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A Moscou, l’aide aux sans-abri progresse loin des regards


Jeudi 7 Mars 2019

En une journée glaciale, une trentaine de sans-abri se réchauffent devant une vieille télé qui grésille. Inimaginable sous l’URSS, ce refuge se veut un symbole des efforts entrepris à Moscou pour aider les personnes sans domicile... en les éloignant du centre-ville.
Equipé d’un masque médical pour limiter les risques de transmission de maladies, un employé tient le registre de ce préfabriqué ouvert 24H sur 24 au centre d’accueil de Lioublino, un quartier excentré de la capitale, dans le sud-est de Moscou. Au fond de la salle, une jeune femme pleure en silence.
“C’est un centre modèle en Russie”, assure Sergueï Timochenkov, le directeur des lieux, qui comptent 1.000 lits, deux abris chauffés et 474 employés.
Les sans-abri peuvent s’y laver, manger, être soignés, obtenir des vêtements et pour certains une aide juridique et psychologique. En complément des services sociaux, 27 associations travaillent sur place. En hiver, la condition de sobriété imposée pour séjourner dans ce lieu d’hébergement d’urgence est levée.
En dix ans, cette structure est devenue le fer de lance de la municipalité dans la prise en charge des sans-logis, réprimés pendant la période soviétique au nom de l’interdiction de la mendicité et apparus en masse dans les années 1990 avec l’effondrement économique qui a suivi la chute de l’URSS. Il existe cinq autres centres plus petits, spécialisés notamment dans l’accueil des femmes ou des anciens détenus.
Les ONG reconnaissent des progrès et une professionnalisation dans ce domaine.
Mais elles critiquent la mise à l’écart d’une population exposée à des conditions extrêmes et toujours très stigmatisée, dans le sillage de la transformation radicale entreprise à Moscou ces dernières années pour accueillir la Coupe du monde 2018 notamment.
“La politique actuelle est de mettre hors de vue les sans-abri”, constate Daria Baïbakova, responsable de l’ONG Notchelejka, qui demande des structures faciles d’accès “dans chaque quartier” plutôt que “dans des zones industrielles éloignées”.
Elle souligne l’impact de l’histoire, évoquant de “longues années de stigmatisation” héritée de la politique anti-mendicité en URSS.
Sous la pression des habitants, son association a dû renoncer en octobre à l’ouverture d’une laverie à disposition des sans-logis à proximité du centre-ville. “Certains riverains menaçaient de frapper nos employés, de brûler la blanchisserie voire de tuer les sans-abri”, raconte Mme Baïbakova.
Pour sortir ces personnes de la rue et les conduire à Lioublino, la mairie s’appuie sur une “patrouille sociale”, une équipe de 30 véhicules.
“Depuis l’arrivée des patrouilles, le nombre de sans-abri a beaucoup baissé car nous avons commencé à les soigner, à les transporter, à les ramener chez eux et donc progressivement à les évacuer des rues”, indique un membre de cette patrouille, Irakli Kakabadzé.
Les sans-abri ont quasiment disparu d’un centre-ville désormais rutilant avec ses nouveaux parcs, trottoirs élargis et pistes cyclables. Difficile d’établir des statistiques fiables mais ils seraient pourtant quelque 14.000 à Moscou sur 12 millions d’habitants, selon l’estimation de la mairie.
Au rez-de-chaussée du centre de Lioublino, l’infirmerie donne un aperçu des blessures du froid russe : des sans-abri aux plaies sanguinolentes, dont un certain nombre d’amputés, attendent d’être pris en charge par une équipe médicale mise en place il y a un an et demi.
Ioura, amputé de huit doigts et de ses deux jambes après de graves gelures, a passé la nuit au centre avec sa compagne. Originaire de Donetsk, dans l’Ukraine en guerre, il dit avoir perdu son passeport.
“Nous allons repartir”, admet-il, amer. N’étant pas enregistré comme résident de la capitale, l’administration lui interdit de participer aux programmes de réinsertion.
Certains Moscovites peuvent rester plusieurs mois. Mais seul l’hébergement d’urgence est proposé à Ioura - jusqu’à 8h du matin, heure après laquelle les sans-abri trainent aux alentours du centre, ou dans certaines gares, sans forcément retourner dans le centre-ville.
Au sein de la patrouille sociale, Irakli Kakabadzé gère ce jour-là un bus où les sans-abri peuvent se réchauffer près de la place des Trois gares, l’un des grands carrefours de la mégapole où transitent banlieusards et touristes.


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