouveaux cas ont été détectés sur 9962 tests réalisés. 4451 nouvelles guérisons ont été annoncées, faisant passer le nombre de cas actifs à 29.840 (contre 33.446 personnes la veille) et le taux de rémission de 95,2%. 72 nouveaux décès ont été déplorés, portant le cumul à 13.618 décès et le taux de létalité reste stable à 1,5%».
En ce qui concerne les services de réanimation sur le plan national, 1770 personnes y sont hospitalisées. 156 nouveaux cas sévères ou critiques ont été admis sur les dernières 24h. Au total, 66 sous intubation et 851 sous ventilation non invasive. Le taux d’occupation des lits de réanimation baisse à 33,7 %.
Concernant l’immunité collective, notre interlocuteur explique qu’avec «le variant actuel, nous sommes dans une situation où l’immunité collective n’est pas une possibilité, car il infecte des gens vaccinés». Il insiste tout de même sur le fait que les vaccins restent indispensables, tout en rappelant que dans les milieux à risques, même les gens vaccinés doivent garder le masque, tant qu’il y aura de la transmission. «En science, c’est normal de revoir nos hypothèses. C’est frustrant pour la population, dit-il, car on a beaucoup vendu la vaccination et l’immunité de groupe comme étant la solution unique». «Ceci dit, ajoute Dr H.Z, les personnes entièrement vaccinées ont 11 fois moins de chances de mourir du Covid et 10 fois moins de chances d'être hospitalisées depuis que le contagieux variant Delta est devenu la souche principale du virus».
Il est enfin à rappeler que le président du comité scientifique et technique chargé de la stratégie de vaccination anti-Covid, Pr Moulay Tahar Alaoui a évoqué, dans une déclaration accordée à notre alter ego Al Ittihad Al Ichtiraki, la possibilité d’élargir la vaccination aux 3-11 ans. Il a dans ce sens expliqué qu’il est sérieusement envisagé de franchir cette étape, notamment après avoir achevé l’opération de vaccination au profit des enfants de la tranche d’âge 12-17 ans. 
 

L’ administration de Pfizer élargie aux adultes

Une décision à même d’augmenter le taux de couverture vaccinale

Lundi après-midi, dans un centre de vaccination à Casablanca, le lancement de l’administration des vaccins Pfizer aux adultes a donné lieu à des scènes inédites et quelques couacs. Dans ce petit centre culturel situé dans un quartier populaire, transformé en centre de vaccination depuis le lancement de la campagne, l’arrivée des doses Pfizer a été suivie, à quelques heures d’intervalle, par le débarquement de dizaines de personnes dont l’apparence tranchait avec la modestie du quartier. Tirés à quatre épingles, des hommes et des femmes, souvent accompagnés de jeunes âgés de 18 ans et plus, ont investi les lieux, attirés par le vaccin Pfizer, comme les abeilles sont attirées par le miel. Les téléphones ont certainement dû chauffer plus tôt dans la journée. Ces personnes ont clairement été prévenues puisque la plupart d’entre elles sont entrées et sorties en coup de vent après avoir été piquées, sans pour autant passer par la case : salle d’attente. Un dysfonctionnement qui n’est pas passé inaperçu, tant les reproches et les réclamations ont fusé. D’après nos informations, les médecins sont à l’origine de ces passe-droits exaspérants. Mais qu’à cela ne tienne, à la fin de la journée, l’objectif a été atteint. Et finalement, c’est le plus important. Car le sérum de Pfizer n’a pas uniquement fait remonter à la surface certaines mauvaises habitudes de notre société, il a également convaincu les plus sceptiques d’entre nous. Il sera d’ailleurs intéressant de comparer le taux de vaccination, qui était de 45% à la date du 10 septembre, et son évolution depuis la possibilité qu’ont désormais les adultes de se faire vacciner avec le vaccin américain à ARN messager. Un taux de couverture vaccinale relativement bas, en comparaison avec l’objectif fixé depuis le 28 janvier dernier, qui est de vacciner 80% de la population marocaine estimée à 36,3 millions de personnes, soit environ 29 millions de marocains. Les habitants de la région de Casablanca ne sont pas étrangers à cet état de fait. A la différence de Beni Mellal-Khénifra, région en tête du classement en termes de taux de couverture de vaccination, avec 46% de la population globale de la région totalement vaccinée (2 doses), la région de Casablanca-Settat occupe une incompréhensible quatrième place dans ce classement. Certes, la population de la région est beaucoup plus importante qu’ailleurs, mais les moyens utilisés et les centres de vaccination mis en place sont tout autant à la hauteur et dépassent largement les moyens mis en place ailleurs dans le Royaume. Au vrai, on peut mettre ce constat sur le compte des réticences de certaines personnes à se faire piquer avec une seringue contenant les vaccins Sinopharm ou AstraZeneca, sans citer le vaccin de Johnson & Johnson qui serait réservé aux campagnes de vaccination dans les entreprises. Une réticence principalement alimentée par le manque d’efficacité de ces vaccins (79%), mais aussi par le variant Delta, contracté par plusieurs hommes et femmes vaccinés par Sinopharm et AstraZeneca. En tout cas, le sérum de Pfizer a enclenché une dynamique que l’on espère vertueuse et durable. Car le rythme de la campagne de vaccination ne plaide pas pour une reprise de la vie normale avant début 2022. Qui plus est lorsque l’ombre d’une troisième dose en guise de rappel se fait de plus en plus pressante, à cause d’une réponse immunitaire des vaccins qui faiblit mois après mois. D’ailleurs, en parlant de Pfizer, son immunité faiblit au bout de 6 mois, jusqu’à descendre en dessous du seuil d’efficacité minimum instauré par l’Organisation mondiale de la santé. Comme quoi, rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Chady Chaabi

La 3ème dose de rappel, sujet à discorde

Le monde scientifique ne sortira certainement pas grandi de la crise sanitaire actuelle. A coup de contradictions, souvent dans un laps de temps assez court, les chercheurs ont perdu un peu de leur crédibilité. Dernier exemple en date, la 3ème dose du vaccin anti-Covid-19, dite de rappel. Alors que certains pays comme la France, Israël ou encore les Etats-Unis ont d’ores et déjà commencé à vacciner une troisième fois leurs citoyennes et citoyens les plus fragiles, d’autres nations sont en passe d’instaurer cette mesure. Comme en témoigne le Maroc où le Comité scientifique a validé et préconisé l’injection d’une 3e dose du vaccin à titre de rappel. Sauf que voilà, un groupe international de scientifiques a estimé qu’une troisième dose de rappel n’était pas nécessaire pour la population générale à ce stade de la pandémie, suite à l’analyse des données d'essais randomisés contrôlés et d'études d'observation publiées sur la vaccination dans les derniers mois dans les principales revues scientifiques. Concrètement, ces chercheurs prouvent que “les vaccins restent très efficaces contre les formes graves de la maladie, et même celles provoquées par les principaux variants du virus'', assurent les chercheurs dans un communiqué publié dans la revue The Lancet. La publication en question fait état d’une efficacité des deux doses qui peut atteindre 80% contre l’ensemble des infections dues aux variants Delta et Alpha, mais aussi à 95% contre les formes graves de la Covid-19. Par ailleurs, les scientifiques précités expliquent que l'efficacité de la vaccination est plus grande contre les formes graves de la maladie que contre les formes plus bénignes, quel que soit le type de vaccin utilisé ou le variant du nouveau coronavirus impliqué. A la lumière de l’ensemble de ces éléments, il reste tout de même difficile de trancher sur la nécessité d’une troisième dose de rappel. D’autant qu’elle aura pour effet néfaste de renforcer les inégalités en matière vaccinale. A coup de communiqués, l’Organisation mondiale de la santé dénonce la ruée des pays riches vers une troisième dose de vaccin contre la Covid-19, tout en affirmant qu’une troisième dose de vaccin n'est pas nécessaire pour l'instant. “D'un point de vue moral et éthique, il n'est également pas bon que les pays riches injectent la troisième dose quand le reste du monde attend sa première injection", a regretté Soumya Swaminathan, la scientifique en chef de l'OMS. "Il y a suffisamment de vaccins dans le monde mais ils ne vont pas aux bons endroits, dans le bon ordre", a de son côté déclaré le conseiller du directeur général de l'OMS, Bruce Aylward.
C.C


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