Contrôle politique et autonomie des organismes publics


Par Mohamed Anwar El Hazziti
Samedi 21 Septembre 2019

Le contrôle politique de l'administration publique est parmi les préoccupations majeures des managers publics et des chercheurs. Globalement, les effets d’une pratique bureaucratique rigide et non adaptable aux changements sociaux et technologiques ont conduit les Etats à initier plusieurs tentatives de réformes. Ainsi, la mise en œuvre de politiques publiques néolibérales dans le secteur public, à savoir les privatisations, la libéralisation et la nouvelle gestion publique, a renforcé l’orientation vers une bureaucratie résiliente et plus réactive. Des Etats ont séparé les ministères des institutions d’exécution «agencification» et ont créé des organisations hautement spécialisées en leur conférant une grande autonomie administrative et financière. Cependant, la création d'organes autonomes et spécialisés a réduit l'influence du contrôle politique et a multiplié les problèmes de coordination et de convergence au sein du secteur public. Aujourd'hui, il faut dire que les expériences de réformes des administrations publiques, surtout dans les économies libérales, offrent une représentation fragmentée et variée : le secteur public est composé par une multitude d'organisations aux conceptions différentes, créées par différents instruments juridiques et avec des régimes financiers et budgétaires différents. La question du contrôle politique de ces organisations publiques est devenue encore plus importante qu’avant.
En outre, parmi les facteurs qui ont secoué les relations traditionnelles entre le politique et l’exécutif dans la bureaucratie wébérienne, on citera la nouvelle culture organisationnelle de ces nouvelles institutions. Dans le processus de construction des modes de l’autonomie bureaucratique, le rôle de la culture organisationnelle est déterminant. Si l’autonomie bureaucratique formelle représente les capacités éventuelles d’un organisme, sa culture représente son caractère. Dans cette culture, on assiste aussi à un renforcement de la cohésion, la coordination et l’engagement du personnel de ces nouvelles institutions, ce qui leur procure un sentiment d’appartenance à une communauté partageant un objectif et une mission communs.
Une autre problématique est apparue dans la pratique de la gestion des affaires publiques. Il s’agit du principe de la délégation de pouvoirs entre les détenteurs de la légitimité politique (ministères de tutelle) et l’exécutif (administration). Classiquement, le problème de la délégation de pouvoirs fait référence à l'incertitude des acteurs politiques quant à la manière dont les administrations exécuteront les décisions politiques. En raison de l’asymétrie de l’information entre les politiciens (mandataires) et les bureaucrates (délégués), la mise en œuvre des politiques peut aboutir à des résultats autres que ceux prévus. Les politiciens sont confrontés à la question de savoir quels pouvoirs discrétionnaires devraient être transférés aux bureaucrates et comment la mise en œuvre des politiques publiques peut être contrôlée.
Dès les années 1980, une grande mouvance a été constatée quant à l’exécution des politiques publiques qui a été transférée de la bureaucratie gouvernementale à divers organes exécutifs indépendants ou aux niveaux inférieurs territoriaux (collectivités) dans le cadre de la décentralisation et de la déconcentration administrative. Ainsi, on a assisté au Maroc, par exemple, au transfert de compétences aux collectivités territoriales, à la création d’agences et d’institutions autonomes, et d’une orientation vers le transfert des pouvoirs des administrations centrales vers des composantes déconcentrées, et ce dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de la décentralisation.
La question qui reste litigieuse est que la montée en puissance des nouvelles institutions, surtout dans le cadre des organismes autonomes, a étendu et intensifié le problème de la délégation des pouvoirs. La nature autonome ou semi-autonome des nouvelles institutions de l’exécutif implique qu'elles peuvent décider de manière indépendante de la façon dont elles opèrent en ce qui concerne la gestion interne ainsi que la mise en œuvre effective des politiques publiques, ce qui pourrait amplifier le risque de la dérive « bureaucratique » par rapport au politique. En outre, de nouveaux organismes publics sont indépendants du gouvernement, ce qui réduit les possibilités de contrôle (direct) et de responsabilité par le biais de dispositifs de contrôle standard. Enfin, la création de ces nouveaux acteurs publics a introduit une cascade de responsabilisations nouvelles : les électeurs élisent les politiciens pour agir en leur nom, les politiciens délèguent aux bureaucrates la mise en œuvre de leurs décisions et ces derniers les délèguent à leur tour aux fonctionnaires. Cette cascade étend le problème initial de la délégation, car la mise en œuvre des politiques publiques se fait en dehors de la bureaucratie du gouvernement central.
En conclusion, le dilemme de la question du contrôle politique des institutions d’exécution restera toujours posé. L’observation du cas marocain par exemple montre que la relation entre les concepts clés d’autonomie et de contrôle était plus complexe et moins simple qu’on ne le pensait. D’abord, le niveau d'autonomie formelle n'est pas un indicateur simple du niveau d'autonomie réelle ou de facto. Ensuite, les organisations officiellement éloignées de la supervision directe des acteurs politiques ne signalent pas toujours des niveaux d'autonomie inférieurs à ceux des organisations situées à proximité des dirigeants politiques.


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