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Aménager les espaces de vie passe par une structuration et une réglementation appropriées

L’urgence climatique interpelle architectes et architectes paysagistes


Chady Chaabi
Vendredi 13 Décembre 2019


L’idée selon laquelle l’aménagement du territoire peut contribuer à la lutte contre le changement climatique est, de nos jours, largement répandue. A tel point que le Conseil national de l’Ordre des architectes et l’Association des architectes paysagistes ont décidé d’en faire leur cheval de bataille, comme en témoigne la conférence qui s’est récemment tenue à Casablanca.
Placé donc sous le thème « Architectes et architectes paysagistes déclarent l’urgence climatique », ce rendez-vous a permis aux associations précitées de véhiculer de nombreux messages, avant de signer une convention, censée donner forme et un peu plus de consistance à une alliance consommée, entre les architectes et les architectes paysagistes. Convention empreinte de l’esprit de l'accord signé en 2006 entre l’Union internationale des architectes (UIA) et la Fédération internationale des architectes paysagistes (FIAP).
Cette union ne sera clairement pas de trop pour faire face à une urgence climatique qui devient de plus en plus pressante et même oppressante. Mais dans quelles mesures les architectes et autres architectes paysagistes seront-ils capables de stopper, ou du moins, d’atténuer les dangers qui se profilent à l’horizon ? Une question d’autant plus capitale, car de prime abord, la capacité de ces métiers à endiguer l’augmentation de la température moyenne à la surface de la terre ou encore la montée des eaux, ne saute pas vraiment aux yeux.
Bien qu’elle ne soit pas formellement établie, la relation de cause à effet entre aménagement du territoire et réchauffement climatique n’est pas à classer dans le rayon ‘’incongruités’’. A titre d’exemple, outre-Atlantique, un éditorial du New York Times, datant de 2008, évoquait l’adoption par l’Etat de Californie d’une loi d’urbanisme visant à contenir l’extension spatiale des agglomérations.
De l’autre côté de la Méditerranée, la France a fait évoluer sa législation en mettant en œuvre un Grenelle de l’environnement, qui s’est greffé au Code de l’urbanisme. Objectif : Réduire les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d'énergie et économiser les ressources fossiles, avec pour cheville ouvrière les collectivités publiques, et notamment leurs prévisions et leurs décisions d’utilisation de l’espace.
Au Maroc, la réflexion sur le sujet est loin de confiner à l’évidence. C’est la raison pour laquelle Azdine Nekmouche, et Akram El Harraqui, respectivement présidents du CNOA et de l’AAPM ont lancé un appel du pied non dissimulé au gouvernement comme l’assure le premier nommé : « Il faudrait que les gouvernants fassent appel à l’expertise des professionnels de l’aménagement afin de trouver ensemble le chemin pour que les agglomérations puissent éviter les dangers qui les guettent». Un chemin qui passe forcément par un changement. A vrai dire, le CNOA et l’AAPM ainsi que leurs adhérents se sentent quelque peu exclus quand il s’agit d’aménagement du territoire. Du coup, « promouvoir l’architecture et l’architecture du paysage en tant que professions de premier plan dans l’élaboration des politiques d’aménagement des territoires » est primordial pour Azdine Nekmouche.
Un manque parfaitement illustré par Akram El Harraqui : « Si on prend pour exemple la ville de Casablanca, il n’y a quasiment pas d’espace vert. Je crois que c’est 1 m² par habitant, ce qui est complètement ridicule ».
S’il grossit quelque peu le trait, ses propos sont difficilement contestables, surtout quand on sait qu’une part très importante des émissions de gaz à effet de serre issues des villes et leurs infernales activités est  absorbée par les espaces verts et leurs arbres, qui contribuent au maintien d’un stock important de carbone. Et que dire des logements qui sont des passoires thermiques ? Pis encore, que dire de ses projets immobiliers dont l’argument de vente privilégié réside dans le fameux pied dans l’eau ?
A la lumière de la montée des eaux, ces messages publicitaires prennent la forme de tristes prémonitions. Akram El Harraqui abonde : « Les grandes métropoles marocaines se trouvent sur les littoraux. En partant de ce principe, des villes comme Essaouira pourraient être rayées de la carte car elles se trouvent un mètre en dessous du niveau de la mer. Donc, à l’aune de la montée des eaux et du stress hydrique, le projet immobilier sur le bord de mer, mais encore le verdissement bâclé qui consomme de l’eau potable, sont des pratiques à bannir car elles vont à l’encontre de la situation d’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons».
Pour notre interlocuteur, ce changement doit avant tout être impulsé par une synergie d’efforts et de compétence. Et d’ expliquer : « Cette évolution doit passer par les aménageurs. Je ne dis pas  qu’il faut avoir la mainmise sur tout, mais en plus des architectes et architectes paysagistes, les ingénieurs civils, les urbanistes et les architectes d’intérieurs font partie d’une famille capable d’aménager des espaces de vie pour les citoyens de notre pays et pourraient comme dans les nations développées, avoir un impact plus rapide sur les pratiques à bannir. Cela n’est possible qu’à travers une structuration et une réglementation idoines ».
Tout compte fait, la volonté commune aux architectes et architectes paysagistes n’est pas utopique. Dans les tiroirs du passé, il existe une esquisse de cet avenir tant souhaité. Le Maroc a de tout temps été connu pour ses traditions ancestrales en matière d’art des jardins et de paysage. Ensevelies par les graines du sablier, ces traditions peuvent encore renaître de leurs cendres. Qui plus est lorsque le jardin et plus largement la nature ont toujours été étroitement liés à la vie des Marocains. Cela dit, on ne pouvait conclure sans souligner les nombreux débats qui gravitent autour de l’utilité même de la planification territoriale en vue de l’atténuation du changement climatique, ainsi que les limites des démarches dites “urbanistiques” et notamment la modicité de leurs effets, leur coût et la durée nécessaire à leur réalisation. Jean-Pierre Orfeuil, professeur d’aménagement à l’Institut d’urbanisme de Paris (IUP), Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne et spécialiste des mobilités urbaines indique : «Un gisement plus certain de réduction des émissions de gaz à effet de serre réside davantage dans l’amélioration des moteurs des automobiles que dans les conséquences de la planification territoriale ». Autrement dit, en termes d’analyse coût-efficacité, viser une réduction des émissions de CO2 par une politique d’aménagement du territoire paraît peu efficace. Enfin, les politiques d’aménagement et surtout le temps très long que prend leur application semble assez inadapté face aux changements rapides qu’impose l’objectif d’une réduction forte des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.

 
 

Akram El Harraqui, président de l’Association des architectes-paysagistes

 «Quand on sait qu’un tiers des émissions de gaz à effet de serre proviennent du secteur de l’aménagement, il est évident qu’il y a une synergie à créer entre les parties prenantes » 

Libé : « L’union fait la force » est une expression qui pourrait résumer la convention signée. 

Akram El Harraqui : En effet, nous avons signé une convention entre deux professions qui sont tout à fait complémentaires, l’architecte et l’architecte paysagiste. Evidemment il y en a d’autres qui concernent l’aménagement, comme les ingénieurs civils, les urbanistes et les architectes d’intérieur. Et tout, nous avons en commun un devoir face aux changements climatiques.

Lequel ?

Quand on sait qu’un tiers des émissions de gaz à effet de serre proviennent du secteur de l’aménagement, il est évident qu’il y a une synergie à créer entre les parties prenantes, ainsi qu’avec le secteur de l’agriculture. Sans oublier la planification de nos villes d’aujourd’hui, en les remaniant et en faisant de la place à  l’agriculture urbaine par exemple.

Les aménageurs doivent-ils à eux seuls combattre le réchauffement climatique ?

Nous devons tous collaborer étroitement afin d’avoir un impact efficace sur les émissions de gaz à effet de serre. Les actions qui portent le sceau de la société civile sont tout aussi importantes, quand bien même elles seraient à l’échelle citoyenne. Idem pour les actions gouvernementales avec l’adoption de la loi-cadre n° 99-12 portant sur la Charte nationale de l’environnement et du développement durable. Bref, il est urgent que l’on prenne nos responsabilités et d’agir.

Justement, quel doit être le rôle des pouvoirs publics ?

Les pouvoirs publics doivent agir au même titre que la société civile et notamment le citoyen lambda mais aussi d’autres qui, de par la nature de leurs professions, peuvent impacter directement l’environnement, comme les personnes qui travaillent dans le secteur de l’industrie. En plus, il faut absolument trouver un moyen de faire évoluer les consciences.

Pour en revenir aux aménageurs dont vous faites partie, comment les aider ?

Déjà ce serait un bon début de les réunifier et les réglementer. Que l’Etat leur offre un cadre légal pour que tout puisse fonctionner avec transparence.

Propos recueillis par Chaabi Chady


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