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Au-delà du concept, la discrimination raciale expliquée sous tous ses aspects

Réunis à Agadir, des spécialistes apportent leurs réponses


Hassan Bentaleb
Samedi 24 Mars 2018

Qu’est-ce que la discrimination raciale? Comment est-elle définie par la loi et comment est-elle vécue par les migrants? Y a-t-il plusieurs formes de discrimination? La discrimination peut-elle être également linguistique? C’est à ces questions et à bien d’autres que le colloque international organisé par le Master «Dynamique des sociétés : migration(s), démographie et développement» (DYSOMIDD) et l’organisation non gouvernementale (ONG) Clinique Juridique Hijra a tenté d’apporter des réponses.
Sara Benjelloun, chercheuse en sciences politiques, a défini la discrimination comme une distinction, l’établissement d’une séparation ou encore le traitement de manière différenciée des objets. Plus précisément, la discrimination c’est tout acte de différenciation de traitement qui produit un effet défavorable, inscrit dans un texte juridique ou qui résulte du comportement d’une personne ou d’une institution particulière. Autrement dit, la discrimination correspond au comportement actif d’un acteur (législateur, employeur, simple individu…) qui produit intentionnellement de l’inégalité. Pour déterminer si un acte est constitutif d’une discrimination ou non, le juge cherche à savoir si la finalité de l’acte est légitime, c’est-à-dire étrangère à toute intention de discriminer. Une différence de traitement ne peut être considérée comme une discrimination lorsque son fondement est légitime (une différence de situation juridique ou la poursuite de l’intérêt général).
 Concernant le cadre juridique national relatif à la discrimination, la conférencière a indiqué qu’il est inscrit dans le Code pénal. C’est au cours des années 2000 que celui-ci a vu son champ d’action s’élargir pour intégrer de nouvelles dispositions inspirées du droit international (comme le blanchiment, la piraterie aérienne ou encore le terrorisme) et dont la discrimination fait notamment partie. Il a donc fallu attendre le 13 novembre 2003 pour que le Code pénal marocain introduise, pour la première fois, une Section II bis intitulée «La discrimination» dans son Titre premier portant sur «Des crimes, des délits correctionnels et des délits de police». Il semble pertinent de relever également que cet amendement a eu lieu quelque 14 mois seulement après l’entrée en vigueur de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers dont l’adoption répondait à des logiques principalement sécuritaires.
Composé de 4 alinéas, l’article 431 alinéa 1 définit la discrimination comme suit: «Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou morales] à raison de l'origine nationale ou sociale, de la couleur, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, de l'opinion politique, de l'appartenance syndicale, de l'appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée». Des peines d’emprisonnement de 1 mois à 2 ans et des amendes de 1.200 à 50.000 dirhams sont appliquées dans quatre  situations bien définies: le refus de fourniture d’un bien ou d’un service; l’entrave à l’exercice d’une activité économique quelconque; le refus d’embaucher ou la sanction et le licenciement d’une personne; ou encore la subordination de la fourniture d’un bien ou d’un service ou l’offre d’un emploi à une condition fondée sur une discrimination. L’article reprend ensuite certaines situations précises dans lesquelles les sanctions ne peuvent être appliquées. Il s’agit notamment des discriminations fondées sur le sexe, l’état de santé ou le handicap en matière d’embauche lorsque la nature de l’emploi le justifie. Il semble important de souligner que ces questions liées à la migration, à l’asile, à la traite des êtres humains ou encore à la lutte contre le racisme et les discriminations n’ont jamais constitué une priorité pour le législateur marocain. D’ailleurs, ces dernières n’ont jamais fait l’objet d’enjeux électoraux et ce n’est que récemment qu’un véritable débat public a commencé à émerger.
De son côté, Fabio Perocco, enseignant-chercheur à l’Université italienne Ca’Foscari Venezia, a indiqué que les populations immigrées déjà installées en Europe ainsi  que les nouveaux migrants subissent depuis quelques années un processus de précarisation tout en précisant que les premières ont été confrontées à une accentuation et une multiplication des mécanismes d’exclusion, de ségrégation et d’assimilation ; quant aux seconds, ils ont été confrontés à des mécanismes de sélection et de restriction de plus en plus sévères. D’après lui, la  précarisation de l’immigration n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire européenne, mais ces deux dernières décennies ont vu une véritable radicalisation de ce processus découlant de modalités multiples, notamment la généralisation des politiques migratoires restrictives, l’attribution à l’immigration d’un rôle spécifique au sein du marché du travail et des systèmes économiques européens, la montée du racisme et de la propagande anti-immigrés, l’encouragement des migrations temporaires.
L’intervenant estime que les politiques migratoires ont joué un rôle fondamental dans le processus de précarisation de l’immigration survenu dans de nombreux pays européens, où les travailleurs immigrés sont sujet à une double précarité : juridique et en matière d’emploi. « Le processus de convergence des politiques migratoires vers le bas entamé lentement dans les années 70 et 80, et qui s’est renforcé au cours des années 90 et 2000, a concerné la plupart des Etats européens et a enregistré la confluence des différentes politiques migratoires des pays européens vers une seule politique migratoire à caractère sélectif, restrictif et répressif qui conditionne l’entrée des immigrés aux besoins du marché du travail.
Par conséquent, si durant les années 60 et le début des années 70, nous pouvions parler d’une insertion au travail relativement stable, les décennies suivantes ont connu une précarisation de l’insertion au travail et, sur le plan social, un renforcement des facteurs d’exclusion ou de ségrégation. Ce processus a été inlassablement accompagné par des campagnes de dénigrement des différents secteurs de l’immigration (les sans-papiers, les Roumains, les musulmans, les jeunes de la seconde génération, les quartiers avec une présence élevée d’immigrés), qui ont fini par toucher l’ensemble de l’immigration et, ensuite, une grande partie du monde du travail, en le faisant traverser par de multiples lignes de partage, comme par exemple « les bons travailleurs immigrés sans-papiers» vs «les mauvais travailleurs immigrés sans-papiers», «les travailleurs immigrés réguliers » vs «les travailleurs immigrés sans-papiers», «les bons travailleurs immigrés réguliers » vs «les travailleurs réguliers qui volent le travail des autres», «les travailleurs immigrés vs les travailleurs nationaux».
Evoquant la montée du racisme dans les pays européens, le conférencier a expliqué que le racisme institutionnel a contribué à exacerber la précarisation des travailleurs immigrés et la réduction de leurs droits sociaux. D’après lui, l’offensive anti-immigrés sur le plan de la législation et de la propagande a soutenu les politiques migratoires caractérisées par un mélange d’éléments identitaires et sécuritaires, destinés à décourager l’enracinement social et à encourager les migrations temporaires, fluctuantes, en appuyant la demande de main-d’œuvre au coup par coup.
Le retour de l’assimilationnisme, poursuit-il,  en tant que politique et rhétorique, a pour objectif l’adaptation sociale des immigrés aux conditions auxquelles ils sont contraints. « En générant un régime de représentation racialisé de la société, les médias ont produit une différenciation des représentations publiques des immigrés fonctionnelle due à leur exploitation différentielle et dérivant aussi de leur précarisation stratifiée. Les slogans et les discours centrés sur la préférence nationale («La France d’abord», «Britain first», «Prima gli italiani»), sur une présence nécessairement provisoire, sur une intégration subordonnée à l’enseigne de l’infériorité sociale, ont favorisé la précarisation réservée à une grande partie des immigrés comme fraction de classe «racialisée» de la classe ouvrière européenne », analyse-t-il.
Ivone Puig Artigas, chercheuse à l’Université autonome de Barcelone, a précisé, pour sa part, que les termes usités pour désigner un migrant ne sont pas neutres ou innocents. Et que nous choisissons certains termes et pas d'autres en fonction de facteurs idéologiques, économiques, sociaux ou politiques. Pour elle, la forme verbale active du verbe « migrer » renvoie à un migrant qui  est en transe, organisant son voyage, l'exécutant ou initiant son installation dans l'espace de destination. Il est présupposé, en passant, ne pas avoir encore fini son voyage. Quant à la forme passive, elle signifie que le migrant a déjà accompli son action et, par conséquent, il est présupposé être une personne installée, accommodée, intégrée, acculturée et disposant de son propre projet consolidé. « Autrement dit, nous insistons sur le fait de parler des migrants, indépendamment du temps que ces personnes ont vécu dans les pays de migration », a-t-elle précisé. Concernant les appellations : Migrants illégaux /irréguliers/Sans papiers / Non documenté, elle pense que ces quatre termes sont extrêmement simplistes, péjoratifs et même criminalisants. « Comme l'affirment les associations de défense des droits de l'Homme, aucun être humain n'est illégal et ne peut jamais être « illégalisé » ou « irrégularisé ».
L’intervenante estime que les actions de quelqu'un peuvent être illégales, mais jamais la personne ne peut l’être. De même pour le terme irrégulier. « Personne n'est irrégulier, mais sa  situation juridique peut l’être ».


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