Bipin Rawat: Soldat de légende à la langue bien pendue

Nous sommes une armée amicale, mais quand nous sommes appelés pour rétablir la loi et l'ordre, les gens doivent avoir peur de nous


Libé
Jeudi 9 Décembre 2021

Le chef de l'armée indienne, le général Bipin Rawat, était un soldat de légende dans son pays après avoir survécu à des blessures lors d'une bataille et à un premier accident d'hélicoptère, avant celui qui lui a coûté la vie mercredi.

Mais il était aussi connu pour ses propos à l'emporte-pièce et souvent clivant qui détonaient dans la plus grande démocratie du monde, où l'armée se tient traditionnellement en retrait du débat politique, à l'inverse des pays voisins du Pakistan, de Bangladesh ou de Birmanie, aux histoires marquées par les coups d'Etat militaires.

Le général Rawat, 63 ans, était un proche du Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi. Il sortait volontiers de sa réserve pour intervenir sur toutes sortes de sujets, allant de la politique étrangère aux affaires intérieures, déclenchant régulièrement des polémiques.

Ainsi, alors qu'il était le premier chef d'état-major de l'armée, un poste créé sur mesure pour lui en 2019 afin d'améliorer la coordination entre les forces terrestres, navales et aériennes, il n'hésitait pas à affirmer que les Indiens devraient être terrifiés par leurs propres soldats.

"Vos adversaires doivent avoir peur de vous, et en même temps votre peuple doit avoir peur de vous", disait-il: "Nous sommes une armée amicale, mais quand nous sommes appelés pour rétablir la loi et l'ordre, les gens doivent avoir peur de nous".

En 2019, l'opposition l'avait accusé de violer son serment de neutralité après qu'il eut condamné des manifestations contre une nouvelle loi sur la citoyenneté, considérée par ses détracteurs comme discriminatoire contre les musulmans.

Il avait aussi pris position contre l'acceptation des homosexuels dans l'armée. "Les forces armées se reconnaissent énormément dans les actions conservatrices de notre société", avait-il justifié.

"L'armée est conservatrice. Nous ne nous sommes ni modernisés, ni occidentalisés".

Issu d'une famille de militaires, dont plusieurs générations avaient servi dans les forces armées indiennes, le général Rawat s'était engagé en tant que sous-lieutenant en 1978.

En 1993, il avait été blessé lors d'un affrontement avec l'armée pakistanaise dans une région reculée du Cachemire. Une balle l'avait atteint à la cheville et du shrapnel lui avait lacéré la main droite.

Ce fait d'armes lui avait valu de longs mois de rééducation à l'hôpital et une prestigieuse décoration.

En quatre décennies de service, il a notamment commandé les forces armées dans le Cachemire administré par l'Inde, ainsi que le long de la frontière chinoise disputée.

En 2015, il s'était distingué en dirigeant une incursion en Birmanie contre un groupe armé séparatiste de l'Etat du Nagaland, dans le nord-est de l'Inde. C'était la première fois que l'Inde reconnaissait avoir frappé un groupe insurgé au-delà de ses frontières.

La même année, il avait survécu à un premier accident d'hélicoptère dans la même région du Nagaland. L'appareil avait chuté d'une trentaine de mètres juste après avoir décollé. Tous les passagers s'en étaient sortis avec des blessures légères.

En 2017, il avait regretté que les manifestants au Cachemire ne s'en prennent à l'armée indienne qu'avec des pierres, plutôt qu'avec des armes à feu.

"J'aurais été heureux", avait-il déclaré à l'agence Prest Trust of India, laissant entendre que l'armée aurait alors pu tirer à balles réelles sur les protestataires.

La même année, nommé chef de l'armée de terre indienne et de ses 1,3 million d'hommes, il avait attribué une prestigieuse récompense à un officier de l'armée qui, au Cachemire, avait attaché un civil sur le capot de son véhicule militaire pour s'en servir comme bouclier humain, afin d'éviter d'être attaqué par des manifestants.

Dans une "guerre sale", l'armée a besoin "d'innovations", avait-il justifié.

Beaucoup prédisaient au général Rawat un rôle politique de premier plan après sa retraite, avant son décès mercredi dans un accident d'hélicoptère qui a également coûté la vie à son épouse et à onze autres personnes.

 



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