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Adda M’Rabbih, rescapé des bagnes du Polisario et fondateur du Mouvement du 5 Mars à Rabouni

L’aide que l’Algérie prétend apporter aux habitants des camps de Tindouf ne sert qu’à enrichir la direction du Polisario


Propos recueillis par Ahmadou El-Katab
Lundi 20 Janvier 2020

En 2011, à la faveur de ce qui était appelé le Printemps arabe, les langues avaient commencé à se délier, un peu partout dans les pays arabes. Ce vent de liberté avait touché les camps de Tindouf dont la jeunesse est opprimée et qui ne peut espérer sortir de cette situation que par ses propres moyens à travers les sacrifices qu’elle est disposée à faire face à ce qu’on appelle dans les camps «la bande». Ce nom est donné aux tortionnaires, aux trafiquants, aux détourneurs d’aides humanitaires et autres malfaiteurs érigés par les services de renseignements algériens en chefs de mouvement, prétendument de libération.
C’est alors que M’Rabbih Adda, en compagnie d’autres jeunes gens, fondèrent le Mouvement du 5 Mars pour dénoncer tous les maux auxquels sont soumises les populations des camps de Tindouf par les membres de la bande. M’Rabbih est bien introduit dans les milieux sahraouis, notamment de la jeunesse, du fait de son appartenance à une famille connue pour son savoir et l’enseignement coranique dont ont profité de nombreux jeunes Sahraouis.
Ce qui lui a permis de recadrer le sieur Bougattaya, parlementaire algérien membre du FLN et président de la Ligue algérienne d’amitié avec le peuple sahraoui. C’était lors d’un meeting organisé à l’occasion d’une visite qu’effectuait Bougattaya dans les camps vantant le soutien apporté par l’Algérie aux Sahraouis, que le jeune Adda prit la parole en déclarant : «M. Bougattaya, la lampe qui vous éclaire est payée par une ONG espagnole, les produits alimentaires que nous avons sont tous payés par des ONG qui versent leurs dons au HCR, les établissements scolaires, en terre battue ont été construits par nous et équipés par des ONG internationales tout comme les semblants de dispensaires où l’on envoie mourir les Sahraouis et où officient de jeunes stagiaires sahraouis et cubains. La question que je vous pose est : où est cette aide dont vous nous cassez les tympans ? A moins que vous ne pensiez aux millions de dollars que les services algériens versent à ceux qui les servent aveuglément et qu’ils ont imposé au commun des Sahraouis».
Ceci lui avait valu d’être surveillé et  enlevé, quelques jours plus tard, par des barbouzes algériens qui allaient lui réserver le même sort que Khalil Ahmed qui a été enlevé et dont on ignore le sort jusqu’au jour d’aujourd’hui.
Adda a eu la chance d’être reconnu  par l’un de ses geôliers du bagne d’Errachid  avec lequel il était en relation avant son arrestation. Ce qui lui permit  de réaliser un enregistrement pour dévoiler au monde enfin où le Polisario comptait le garder, sous la torture pendant 15 jours avant de le remettre aux Algériens qui l’avaient enlevé le premier jour.
Il a ainsi fait fuiter un enregistrement où il informait toutes les organisations humanitaires internationales de l’endroit où il était incarcéré et tenait  le HCR pour responsable de tout ce qui pouvait lui arriver.

Libé : Pourquoi teniez-vous le HCR pour responsable de tout ce qui vous est arrivé au bagne d’Errachid ?
Adda M’Rabbih : Pendant six mois, en compagnie d’un grand nombre de jeunes gens, nous avons organisé des sit-in même si je suis certain que tous les représentants de l’ONU dans les camps sont à la solde des renseignements algériens. Nous avons organisé toutes nos activités dénonçant la bande devant le bureau du HCR, car toutes nos revendications étaient adressées à l’ONU. Le Polisario qui m’avait arrêté à  deux reprises devant ce bureau du HCR que nous avions choisi pour nos sit-in pensant que son statut onusien allait nous couvrir,  a attendu je me sois absenté pour démonter la tente que j’avais dressée et communiquer aux services algériens que je me trouvais à Tindouf et qu’ils pouvaient me faire subir le même sort que Khalil. Les algériens me cherchaient d’ailleurs pour avoir dit à Bougattaya la vérité. C’était 25 jours après la dispersion par le Polisario du sit-in.
Quelles étaient les revendications que vous aviez formulées au HCR ?
Nos revendications étaient :
Tous, natifs des camps de Tindouf, donc en territoire algérien où nos parents ont vécu plus de quatre décennies, on revendiquait notre droit à la nationalité de notre pays de naissance.
Le droit à la carte de réfugiés qui nous permet de travailler et de nous installer partout ailleurs dans le monde.
La liberté d’expression et celle de circulation. Sachant que tout Sahraoui devant aller en Algérie, même à Tindouf, doit détenir un laissez-passer fourni par le Polisario.
Le droit de recevoir les aides humanitaires, directement des organisations internationales et non à travers la direction du Polisario qui les détourne et ne nous en donne que des miettes.
 Réparties comme suit : 1 kg de sucre, un kg de riz, un kg de lentilles, un litre d’huile et deux kg de farine par mois, les populations des camps doivent vivre avec ces rations, alors que les membres de la bande vivent dans des villas à Tindouf. Ils se font soigner dans les meilleurs hôpitaux européens ou américains et leurs enfants sont envoyés dans les plus grandes écoles américaines, espagnoles, françaises ou suisses.
Racontez-nous votre kidnapping par les barbouzes algériens et ce qui s’en est suivi.
J’étais à Tindouf, en plein mois sacré de Ramadan, lorsque trois individus masqués m’interpellèrent ; l’un d’entre eux, un géant de deux mètres,  me souleva, comme une poupée en faillant me tordre le cou. Ils me bandèrent les yeux et m’embarquèrent dans une voiture aux vitres fumées pour me conduire au secteur. Là on m’introduisit chez le général commandant du secteur. Celui-ci me traita des noms les plus abjects. Je restai stoïque, sans réaction, la tête baissée. Ce qu’il prit pour de la peur. Il  me demanda «lève ta tête, fils de…  et  ne réponds pas sale chien ». Je lui répondis dans le même langage en lui disant : «Tue-moi si tu peux» Ce qui était très audacieux de ma part car j’étais convaincu que ma mort n’avait aucune importance pour lui. Mais je préférais cette mort à la torture que me feraient subir ses sbires. C’était la direction du Polisario qui lui disait que pour me ramener à Rabouni, ils ont envoyé une équipe. Cette équipe à bord d’un véhicule sans vitre me conduisit directement au bagne hideux d’Errachid. C’était le 26 du mois béni. Deux jours durant, on me garda dans un trou où je ne pouvais me tenir qu’accroupi ou recroquevillé. Ils ne procédèrent pas aux tortures qui ont fait la renommée des geôliers d’Errachid. Le troisième jour coïncidait avec la fête d’Al Fitr. Mon geôlier amena un plat de viande dont la vue me dégoûta et je me mis à vomir. Voyant cela, le geôlier m’envoya l’assiette et son contenu à la figure, annonçant le  début de mes séances quotidiennes de torture.  Ces tortures qui durèrent 8 jours comportaient deux séances par jour dont je revenais, la plupart du temps, groggy. Mais l’enregistrement qui a  été diffusé par mon gardien de prison  a été repris par la presse  et les organisations internationales. Il avait ébranlé la direction du Polisario qui permit à mon père, qui est membre de leur prétendu Parlement, de me rendre visite. Mon état l’avait bouleversé au point de se mettre à pleurer. Il me dit que pendant tout ce temps qui a précédé la diffusion de l’enregistrement, le Polisario lui avait déclaré que c’est la sécurité algérienne qui m’avait arrêté et qu’il ne savait pas où j’étais, lui conseillant de s’adresser aux Algériens. C’est exactement le même sort qu’avait subi Khalil Ahmed dont le seul tort est d’avoir voulu dénoncer des actes de tortures et de disparition auxquels étaient mêlés des officiers de la fameuse DRS algérienne.
Comment êtes-vous parvenu à vous échapper du bagne ?
Le directeur de la sûreté du Polisario, sachant que mon problème est devenu international, a convenu avec ma mère sur laquelle il a fait pression, d’une sortie qui justifie ma libération. Malgré les visites que j’ai reçues dans ma cellule dont celle d’un médecin que je remercie pour honorer son serment de médecin et qui a dit au directeur de la prison que si je n’étais pas soigné, j’allais mourir, en plus des membres de ma famille, il a tenu à ce que je sois filmé par la chaîne de télévision du Polisario en déclarant que je n’ai jamais été emprisonné. Je fus donc libéré.
Que pensez-vous du problème artificiel du Sahara et quelle solution préconisez-vous pour ce conflit?
Ce problème a été créé et entretenu par l’Algérie dans le seul but de nuire au Maroc, à sa position en Afrique et à ses intérêts et les seules victimes sont les populations sahraouies dans les camps de Tindouf.
Selon les analyses faites par différents observateurs, partant du fait que le problème est créé par l’Algérie pour nuire au Maroc, la solution doit être trouvée à travers les négociations entre le Maroc et les vrais représentants des Sahraouis qui ne sont pas les membres du Polisario. Ces représentants doivent avoir les mains propres, ne pas être mêlés aux violations des droits de l’Homme perpétrées sur des Sahraouis et ces conditions sont remplies par les membres de l’Initiative sahraouie pour le changement. Sachant que face à la proposition du Maroc d’autonomie, l’Algérie n’a rien à proposer. Cette autonomie sous la souveraineté marocaine tant souhaitée par les populations des camps peut être réalisée à travers les membres de l’ISC.




 


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