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Amitiés aux femmes


Atmane Bissani
Lundi 11 Mars 2013

Un vrai débat de société ne peut aucunement se faire indépendamment de la question féminine. Les 8 mars se succèdent, les ans se remplacent si rapidement qu’on ne s’en aperçoit même pas, les compliments se font aux femmes du monde entier, tout le monde en parle et c’est tout. Au Maroc, la question féminine constitue le centre de notre débat de société, laquelle société vit, visiblement, au rythme du 21ème siècle, mais qui demeure arrimée aux séquelles d’une vision patriarcale réfractaire au devenir de la femme. Le «devenir» ne se réduit pas dans notre analyse à un simple vocable comme un autre. Le «devenir» est ici une notion qui détermine le sens du futur tout en analysant le passé et interrogeant le présent. Le «devenir» de la femme dans notre société est bel et bien la question centrale autour de laquelle doivent graviter toutes les autres : l’éducation, la liberté de pensée et d’expression, le droit d’être différent, etc. Si les pays occidentaux ont pu réaliser des pas de géants en matières des Sciences, des Lettres et des Arts, c’est parce qu’il ont su nourrir le sens du «devenir» citoyen, conscient de ses droits et de ses devoirs. La femme est citoyenne, et elle doit jouir de cette qualification dans tous les domaines et dans tous les champs de la vie active. La réduire à son seul corps, faire d’elle le lieu de tous les maux que vit la société revient à dire condamner la société à ne point devenir. Ainsi, traiter du «devenir» ne va pas sans traiter d’un esprit critique et contestataire. Dans son livre «Les subalternes peuvent-elles parler?»,  Gayatri Chakravorty Spivak réclame à cor et à cri le droit d’ « être » des subalternes, c'est-à-dire ceux et celles qui, à cause de la domination de l’idéologie de l’exclusion, sont réduits à l’état d’objets laissés pour compte. Par excellence subalterne, selon Spivak, la femme n’a pas de voix dans les sociétés tiers-mondistes. Son mutisme est loin d’être inné ; il est subit et intériorisé à cause de la domination de l’idéologie masculine, c’est dire l’idéologie de la possession. Si Spivak s’occupe «du statut de la femme en tant que subalterne», c’est parce que la femme dans les sociétés tiers-mondistes ne se considère pas comme «autre», comme Sujet libre conscient et responsable de ses actes. On assiste ici à un acte rébarbatif qui, au lieu de faire valoir l’humain, tue les possibilités de sa création. L’humain ou, l’humanisme de l’autre homme,  n’est autre ici que la capacité de reconnaître l’altérité de l’autre, sa différence et son identité inaltérable et irréductible. Dans son ouvrage «Le féminisme au Maroc», Abdessamad Dialmy voit que  la question de la femme est une question qui n’est pas encore transformée «en objet d’enseignement et de recherche dans le curricula de l’Université marocaine», ce qui ne permet pas, malencontreusement, un dépassement des représentations tellement archaïques que la société continue de se faire de la femme. Il est temps de considérer la condition féminine comme étant une structure fortement liée à la condition masculine.
Machisme, sexisme et phallocratie sont le résultat immédiat de l’incapacité masculine de saisir la présence féminine dans son champ de perception comme présence d’un être humain doué d’une subtilité et d’une ingéniosité éminentes. La vérité des êtres et des choses ne peut exister que dans le point interstitiel qui réunit masculinité et féminité. Ce point interstitiel demeure, à plus forte raison, la part occultée de chaque expérience. Ceci dit, la question à poser serait : quelle femme voulons-nous pour l’épanouissement de notre société ? Y répondre nécessite une véritable révolution culturelle dans nos sociétés afin de déconstruire les composantes du discours phallocratique et donc déconstruire la logique du pouvoir et  de l’autorité qui destituent la femme de ses fonctions d’être libre, responsable et consciente. Seule une véritable révolution culturelle est en mesure de rendre à la femme son aura et à la société son éclat. Déconstruire le discours phallocratique revient à dire ici déconstruire les structures psychologiques, sociales, anthropologiques et culturelles qui entrent dans la composition de ce regard dédaigneux à l’égard de la femme. Comprendre ce regard, c’est comprendre le sens que la société attribue à la question de l’altérité : exclusion du différent et évincement du divers. La radicalité de la pensée réductrice qui assujettit la femme et étouffe son essor dans le système culturel arabo-musulman est de provenance « bédouine», nous dit l’anthropologue et psychanalyste Malek Chebel. Il s’agit d’un « sujet assujetti à un droit d’inspiration masculine qui porte sur la soumission en général, qui prêche l’obéissance de tous, mais qui double dans les faits l’essence bédouine du droit naturel. » Résultat, conclut Chebel : « l’altérité de la femme doit rester identique à ce qu’elle est, elle n’est pas autorisée à évoluer vers ce qu’elle pourrait être. » Toute la question est là : l’altérité de la femme ne compte que dans sa réduction au degré zéro de l’existence, c’est dire dans son inexistence en tant qu’être. Un tel regard doit cesser de régner car les temps ont changé. Que dire d’autre ? Les femmes en savent mieux que quiconque. Meilleurs vœux et joyeux « devenir »…


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