Consolidation de la transparence, l’intégrité et l’inclusivité des élections

Vers un objectif tant caressé pour une nouvelle gouvernance électorale


Hassan Bentaleb
Vendredi 14 Novembre 2025

Ambitions et limites d’une réforme

Consolidation de la transparence, l’intégrité et l’inclusivité des élections
« Renforcer la crédibilité du processus électoral, moraliser la vie publique et moderniser les outils de gouvernance démocratique », telle est l’ambition des projets de lois électorales présentés par le ministre de l’Intérieur devant la Commission parlementaire du ministère de l’Intérieur à l’approche des élections de 2026.

Pour le département de l’Intérieur, ces projets s’inscrivent dans la continuité d’un mouvement entamé depuis 2011 visant à consolider l’Etat de droit tout en maintenant une stabilité institutionnelle jugée essentielle. Décryptage.
 
Une réforme qui vise la confiance et la stabilité
 
L’objectif affiché est de consolider la transparence, l’intégrité et l’inclusivité des élections à venir. Ces propositions sont présentées comme un acte de confiance dans la maturité démocratique du pays et dans sa capacité à organiser des scrutins crédibles.
Elles traduisent aussi la volonté de préserver la cohérence du système institutionnel marocain, dans lequel le ministère de l’Intérieur conserve un rôle central dans l’organisation électorale.

Si cette continuité peut être interprétée comme un gage de stabilité, certains observateurs soulignent qu’elle limite la décentralisation effective du processus électoral, les autorités locales et les partis restant dépendants d’une administration fortement centralisée.
 
Moralisation de la vie publique et intégrité électorale
 
Le renforcement des règles d’éligibilité constitue un axe majeur de la réforme. Les nouvelles dispositions visent à exclure du jeu électoral toute personne condamnée pour des faits portant atteinte à la probité, et à durcir les sanctions contre la fraude, la corruption et la désinformation numérique.

Ces mesures participent d’un effort réel de moralisation du champ politique et de protection de l’intégrité du vote. Elles s’inscrivent dans une logique de prévention et de dissuasion, même si leur efficacité dépendra largement de la mise en œuvre concrète et uniforme de ces dispositions. Notamment dans un contexte où la confiance dans la justice électorale reste fragile. L’enjeu principal demeure donc  celui de l’application impartiale et équitable des règles.
 
Inclusion des femmes et des jeunes : entre ambition et réalisme
 
La réforme accorde une place importante à la représentation des femmes et des jeunes, avec des mécanismes incitatifs et des quotas révisés. L’objectif est d’assurer une participation plus équilibrée et de diversifier les profils politiques.

Le soutien public prévu – pouvant atteindre jusqu’à 75% des dépenses électorales – constitue un levier encourageant pour l’accès de ces catégories à la compétition électorale.
Cependant, la portée réelle de ces mesures dépendra de la volonté interne des partis politiques à renouveler leurs pratiques de sélection.
En l’absence d’une réforme profonde de la vie partisane, ces dispositifs risquent de rester limités à une représentation formelle, sans véritable impact sur le renouvellement des élites politiques.
 
Numérisation et modernisation des procédures électorales
 
L’un des volets les plus innovants du projet concerne la digitalisation du processus électoral : dépôt électronique des candidatures, transparence du financement, inscription en ligne des électeurs et vote par procuration pour les Marocains résidant à l’étranger.
Ces initiatives répondent à un double objectif : simplifier les démarches administratives et accroître la traçabilité des opérations électorales.

Toutefois, la mise en œuvre de ces outils suppose des garanties solides en matière de sécurité numérique, d’équité d’accès et de protection des données personnelles.
Le Maroc, confronté à des inégalités territoriales d’accès à Internet, devra veiller à ce que la digitalisation n’exclue pas certains électeurs, notamment dans les zones rurales ou marginalisées.
 
Transparence financière et responsabilité politique
 
L’obligation de dépôt numérique des comptes de campagne et le contrôle par le Conseil supérieur des comptes constituent des avancées notables en matière de redevabilité démocratique.
L’objectif est de prévenir les financements occultes, de garantir la traçabilité des dépenses et de responsabiliser les candidats.

Cette exigence de transparence s’inscrit dans une évolution plus large vers une gestion éthique des fonds publics, mais elle suppose une réelle capacité de contrôle et des mécanismes de sanction efficaces.
En pratique, la transparence financière restera tributaire de la volonté des institutions de faire respecter les règles, ainsi que de la capacité des partis à se conformer à des exigences comptables plus strictes.
 
Réforme du cadre des partis politiques : vers une gouvernance interne renforcée
 
Les nouvelles dispositions imposant un minimum de 2.000 membres issus de toutes les régions, avec une représentation obligatoire des femmes et des jeunes, visent à renforcer la légitimité et la représentativité territoriale des partis.
Cette approche répond à la nécessité de revitaliser la vie politique et d’assurer une meilleure couverture nationale des formations.

Cependant, cette exigence pourrait représenter un obstacle pour les petites formations et renforcer la domination des grands partis déjà structurés. La volonté de moraliser et d’encadrer le champ partisan doit donc s’accompagner d’un effort d’équité pour préserver la diversité politique et éviter une concentration du pouvoir politique entre quelques acteurs majeurs.
 
Financement public et équilibre du système partisan
 
Le nouveau modèle de financement prévoit une répartition proportionnelle aux résultats électoraux et à la représentativité des catégories sociales (jeunes, femmes, diaspora, etc.).
Ce principe vise à récompenser la performance électorale tout en encourageant la diversité.
Toutefois, il pourrait accentuer les écarts entre partis dominants et formations émergentes, en consolidant les ressources des premiers.

La question de l’autonomie financière des partis reste donc cruciale : trop de dépendance à l’aide publique pourrait limiter leur indépendance programmatique et renforcer leur alignement sur les priorités institutionnelles.
 
Révision des listes électorales et fiabilisation du corps électoral
 
La modernisation du registre électoral, incluant l’inscription en ligne et la radiation automatique des personnes décédées, constitue un progrès administratif important.
Elle renforce la crédibilité du corps électoral et réduit les risques d’erreurs ou de doublons.
La supervision judiciaire prévue est également un gage d’équilibre institutionnel.
Cependant, la transparence du processus de mise à jour et la possibilité d’un contrôle citoyen ou indépendant demeurent des conditions essentielles pour renforcer la confiance publique, encore fragile, envers les institutions électorales.
 
Une réforme entre ouverture et continuité
 
Globalement, cette réforme électorale cherche à concilier modernisation technique, moralisation politique et stabilité institutionnelle. Elle marque une avancée sur plusieurs plans – transparence, représentativité, intégrité – tout en confirmant la centralité de l’Etat dans la régulation du champ électoral.

L’approche marocaine semble ainsi privilégier une démocratie d’équilibre, fondée sur la gradualité et la maîtrise du changement plutôt que sur la rupture.
Cette stratégie présente l’avantage de la stabilité, mais elle pose aussi la question du rythme et de la profondeur de la démocratisation, dans un contexte où la demande sociale de participation et de transparence s’intensifie.

En somme, les réformes électorales proposées traduisent une volonté réelle de modernisation et un souci de rendre les institutions plus transparentes et inclusives. Elles s’inscrivent dans une démarche de continuité, avec des avancées notables sur les plans technique et éthique.
Cependant, leur impact politique dépendra largement de la qualité de leur application, de la capacité des partis à se réformer, et du degré de confiance que les citoyens accorderont au processus.

Le Maroc se trouve ainsi à un moment charnière : celui où la modernisation du cadre électoral doit se doubler d’une ouverture démocratique plus tangible, pour que la réforme des règles se traduise par une évolution réelle de la pratique politique.

Hassan Bentaleb


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