Au procès Weinstein, le rôle-clé des consultants en jury


Libé
Lundi 20 Janvier 2020

Ils décodent le moindre mot, la moindre réaction, pour écarter les jurés susceptibles de condamner d'avance leur client: les consultants comme Renato Stabile, membre discret de l'équipe qui défend Harvey Weinstein lors de son procès à New York, sont devenus déterminants dans les grands procès américains.
Vous ne lirez pas son nom dans les comptes-rendus et il n'est pas intervenu à l'audience, mais M. Stabile a été omniprésent cette semaine, chargé de donner au jury l'image la moins défavorable de l'ancien producteur de cinéma.
Les consultants comme lui sont aujourd'hui de la plupart des grands procès, civils ou pénaux, recrutés tant par l'accusation que la défense.
La profession a près de 50 ans mais s'est généralisée après le procès O.J. Simpson, en 1995.
Engagée par la défense, Jo-Ellan Dimitrius eut une influence décisive sur l'affaire, qui se solda par un acquittement malgré un dossier accablant.
"Les procureurs ont compris que ce que nous faisions (...) ils ne pouvaient pas le faire en tant que professionnels du droit", explique-t-elle, 25 ans après.
Le choix des jurés se fait, en grande partie, sur la base de questions écrites et orales, comme dans le procès Weinstein où la sélection s'est terminée vendredi avec sept hommes parmi les 12 jurés retenus.
Souvent diplômé en psychologie ou criminologie, le consultant aide à rédiger les questionnaires puis à analyser les réponses. Mais avant même les questions, les candidats au jury sont souvent passés au crible, avec l'aide des réseaux sociaux, une mine.
Au procès Weinstein, une femme a notamment été disqualifiée car la défense avait relevé des photos de la Marche des femmes (Women's March) sur sa page Facebook.
"90% de nos orientations quant aux jurés potentiels se décident avant l'audience", explique Mme Dimitrius.
Les 10% restants se jouent au tribunal, notamment sur "leur langage corporel et la façon dont ils interagissent avec les avocats".
Victime de violence domestique? Un passé de mannequin ou d'actrice, comme la célèbre Gigi Hadid? De la famille dans la justice? Autant de chiffons rouges, pour la défense au procès Weinstein.
Outre les réponses, le consultant doit aussi décrypter les non-dits.
"La société et les opinions politiques sont telles aujourd'hui que cela devient de plus en plus difficile" d'identifier des jurés partiaux, constate Jo-Ellan Dimitrius. "Les gens masquent leurs intentions."
"Il y a des gens qui vont volontairement ne pas répondre à une question, (...) ou donner une demi-réponse à une question ouverte", renchérit Marshall Hennington, du cabinet Hennington & Associates.
Pour rejeter un juré indésirable, défense et accusation peuvent utiliser la récusation "motivée", illimitée, ou la récusation "péremptoire", par laquelle ils peuvent écarter jusqu'à 20 personnes chacun sans explication.
Jeudi, la procureure du procès Weinstein, Joan Illuzzi-Orbon, a reproché à la défense d'écarter systématiquement des jeunes femmes.
"80% de la sélection doit consister à chercher et se débarrasser des jurés défavorables, et le reste à établir une relation avec le jury et identifier ceux qui nous seront favorables", explique Mary Noffsinger, consultante chez Courtroom Sciences Inc.
Au-delà, elle dit chercher des profils de meneurs, susceptibles de tirer le jury derrière eux.
Son cabinet a été créé par Phil McGraw, devenu depuis le psy le plus célèbre de la télévision américaine, sous le nom de "Dr. Phil", qui a inspiré la série "Bull", qui montre jusqu'où peut aller le rôle de ces consultants.
Bien avant le procès, des groupes de discussion sont souvent formés pour prendre la température, voire de faux procès, avec faux jurés représentatifs.
 "On apprend des choses sur les forces et les faiblesses du dossier, voire des éléments sur le profil du jury", explique Mme Dimitrius.
Ces consultants aident aussi à préparer les témoins de la défense, les contre-interrogatoires et plaidoiries.
Pendant le procès, Marshall Hennington n'hésite pas à donner, après chaque journée d'audience, une note aux avocats de son équipe.
"S'ils se sont complètement ratés sur l'audition d'un témoin adverse, je vais leur expliquer comment s'améliorer", explique-t-il.
Sur l'ensemble d'un procès, la facture peut atteindre plusieurs millions de dollars, selon Mme Dimitrius. Une seule journée de sélection du jury se facture jusqu'à 10.000 dollars, explique Mary Noffsinger.
Utilisés par les procureurs mais surtout par les clients aisés, les consultants contribuent-ils à alimenter une "justice des riches"?
"Si vous avez des consultants des deux côtés et qu'ils sont à la hauteur", répond Jo-Ellan Dimitrius, "je pense qu'au final, le jury sera aussi juste que possible humainement."


 


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