Carlos Ghosn, la chute d'un patron taillé par et pour la mondialisation

Il a toujours défendu ses revenus élevés comme la contrepartie méritée de ses performances


Mercredi 26 Décembre 2018

Toujours entre deux avions, jonglant avec les langues et les passeports, mariant Renault et Nissan, conjuguant Brésil et Liban, avant que son univers ne se réduise brutalement aux dimensions d'une cellule de prison: Carlos Ghosn, empereur déchu de l'automobile, est l'incarnation du patron taillé par et pour la mondialisation.
Un coup de théâtre de plus dans un scénario de disgrâce comme le cinéma oserait à peine l'inventer: le fondateur de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, qu'il a hissée au rang de premier groupe automobile mondial, a fait vendredi l'objet d'un troisième mandat d'arrêt. Arrêté le 19 novembre, Carlos Ghosn, qui pouvait encore espérer jeudi une libération sous caution, reste donc détenu à Tokyo pour l'instant.
Dépouillé de ses fonctions de président des Conseils d'administration des deux constructeurs japonais, il ne lui reste pour l'heure qu'un titre surtout virtuel, celui de PDG de Renault. En coulisses, la recherche d'un successeur va bon train.
La brutalité du déclin est inouïe, pour ce Franco-libano-brésilien de 64 ans qui était l'un des capitaines d'industrie les plus respectés de la planète. Peut-être parce qu'il incarnait, mieux qu'aucun autre, l'ère de la mondialisation, lui qui a fait naître une alliance automobile aux dix marques, 470.000 salariés et 122 usines, ayant vendu plus de 10 millions de véhicules l'an dernier.
Né au Brésil dans une famille d'origine libanaise, Carlos Ghosn était sans cesse en mouvement, naviguant entre Paris, Rio, Beyrouth et Tokyo à bord d'un jet privé de Nissan, régulièrement remplacé mais toujours doté de la plaque "N155AN".
Le Wall Street Journal a compté qu'en 2018, l'appareil, au bord duquel Carlos Ghosn a été arrêté, avait décollé de pas moins de 35 aéroports différents.
Toute la presse internationale a disséqué ces dernières semaines le train de vie de ce diplômé de Polytechnique, entré chez Renault en 1996, ayant gagné 13 millions d'euros en 2017, selon le cabinet Proxinvest. Une rémunération qui ne choquerait pas à Wall Street, mais qui a fait grincer des dents à Paris comme à Tokyo.
Des clichés d'une somptueuse réception donnée au Château de Versailles à l'automne 2016 avec des acteurs en costumes d'époque ont refait surface. Des articles ont été publiés à propos d'une villa à Beyrouth et d'un appartement à Rio de Janeiro - cette ville où Carlos Ghosn avait eu l'honneur de porter la flamme olympique, avant l'ouverture des JO de 2016.
Des dépenses et une image de "jet-setter" qui contrastent avec la réputation de "cost killer" de Carlos Ghosn, qui a imposé chez Nissan une cure d'austérité. Des employés du groupe japonais le décrivent comme très dur, "demandant des efforts absolument démesurés et mettant une pression incroyable".
Un régime que Carlos Ghosn s'imposait à lui-même, se décrivant comme un bourreau de travail, arrivant au bureau à 07H30 "après avoir déjà travaillé quelques heures". Il a toujours défendu ses revenus élevés comme la contrepartie méritée de ses performances.
A force de s'affranchir des fuseaux horaires et des frontières, le patron de Renault a-t-il trop négligé les sensibilités nationales? Sa disgrâce a en tout cas exposé au grand jour les tensions entre Renault et Nissan, entre Français et Japonais.
Lors d'une conférence de presse d'une violence rare, le patron de Nissan, Hiroto Saikawa, pourtant promu à ce poste par Carlos Ghosn, a ainsi dénoncé le "côté obscur" de ce dernier et fustigé sa tendance à concentrer les pouvoirs. A mille lieues du Carlos Ghosn, révéré pour avoir redressé Nissan.
En France, c'est l'Etat lui-même, grand actionnaire de Renault, et avec qui les relations de Carlos Ghosn ont pu être tumultueuses, qui monte au créneau pour préserver les intérêts français au sein de la fragile alliance automobile.
"M. Ghosn a incarné le triomphe d'une globalisation supposée conduire à l'effacement des spécificités nationales au profit des entreprises transnationales. Son éviction nous montre que le monde reste un assemblage de nations que les grandes entreprises exploitent mais ne transcendent pas", observait récemment Pierre-Yves Gomez, professeur à Emlyon Business School, dans une tribune publiée par Le Monde.


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