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Aïd El Kébir : la générosité convertie en produits de commerce


Hassan Bentaleb
Samedi 20 Novembre 2010

Aïd El Kébir : la générosité convertie en produits de commerce
Aïcha, 60 ans,  a du mal à trouver de la monnaie pour convertir un billet de 200 DH. Elle a fait le tour du souk, en vain. Elle a demandé au vendeur de la lui chercher. Ce dernier, un jeune de 25 ans, n'a pas hésité un instant. Il a pris  le billet, la marchandise et s'est volatilisé. Aïcha n'en a pas cru ses yeux. Pourtant, c'est la réalité de ce souk, si spécial et si drôle, appelé « Souk Lham » qui mobilise chaque année des dizaines de Casablancais, à la recherche de viande de mouton  à des prix défiant toute concurrence.
Situé au quartier Milan (Derb Mila), à proximité de l'autoroute Rabat-Casablanca, ce souk est unique en son genre. Ses commerçants sont constitués, en grande majorité, de mendiants, de voleurs et de certains initiés ; il est fréquenté par une clientèle démunie et quelques fortunés. Cependant, il reste peu connu d'une grande majorité de Casablancais, bien qu’il existe depuis de nombreuses années. Seuls quelques connaisseurs se donnent rendez-vous chaque année, lors de ces journées suivant Aïd El Kébir, dans ce marché improvisé à l'abri des regards.
 Aïcha n'a jamais entendu parler de ce souk. C'est une voisine qui l'a informée de son existence et c'est la première fois qu'elle y a mis les pieds, espérant réaliser de bonnes affaires. Hélas, les choses ont  mal tourné pour elle. Pourtant, elle ne renonce pas et elle décide de continuer sa visite, puisque maintenant, elle n'a plus rien à perdre.
Sur un trottoir malpropre et poussiéreux, quelques hommes et femmes, debout ou assis, étalent leurs marchandises depuis le matin.  Hlima, une vieille de 65 ans, fait partie d'eux. Sur un bout de journal sale, elle a déposé quelques morceaux de viande et incite les clients à s'approvisionner chez elle. Elle veut écouler sa marchandise et rentrer chez-elle car elle n'en  peut plus. Le diabète et l'hypertension ont rendu sa vie insupportable. Elle  n'a pas d'enfants et vit uniquement de mendicité. «Pendant l'Aïd, les Marocains deviennent plus généreux et on profite de l'occasion pour en tirer profit. D'ailleurs, pendant ces journées, on vit uniquement de ce commerce», nous-a-t-elle confié, la voix à peine audible.
Le cas de Hlima n'est pas unique. Beaucoup de mendiants fréquentent ce lieu pour écouler leur marchandise. Ils ne peuvent rien faire avec des tonnes de viande que les gens leur donnent le jour de fête. Ils doivent s'en débarrasser et les clients ne manquent pas.  
Pourtant, ce souk n'est pas réservé uniquement aux seuls mendiants. Une autre catégorie y fait escale : ce sont les voleurs et les cambrioleurs. Eux aussi profitent de l'occasion et s'imposent comme des intermédiaires. «Les voleurs imposent leur loi ici. Ils profitent de la peur des mendiants de voir saisir leur marchandise, les en délestent et la revendent à des prix plus élevés ». C'est pourquoi les mendiants préfèrent écouler leur marchandise à des prix dérisoires plutôt que de tout perdre », a affirmé un habitué du souk.
Emballée dans des sacs en plastique et déposée à même le sol, cette viande semble être appréciée par la clientèle, surtout par les célibataires et les gens pauvres qui n'ont pas pu acheter de mouton. D'autres l'achètent pour en faire d'autres usages. «J'ai l'habitude de fréquenter ce lieu parce que c'est beaucoup moins cher qu’ailleurs.  Ici, on ne sait pas sur quoi on peut tomber. On peut faire de bonnes affaires, selon les jours » nous a déclaré ce client.
Et la question de l'hygiène ? On s'en fiche. Personne n'y accorde la moindre importance. Même si cette viande est exposée au soleil et à la pollution, ce qui compte, c'est le prix.
Aïcha a réussi à arriver au bout du souk, sa surprise est grande : il y a un poste de police. Deux policiers bavardent à l'entrée et observent le souk de loin. Aïcha pense déposer plainte. Mais pourquoi faire et contre qui ? En plus, qui va accepter de témoigner ? Il est préférable  que je rentre chez-moi et que le bon Dieu nous protège tous», murmure-t-elle.



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