Ce que dit Marguerite Yourcenar de la mort


Libé
Vendredi 9 Juin 2023

Ce que dit Marguerite Yourcenar de la mort
Rédigé en 1951 et publié à la maison d’édition française Librairie Plon en 1958, pour la première édition, Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar est d’abord, comme le titre l’indique, des mémoires, c’est-à-dire un récit écrit par un personnage connu et important dans l’histoire: l’empereur Hadrien. Yourcenar a écrit ce roman historique dans le but d’apporter des précisions sur le personnage d’Hadrien, sur son époque et son histoire.

Le livre prend la forme d’une lettre destinée à Marc Aurèle, le nouveau successeur ; c’est surtout une longue lettre qui retrace la vie et la mort d’Hadrien racontées par l’empereur lui-même. Donc, il s’agit d’un personnage qui fait son récit, qui en est l’acteur principal. Or, à vrai dire, ce n’est pas la vie d’Hadrien qui compte beaucoup dans ce livre, mais plutôt sa mort. En fait, c’est la maladie de l’empereur qui déclenche le récit. Le fait est que, dès qu’Hadrien s’avise que sa fin est imminente, ses méditations au sujet de la mort prennent naissance. Et c’est sa méditation sur la mort qui est justement à l’origine de ses mémoires. Il s’agira d’expliquer ici comment Hadrien conçoit la mort et quel est le sens qu’il en donne.

La mort chez Hadrien désigne la fin d’un corps, laquelle est due à la fatigue causée par l’âge et la maladie. Il est donc question de la mort physique, et la méditation de la mort résulte de la maladie du corps disposé à la finitude, au renoncement.

Il est par ailleurs certes vrai qu’Hadrien devrait être un tyran, un violent guerrier, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’il était sensible à la mort de ses amis, ainsi qu’en témoigne à juste titre son deuil, entre autres, dont est responsable la mort d’Antinoüs.

Dans Mémoires d’Hadrien, la mort se manifeste ainsi donc dans la maladie et la guerre tout comme elle apparaît à travers le suicide et le sacrifice («la mort violente»). Etant témoin de ces différentes formes de la mort, Hadrien finit par élaborer une philosophie qui consiste à la considérer comme l’accomplissement d’une vie.

En effet, il construira une nouvelle conception de la mort après avoir été tenté lui-même par le suicide. (L’empereur exigera effectivement du jeune médecin Iollas de «dispenser à un malade une drogue nocive», s’y refusant, Iollas se trouve obligé de se sacrifier pour sauver la vie de son maître: sauver la vie de son maître était une forme de noblesse à l’époque). Après le suicide du jeune médecin, Hadrien, aussi paradoxal que cela puisse paraître, décidera de ne pas se suicider à son tour et renoncera définitivement à «brusquer sa mort». Mieux encore, bien que se sentant faible, bien qu’étant convaincu que sa mort est proche et certaine, Hadrien n’a  pas peur de la mort, et du même coup, il ne se laisse pas duper par la consolation trompeuse de son médecin expérimenté: «Ne t’y trompe pas: je ne suis pas encore assez faible pour céder aux imaginations de la peur, presque aussi absurdes que celles de l’espérance, et assurément beaucoup plus pénibles ».

Dès lors, Hadrien apprend que le suicide est une lâcheté: «J’ai compris que le suicide paraîtrait au petit groupe d’amis dévoués qui m’entourent une marque d’indifférence, d’ingratitude peut-être ; je ne veux pas laisser à leur amitié cette image grinçante d’un supplicié incapable de supporter une torture de plus ». Hadrien est donc convaincu de sa lâcheté et de sa faiblesse du moment qu’il pense au suicide, c’est pourquoi, pour ne pas se soumettre à sa lâcheté devant ses amis dévoués, il décide de ne plus se montrer poltron, autrement dit, il devient fort. Par conséquent, ne pas se suicider lui fera comprendre finalement le fait d’accepter l’agonie dans la mesure où celle-ci fait également partie de la vie; c’est-à-dire que l’agonie est une expérience qu’il faudra vivre : «Je ne refuse plus cette agonie faite pour moi». Donc: «Tout reste à faire», dit-il. Hadrien se laisse vivre sa mort comme étant que celle-ci devient pour lui quelque chose qui complète sa vie. Tout comme il a bénéficié de la vie, il doit aussi bénéficier de la mort, d’où la clausule suivante: «Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts…». Il s’agit de mourir tout en étant conscient de sa mort. Comme il fallait vivre sa vie, il fallait aussi vivre sa mort par l’agonie. Ce n’est qu’ainsi que la mort peut être l’accomplissement d’une vie. C’est de cette façon qu’Hadrien finira par faire de la mort une amie à ne pas craindre. L’illustre bien son magnifique poème: «Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fût ton hôte, tu vas descendre dans ces lieux pâles, durs et nus, où tu devras renoncer aux jeux d’autrefois». Hadrien renoncera au monde, certes, mais «entre amis» !

Par Najib Allioui 
 


Lu 1044 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services