Birame Sock : Quand je parle du Made in Africa, je donne l’exemple du Maroc qui a réussi à exporter ses produits


Marseille : Propos recueillis par Youssef Lahlali
Lundi 9 Janvier 2023

Birame Sock est la fondatrice du CEO de Kwely, plateforme numérique sénégalaise de commerce électronique faisant le lien entre les transformateurs locaux en Afrique et le reste du monde. C’est une entrepreneuse exceptionnelle, après une expérience réussie aux Etats-Unis. Lors de la sixième édition du Sommet international EmergingVally à Marseille, elle a témoigné de son expérience devant de jeunes entrepreneurs venus d’Afrique et d’Europe.

Aujourd’hui à Emerging Vally, lors de votre rencontre avec des entreprises africaines et européennes à Marseille, vous avez défendu le “Made in Africa”. Est-ce possible aujourd’hui de faire sortir les consommateurs de ce stéréotype prétendant que l’Afrique est juste un lieu de matières premières et non de promotion de la production locale ?
Je pense qu'il faut le montrer, c'est le cœur de ce qu'on fait chez Kwely. Dans mon entreprise au début, mon idée c'était de juste mettre en place une plateforme digitale pour vendre les produits Made in Africa. Mais, en effet, ce problème de la perception des gens du Made in Africa est apparu très rapidement. C’est la matière première qui les intéresse pour pouvoir en faire la transformation à l'extérieur et revenir nous vendre les mêmes produits déjà transformés. On s'est dit qu’il faudrait mettre en place un incubateur pour travailler directement avec les transformateurs locaux et s'assurer que l'image de marque, le packaging, le positionnement du produit sont faits sur des normes internationales pour pouvoir être sur les mêmes étagères que les produits étrangers. Aujourd'hui, quand on va dans les supermarchés au Sénégal, les produits Made in Sénégal sont en bas de l'étagère. Les commerçants pensent que ces produits ne sont pas de bonne qualité, alors que le produit à terme est un produit naturel, un produit reconnu, un produit que les gens apprécient. Il est juste nécessaire de changer le positionnement, la présentation et les explications. C'est ce travail qu'on fait avec eux. On profite de notre réseau pour vendre ces produits en dehors de l'Afrique afin que les gens puissent commencer à les apprécier.

Pour promouvoir les produits africains, vous avez aussi évoqué la logistique. Est-il plus facile d’envoyer un produit local en Europe que dans un pays voisin comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire ?
C’est exact, je pense qu’il y a des soucis très spécifiques. Aujourd'hui, on a de plus en plus de start-up qui se regroupent et règlent le problème de la logistique, ça il faut le reconnaître. Mais le coût de la logistique reste encore assez élevé, parce qu'il y a trop d'interlocuteurs avant de pouvoir faire passer un produit d'un pays à l'autre en Afrique. Beaucoup d'efforts sont faits. Je pense que c'est un problème qui va être réglé mais qui aujourd'hui reste un obstacle pour développer le commerce au niveau régional. Il est plus facile d’envoyer des produits de l’Afrique vers les Etats-Unis ou l'Europe que vers un pays voisin Les implications au niveau des taxes et le reste, alors que des programmes existaient déjà entre les Etats-Unis et l'Afrique avec Agoa, entre l'Europe et l'Afrique, l’Asveca vient un peu en dernier entre les pays africains, donc je pense qu’on va y arriver. Mais pour l'instant, c'est toujours plus facile d'exporter vers les pays étrangers que sur le continent. Et je pense aussi que la multitude de devises en Afrique ne facilite pas les choses et pose problème. Le mouvement des devises est très compliqué entre les différents pays pour pouvoir vendre dans un pays, en dehors, disons de la CEDEAO. Si on est dans cette région, si on veut aller vendre au Kenya par exemple, il va falloir mettre en place une structure au Kenya, pour avoir un compte en banque sur place afin de faire des échanges commerciaux avec ce pays.

Si vous faites une opération avec un autre pays africain comme le Maroc, vous aurez besoin de l’euro
Bien sûr, il faut réaliser toutes nos transactions en euro. C’est toujours un peu compliqué ce genre de transaction entre pays africains.

Même entre pays proches comme le Maroc et le Sénégal ?
Les gens préfèrent communiquer en euro, plutôt qu’en dirham ou en franc CFA, parce qu’une entreprise au Maroc ne va pas accepter une transaction en CFA. Je pense qu’il y a une banque qui est en train de mettre en place une plateforme pour régler ce genre de problèmes et faciliter les transactions entre pays africains, ce qui va permettre d’effectuer les échanges de devises un peu plus facilement, mais il y a encore du travail à faire.

Lors de votre intervention à EmergingVally vous avez évoqué le modèle du Maroc dans le domaine de l’exportation de ses produits. Qu’en pensez-vous ?
Quand je parle du Made in Africa, je donne l’exemple du Maroc qui a réussi à exporter ses produits. Certains de ces produits sont reconnus comme des produits natifs du Maroc, que ce soit le couscous marocain (je sais que les Algériens et les Tunisiens disent aussi qu’ils ont du couscous). Mais aujourd'hui quand on achète le couscous, on s'attend à ce que ça soit du couscous marocain, de la même manière que l'huile d'argan, quand on achète de l'huile d'argan, c'est écrit Made in Morocco. On le retrouve partout aujourd'hui, dans les produits cosmétiques et définis comme venant du Maroc. La meilleure vanille provient de Madagascar. Les gens sont fiers de dire que c'est de la vanille qui vient de Madagascar. Nous, par exemple, avons raté la commercialisation du beurre de karité. Mais nous avons de nombreux autres produits originaires de l’Afrique, que le reste du monde commence seulement à découvrir, que ce soit le baobab, le moringa ou l'hibiscus. Ça, c'est notre chance, en fait, de pouvoir les introduire de la bonne manière et de pouvoir s'assurer que les gens reconnaissent que ce sont des produits typiquement africains que le reste du monde peut apprécier et dont la richesse nous revient en fait aussi. C’est une richesse partagée.

Le Maroc et le Sénégal ont des relations historiques très anciennes, mais aujourd’hui, et malgré le développement des moyens de transport et de communication, les échanges commerciaux ne sont pas à la hauteur de ces relations. Qu’en pensez-vous?
Je pense que les échanges se font mais d’une manière un peu difficile. Comme je le disais, il faut vraiment être engagé pour pouvoir faire en sorte que les conversations aboutissent parce qu'il y a énormément de défis entre tous les pays, quant à pouvoir faire du business d'un pays à l’autre, pour pouvoir exporter. Comment s'adapter aux réalités d’autres pays dans lesquels on veut s'intégrer ? Je pense qu’aujourd’hui, tout cela va changer. La réalité, c'est que même nous, dans notre domaine, avec les produits Made in Africa, il faut déjà convaincre le marché local en affirmant que le produit local est de meilleure qualité que celui importé, parce qu’il est naturel alors que l’autre est synthétique. Convaincre au niveau local pour pouvoir ensuite convaincre les autres pays africains qu'il vaut mieux importer d'un autre pays africain, plutôt que d'aller à l'extérieur, pour importer des produits qui ne sont peut-être pas aussi bons et qui ne représentent pas forcément notre culture. Ça, c'est du travail, c'est un investissement à réaliser, c'est un engagement qu’il faut mettre en avant. 


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