Charif Al Idrissi, le géographe et le botaniste


Libé
Lundi 13 Juin 2016

Al Idrissi, Al-Idrisi  ou encore Charif Al Idrissi, de son nom complet Abu Abdallah Muhammad Ibn Muhammad Ibn Abdallah Ibn Idriss al-Qurtubi al-Hassani, connu aussi sous le nom latin de Dreses et dit l’Arabe de Nubie, est un géographe et botaniste, né peut-être à Sebta, vers 1100. Il a grandi à Cordoue sous l’empire Almoravide, et serait mort vers 1165 ou 1175 en Sicile ou à Sebta.
Il doit sa renommée à la rédaction d’un ouvrage de géographie descriptive intitulé Kitâb Nuzhat al Mushtâq : «Livre de divertissement pour celui qui désire parcourir le monde» ou Kitâb Rudjâr - Le «Livre de Roger». Rédigé à la demande de Roger II, roi normand de Sicile, ce livre illustre et commente un grand planisphère en argent construit par al-Idrisi.

Origine

Il semble avoir étudié à Cordoue, alors une des plus grandes villes du monde et la capitale du califat des Omeyyades. Sa famille provenait certainement de Malaga, dominée par la dynastie des Driss. Il aurait voyagé au Maghreb, en péninsule Ibérique, et peut-être même en Asie mineure, rapportant de ses voyages des notes sur la géographie et la flore des régions visitées. On connaît mal les circonstances de sa venue en Sicile où il arrive en 1138. Le roi normand Roger II de Sicile l’aurait appelé à sa cour à Palerme pour y réaliser un grand planisphère en argent et surtout pour écrire le commentaire géographique correspondant, le «Livre du divertissement de celui qui désire parcourir le monde». Ce travail lui prendra 16 années de sa vie. On perd sa trace en 1158. Il est mort en 1165, probablement à Sebta. Le peu de renseignements sur ce savant du Moyen Âge provient peut-être, d’après l’historien Francisco Pons-Boigues, du fait que les biographes arabes ont considéré Al Idrissi comme un renégat, au service d’un roi chrétien. 

Le géographe

Les sources principales d’Al-Idrisi proviennent de deux géographes de l’ère pré-islamique: Orose, un voyageur espagnol dont l’«Histoire», écrite au Ve siècle, comprend un volume de géographie descriptive, et Ptolémée, le plus grand des géographes classiques, dont la «Géographie», écrite au IIe siècle, était alors complètement perdue en Europe, mais avait été préservée dans le monde musulman tant dans sa version grecque que dans une traduction arabe réalisée pour le calife abasside Al-Ma’mūn au début du IXe siècle. Al-Idrisi pourrait aussi avoir subi l’influence de son compatriote, l’astronome hispano-musulman Azarchel, qui a corrigé les données géographiques de Ptolémée concernant la région ouest de la Méditerranée.
Lorsqu’il arrive à Palerme en 1138, Roger II de Sicile lui demande de réaliser un planisphère et un commentaire associé. L’ouvrage qui en résulte s’intitule Livre du divertissement de celui qui désire découvrir le monde (Kitāb nuzhat al-mushtāq fī ikhtirāq al-āfāq). Communément connu sous l’appellation de Livre de Roger, il est l’un des meilleurs ouvrages de cartographie médiévale. À la suite de Ptolémée, Al-Idrisi divise le monde en sept «climats» ou régions, allant de l’est à l’ouest, tout en orientant sa carte avec le sud au sommet. Le monde connu s’étend des Îles Canaries à la Corée et de l’Afrique équatoriale à la Scandinavie et à la Sibérie. Innovant par rapport à Ptolémée, Al-Idrisi subdivise chaque «climat» en dix sections, ce qui découpe le monde en une grille de soixante-dix rectangles. Chaque section est représentée par une carte et ensuite décrite de façon détaillée. Cette description résolument encyclopédique comprend aussi bien la géographie physique que les activités humaines. L’auteur décrit en détail la Sicile, l’Italie, sa patrie l’Espagne, l’Europe du Nord et l’Afrique, ainsi que Byzance. Sa connaissance du Niger, du Soudan et du Nil est remarquable pour son époque.
L’ouvrage a bénéficié de la situation particulière du royaume normand de Sicile au XIIe siècle et du syncrétisme entre civilisations byzantine, latine et arabe qui le caractérisait. Pour réaliser cet ouvrage majeur de géographie médiévale, Al Idrissi s’est appuyé sur la Géographie du Grec Ptolémée, l’ouvrage en latin du chrétien Orose et ceux venant de la tradition islamique, notamment Ibn Khordadbeh et Ibn Hawqal, réalisant ainsi une synthèse originale. Il s’est aussi appuyé sur ses propres voyages et sur les observations qu’il obtenait d’autres voyageurs, mettant à profit la situation de la Sicile à un point stratégique de la Méditerranée et interrogeant les équipages des navires touchant les ports du royaume sicilien.
La première version de l’ouvrage a été réalisée en 1154, peu avant la mort de Roger II. Seuls en ont subsisté dix copies manuscrites, dont la plus ancienne date de 1300 et la plus récente de la fin du XVIe siècle. Un des manuscrits les mieux préservés, contenant une carte circulaire du monde, se trouve à la Bodleian Library. 
Un abrégé, publié pour la première fois en arabe à Rome en 1592, a été traduit en latin sous le titre de Geographia Nubiensis, par Gabriel Sionite, Paris, 1619. Pierre Amédée Jaubert, interprète militaire, en retrouva en 1829 un manuscrit complet à la Bibliothèque nationale de France et en publia la traduction en français, Paris, 1837-1839, 2 volumes in-4, avec notes. C’est la seule traduction complète du Livre de Roger : elle est considérée comme peu fiable en raison des manuscrits de seconde main qu’elle utilise. Une nouvelle édition ne corrige que partiellement ces erreurs.
Plus tard, Al Idrissi a mis au point une autre encyclopédie géographique, plus complète encore, que l’auteur a intitulée Rawd-Unnas wa-Nuzhat al-Nafs (Plaisir des hommes et joie de l’âme), livre également connu comme Kitab al-Mamalik wa al-Masalik (Livre des royaumes et des routes).
Al-Idrisi a soutenu la théorie de la sphéricité de la Terre. Bien que ses cartes aient la forme d’un disque, il a expliqué que le disque symbolisait uniquement la manière du monde : « La terre est ronde comme une sphère, et l’eau s’y tient et y reste par le biais de l’équilibre naturel qui ne subit pas de changement ». Il estime la circonférence de la Terre à 37 000 km. 

Le botaniste

En matière de plantes médicinales, son Kitab al-Jami-li-Sifat Ashtat al-Nabatat (Livre rassemblant les descriptions fragmentaires des plantes) témoigne de ses connaissances approfondies en botanique. Il a étudié et a examiné la littérature disponible en son temps sur les plantes médicinales et a fait progresser les connaissances en la matière depuis les Grecs anciens, mettant à l’usage des médecins un grand nombre de nouvelles plantes médicinales avec leur évaluation médicale. Il a donné les noms de ces plantes dans six langues : syriaque, grec, persan, hindi, latin et berbère.
Outre la botanique et la géographie, Al Idrissi a aussi écrit sur la faune, et la zoologie.


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