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Shehrazade, narratrice dans les mille et une nuits, a vogué avec de nombreuses traductions de ses contes à travers les écrits, les mémoires et les inspirations de beaucoup d’écrivains romanciers. Elle se retrouve toujours vivante dans le roman diptyque de Tahar Ben Jelloun concerté dans L’Enfant de sable et La Nuit sacrée, adapté aussi au grand écran par Nicolas Klotz en 1993. Sa retrouvaille au sein de ces différentes écritures s’est manifestée aussi bien dans le mode du conte, de l’écriture que dans les noms et les caractères des personnages.
L'origine des Mille et une nuits est en fait difficile à déterminer exactement, faute de sources écrites. Les contes ont probablement été transmis par voie orale au monde arabe et ne sont écrits qu’à partir du XIIIe siècle. Ils sont donc le résultat de la fusion de nombreuses traditions avant qu’ils deviennent un texte arabe. Mais ce qui est important dans ce transfert d’un pays à un autre, d’une génération à une autre, c’est l’amour de la création artistique. L’incipit du premier volet du diptyque de Tahar Ben Jelloun commence en effet par l’utilisation de l’expression «Il y avait… ». La même formule a bien marqué Les Mille et une nuits traduits par Antoine Galland, citons à titre d’exemple «Le Marchand et le Génie», «Histoire du Pêcheur», «Histoire des trois Calendres, fils de Roi, et de cinq Dames de Bagdad ». La locution anéantie la provenance. La notion de la temporalité des événements relatés rejoint l’idée de l’incertitude des origines du récit, libère l’imagination, l’écriture et fait appel à la création littéraire. Herbert Quain affirmait d’ailleurs que «Divers bonheurs que peut procurer la littérature, le plus élevé était l’invention».
Le réalisateur de l’adaptation cinématographique de La Nuit sacrée a réussi, dès la première scène, imprégnée par des plans panoramiques des ruelles étroites et sombres de l’ancienne médina de Fès, à situer Ahmed né Zahra. Celui-ci s’exprime par voix-off pour pouvoir échapper au sort humiliant de la femme qu'il est originellement et à la fatalité qui poursuit son père et sa famille formée de sept autre filles. La scène met donc le spectateur dans la grande tradition du conte oriental, à une époque indéterminée. Le cinéaste avoue qu’il a «d'abord été porté par la fable, par la légende. Au-delà des questions existentielles».
L’héroïne Ahmed Zahra n’est en fait qu’une métamorphose de Shehrazade par son nom et par son bourreau Abbas. L’analyse au niveau des lettres entreprenant le nom de Shehrazade montre qu’il s’agit d’une simple transposition des mêmes lettres pour concevoir le nom d’Ahmed Zahra. L’invention de l’auteur est marquée aussi par la substitution de la lettre «S» par «M» pour dire Mhehrazade ou tout simplement «ma Shehrazade». Cette transmutation montre la préservation de l’âme de la conteuse, à travers l’écriture benjellounienne. Shehrayare, lui aussi, converti en personnage de Abbas, le meurtrier de la narratrice et dont le nom révèle la dynastie des Abbassides de trente-sept califes arabes et connaît son apogée sous les califats d’Harun al-Rachid et de son fils Al-Mamun, l’ère où Shahrayar a survécu.
La multiplicité des conteurs dans L’Enfant de sable, l’enjambement des chapitres, la manière de finir le dernier chapitre de La Nuit sacrée par le commencement d’une autre histoire, la transformation du personnage du Consul en conteur au dernier plan cinématographique, sont des dispositions stylistiques prises pour sauver l’aventure de l’écriture romancière face à son lecteur et son spectateur. En réponse à la demande de Théophile Gautier pour un nouveau sujet de conte, son épouse disait que « Votre sultan Schahriar … ressemble terriblement à notre public ; si nous cessons un jour de l’amuser, il ne nous coupe pas la tête, il nous oublie, ce qui n’est guère moins féroce ». La force de la résistance éternelle de Shehrazade réside alors dans le conte, l’inspiration esthétique du style des conteurs et de l’image acquise du cercle dans le mouvement du récit. Cette puissance ne peut que relever le défit de la création littéraire et artistique permanente à travers l’écriture future.
* Fac des Lettres et des sciences humaines, Dhar El Mehraz-Fès
L'origine des Mille et une nuits est en fait difficile à déterminer exactement, faute de sources écrites. Les contes ont probablement été transmis par voie orale au monde arabe et ne sont écrits qu’à partir du XIIIe siècle. Ils sont donc le résultat de la fusion de nombreuses traditions avant qu’ils deviennent un texte arabe. Mais ce qui est important dans ce transfert d’un pays à un autre, d’une génération à une autre, c’est l’amour de la création artistique. L’incipit du premier volet du diptyque de Tahar Ben Jelloun commence en effet par l’utilisation de l’expression «Il y avait… ». La même formule a bien marqué Les Mille et une nuits traduits par Antoine Galland, citons à titre d’exemple «Le Marchand et le Génie», «Histoire du Pêcheur», «Histoire des trois Calendres, fils de Roi, et de cinq Dames de Bagdad ». La locution anéantie la provenance. La notion de la temporalité des événements relatés rejoint l’idée de l’incertitude des origines du récit, libère l’imagination, l’écriture et fait appel à la création littéraire. Herbert Quain affirmait d’ailleurs que «Divers bonheurs que peut procurer la littérature, le plus élevé était l’invention».
Le réalisateur de l’adaptation cinématographique de La Nuit sacrée a réussi, dès la première scène, imprégnée par des plans panoramiques des ruelles étroites et sombres de l’ancienne médina de Fès, à situer Ahmed né Zahra. Celui-ci s’exprime par voix-off pour pouvoir échapper au sort humiliant de la femme qu'il est originellement et à la fatalité qui poursuit son père et sa famille formée de sept autre filles. La scène met donc le spectateur dans la grande tradition du conte oriental, à une époque indéterminée. Le cinéaste avoue qu’il a «d'abord été porté par la fable, par la légende. Au-delà des questions existentielles».
L’héroïne Ahmed Zahra n’est en fait qu’une métamorphose de Shehrazade par son nom et par son bourreau Abbas. L’analyse au niveau des lettres entreprenant le nom de Shehrazade montre qu’il s’agit d’une simple transposition des mêmes lettres pour concevoir le nom d’Ahmed Zahra. L’invention de l’auteur est marquée aussi par la substitution de la lettre «S» par «M» pour dire Mhehrazade ou tout simplement «ma Shehrazade». Cette transmutation montre la préservation de l’âme de la conteuse, à travers l’écriture benjellounienne. Shehrayare, lui aussi, converti en personnage de Abbas, le meurtrier de la narratrice et dont le nom révèle la dynastie des Abbassides de trente-sept califes arabes et connaît son apogée sous les califats d’Harun al-Rachid et de son fils Al-Mamun, l’ère où Shahrayar a survécu.
La multiplicité des conteurs dans L’Enfant de sable, l’enjambement des chapitres, la manière de finir le dernier chapitre de La Nuit sacrée par le commencement d’une autre histoire, la transformation du personnage du Consul en conteur au dernier plan cinématographique, sont des dispositions stylistiques prises pour sauver l’aventure de l’écriture romancière face à son lecteur et son spectateur. En réponse à la demande de Théophile Gautier pour un nouveau sujet de conte, son épouse disait que « Votre sultan Schahriar … ressemble terriblement à notre public ; si nous cessons un jour de l’amuser, il ne nous coupe pas la tête, il nous oublie, ce qui n’est guère moins féroce ». La force de la résistance éternelle de Shehrazade réside alors dans le conte, l’inspiration esthétique du style des conteurs et de l’image acquise du cercle dans le mouvement du récit. Cette puissance ne peut que relever le défit de la création littéraire et artistique permanente à travers l’écriture future.
* Fac des Lettres et des sciences humaines, Dhar El Mehraz-Fès