Cette façade contemporaine occulte pourtant l'une des odyssées maritimes les plus remarquables, car il fut un temps où Quanzhou représentait le point de départ et d'arrivée oriental de l'ancienne Route maritime de la soie, voie commerciale qui unissait la Chine aux rivages de Perse, d'Arabie et d'Afrique, jusqu'aux côtes atlantiques marocaines.
En ces temps reculés, les négociants musulmans désignaient cette cité portuaire sous le nom de "Zaytoun", appellation dont l'étymologie témoigne à elle seule de la richesse des échanges culturels qui s'y déployaient.
Le terme dérive vraisemblablement du chinois "Citong", mot qui désigne l'érythrine, un arbre aux fleurs d'un rouge écarlate dont on ornait les remparts de la cité. Les marchands musulmans en auraient adapté la phonétique, l'appelant "Zaytoun", mot signifiant "olivier" en langue arabe.
Le célèbre voyageur vénitien Marco Polo, qui aurait foulé les quais de Quanzhou à la fin du XIIIe siècle, évoque la ville sous le nom de "Çaiton". Dans son ouvrage "Le Devisement du monde", il exprime son émerveillement devant l'abondance de soieries, de porcelaines, d'épices et d'autres marchandises précieuses qui y transitaient.
Un siècle plus tard, le témoignage de l'explorateur marocain Ibn Battouta allait livrer une description encore plus saisissante de ce port médiéval.
"Lorsque nous traversâmes la mer, la première ville où nous arrivâmes fut Zaytoun. Cette ville ne possède pas d'oliviers, pas plus que l'ensemble des pays de Chine et d'Inde. C'est simplement un nom qu'on lui a conféré", écrit Ibn Battouta dans son célèbre récit de voyage, la Rihla.
L'infatigable voyageur, parvenu en Chine au crépuscule de la dynastie Yuan vers 1345-46, raconte que Quanzhou était "une ville immense où l'on fabrique des étoffes de kamkha (brocart, Ndlr) et d'atlas (satin, Ndlr), qui sont connues par son nom et sont supérieures aux étoffes de Khansa (Hangzhou, Ndlr) et de Khanbaliq (Beijing, Ndlr)".
"Son port est l'un des plus grands du monde, ou plutôt le plus grand. J'y ai vu environ une centaine de grandes jonques, quant aux petites, elles sont innombrables", observe-t-il, notant que "dans cette ville, comme dans toute la Chine, les hommes possèdent un jardin et une terre avec une maison au milieu, comme c'est le cas dans la ville de Sijilmassa dans notre pays".
Ibn Battouta relève aussi que la porcelaine chinoise s'exportait depuis Quanzhou "vers l'Inde et toutes les contrées jusqu'à atteindre notre pays, au Maroc".
Au-delà de l'activité commerciale, Ibn Battouta fut frappé par l'organisation des communautés musulmanes en Chine, dont la présence était loin d'être anecdotique. Des marchands arabes, persans et indiens avaient en effet établi des communautés permanentes à Quanzhou, comme en témoigne la mosquée Qingjing, l'une des plus anciennes de Chine, fondée en 1009.
Aujourd'hui encore, le Musée de l'histoire des communications maritimes de Quanzhou préserve les vestiges tangibles de ce cosmopolitisme d'antan, parmi lesquels une remarquable collection de stèles funéraires islamiques remontant aux XIIIe et XIVe siècles.
A l'entrée de ce musée, se dresse une statue d'Ibn Battouta. L'œuvre représente le voyageur tangérois debout, le regard tourné vers l'horizon, vêtu d'une longue robe traditionnelle et coiffé d'un turban, tenant un manuscrit évoquant probablement sa Rihla.
Une plaque commémorative en granit noir, rédigée en chinois et en anglais, accompagne le monument. Ibn Battouta y est présenté comme un "grand voyageur marocain" ayant parcouru quelque 120.000 kilomètres à travers 44 pays avant de débarquer à Quanzhou, en 1346.
En arrière-plan de la statue, se déploie un imposant bas-relief en pierre qui illustre des scènes de la vie portuaire de Quanzhou au XIVe siècle. On y voit des jonques chinoises voguant sur les flots, des marchands de diverses origines, ainsi que des échanges commerciaux entre négociants chinois et étrangers.
Sept siècles après le passage d'Ibn Battouta à Quanzhou, c'est dans la pierre que la ville chinoise a donc choisi de perpétuer sa mémoire, comme pour attester que l'âge d'or maritime de l'Empire du Milieu fut aussi celui du dialogue des civilisations, et qu'un voyageur venu des rivages atlantiques du Maroc contribua, par sa plume, à en capturer à jamais l'éclat.
En 2021, l'inscription de Quanzhou au patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) est venue consacrer cet héritage.
Par Al Mustapha Sguenfle (MAP)









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