A Abidjan, on peut louer une kalachnikov pour 30 euros


Libé
Vendredi 17 Août 2012

A Abidjan, on peut louer une kalachnikov pour 30 euros
Certains à Abidjan ont besoin d'une "machine" pour "aller sur le terrain". Traduction d'un trafiquant: ils veulent une arme pour commettre un braquage. Dans la capitale économique ivoirienne, plus d'un an après la fin d'une crise armée, on peut louer une kalachnikov pour 30 euros.
"Les +kalach+, ça court les rues à Abidjan", se lamente un policier membre d'une unité de lutte contre le grand banditisme, interrogé par l'AFP.
Dans un quartier populaire, un trafiquant qui se fait appeler "commandant Tasman" (le feu, en langue malinké) opère dans l'arrière-cour d'une boutique transformée en armurerie clandestine. Carrure de basketteur et lunettes noires, il brandit fièrement une "kalach" et annonce ses tarifs.
Vingt mille francs CFA (30 euros) la journée pour louer ce type de fusil d'assaut, entre 150.000 et 200.000 FCFA (230-300 euros) à l'achat, un pistolet automatique autour de 15.000 FCFA (23 euros) à la location et environ 150.000 FCFA à l'achat. "Tasman" explique pouvoir même fournir des lance-roquettes, pour 500.000 FCFA (750 euros) l'unité.
Il était de ceux qui ont combattu pour le président Alassane Ouattara durant la crise de décembre 2010-avril 2011, née du refus de l'ex-chef d'Etat Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à l'élection de novembre 2010.
Epilogue d'une décennie de tourmente politico-militaire, la crise s'est terminée par dix jours de guerre à Abidjan, a fait quelque 3.000 morts et vu une prolifération sans précédent d'armes en tous genres, en violation flagrante d'un embargo sur les armes décrété par l'ONU en 2004.
Des dizaines de milliers d'armes seraient aujourd'hui en circulation, selon des estimations faites en l'absence de données officielles.
Si l'insécurité a reculé en plus d'un an, le phénomène inspire l'inquiétude et favorise les actions des bandits, notamment des "coupeurs de route" présents en particulier dans le nord du pays.
Et l'attaque contre un commissariat et un poste de contrôle de l'armée par des inconnus "lourdement armés", qui a fait officiellement cinq morts parmi les militaires dimanche dans un quartier d'Abidjan, est venue rappeler l'ampleur du problème de la circulation des armes.
Structure étatique créée en 2009, la Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de petit calibre (Comnat) tente, à travers des opérations de sensibilisation et avec le soutien de la force onusienne Onuci, d'obtenir que les ex-combattants rendent volontairement leurs armes.
"Le pays n'a plus besoin de ça, on sort de la crise. C'est la reconstruction du pays qui s'impose à tout le monde", expliquait le général Désiré Adjoussou à l'occasion d'une cérémonie de destruction d'armes mi-juillet à Abidjan.
Mais guère plus de 2.000 armes ont pu jusque-là être collectées et stockées par l'Onuci. Une goutte d'eau.
"Nous avons pris des armes lors de la bataille d'Abidjan, mais rares sont ceux qui les ont rendues", confirme "Jagger", un ex-milicien pro-Gbagbo devenu boucher. "Mon arme est un souvenir", lâche-t-il, installé derrière son étal.
Un autre ancien milicien, désormais vigile dans un quartier chic, a préféré enterrer dans un terrain vague les kalachnikovs que lui et ses compagnons ont utilisées lors des combats. S'il ne les restitue pas, c'est par peur d'être identifié et de subir les foudres de l'armée, confie-t-il.
Pour Adama, ex-combattant pro-Ouattara, la situation du pays reste trop incertaine pour qu'il se débarrasse de sa "machine". "On parle de plus en plus d'un éventuel retour de Gbagbo et ça (la crise, ndlr) peut recommencer", soutient-il.
Prévue à partir du 13 août, l'audience de confirmation des charges pesant sur l'ancien président, incarcéré à La Haye par la Cour pénale internationale (CPI) qui le soupçonne de crimes contre l'humanité, a été reportée sine die dans l'attente d'une évaluation médicale. Mais en Côte d'Ivoire certains craignent ou espèrent sa libération, d'autres la jugent improbable.
Une chose est certaine: inutile, pour les ex-combattants, d'attendre que les autorités leur rachètent leurs armes, comme cela avait été envisagé un temps. "Il n'en est pas question", insiste le général Adjoussou, car "cela développerait le trafic".
Les milliers d'ex-combattants devraient en revanche être pris en charge par un futur programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR).
Réclamé par l'Onuci et les partenaires internationaux de la Côte d'Ivoire et promis par le gouvernement, ce programme jugé crucial pour la stabilité du pays se fait toujours attendre.


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