La question est-ce la Palestine ? Ou les Arabes ?

El Maleh contre Memmi


Najib Allioui
Lundi 4 Août 2025

La question est-ce la Palestine ? Ou les Arabes ?
Il s’agit juste de montrer ici comment deux Juifs pensent le problème juif, pour ainsi dire. Un petit rappel des origines ne serait pas anodin. L’un est tunisien, l’autre est marocain. Sur donc quoi exactement le tunisien Memmi (1920-2020) et le marocain El Maleh (1917-2010) ne s’entendent-ils pas ?
Deux références sont à citer. D’une part, l’ouvrage Juifs et Arabes d’A. Memmi (1974), d’autre part, l’article «Juifs marocains, Marocains juifs» d’E. A. El Maleh (1977).

Dans Juifs et Arabes, explique El Maleh, Memmi défend la thèse que les Juifs n’ont jamais trouvé chez les Arabes une terre amie, que les Arabes rejettent à jamais les Juifs. En cela, Memmi n’échappe pas à la stratégie sioniste et par conséquent il est sioniste d’une certaine manière: «Dans la stratégie du sionisme, écrit El Maleh dans son article, c’est, on le conçoit, une pièce décisive, un enjeu déterminant. Albert Memmi s’est attaché à cette singulière besogne» (1977).
Il faut dire qu’El Maleh reproche à Memmi d’être un raciste, lui qui ose se présenter comme «historien juif oriental», c’est-à-dire préoccupé de faire voir les choses elles-mêmes, sans les manipuler pour une telle ou telle idéologie raciste et impérialiste. 
Si Memmi reconnaît que les Arabes furent colonisés, il n’en demeure pas moins qu’il soutient, dans la préface qu’il a consacrée à son ouvrage, l’idée que les Juifs étaient humiliés, pendant des siècles, par les Arabes musulmans : «La fameuse vie idyllique des Juifs dans les pays arabes est un mythe» (1974).

Cela est grave, dit El Maleh, car il implique un grand mensonge qui se cache derrière une telle assertion, apparemment et faussement modeste. C’est que Memmi fait une confusion grave, entre les Juifs d’Europe centrale, sur lesquels l’attention a été centrée, à l’époque, et les Juifs arabes, qui n’y sont pour rien.

«Etablir un parallèle entre la situation des Juifs arabes, même si on admettait un instant qu’elle soit conforme à ce qu’en a décrit Albert Memmi, et l’institution méthodique et délibérée des camps d’extermination hitlériens dont jamais l’histoire n’a donné l’exemple ! Jamais aucun pays arabe, et nous mettons au défi M. Albert Memmi d’en apporter la preuve contraire, n’a connu, à l’exemple de l’Allemagne hitlérienne, une telle politique d’extermination érigée en institution étatique et servant de fondement et de raison d’être au régime nazi dans la totalité de ses aspects » (1977).
C’est dire que l’écrivain franco-tunisien a été dupe de l’idéologie étatique sioniste qui s’assigne pour tâche de donner du monde arabe l’image d’un ennemi, à battre.

Pire encore. A. Memmi falsifie l’histoire des Juifs en donnant l’exemple du Maroc et explique qu’à Oujda, Casablanca, Fès, les Juifs ont été massacrés. Mais à quelles sources sont puisés ces faits ? se demande El Maleh. Réponse : Rien. Selon El Maleh, il y a là une manipulation facile à démontrer. Rappelons qu’en 1907, la France occupe déjà Oujda, entre autres, ce qui fait qu’en tentant en vain de résister à l’envahisseur, des victimes devaient avoir lieu, dont évidemment les Juifs du Maroc, mais sans être les seules victimes, car ils n’étaient pas visés tant et si vrai que la tâche était de coloniser tout le pays. Il en va de même de 1912, une date qui a été marquée par la violence, dont ont résulté plusieurs victimes, puisque tout le pays a été ensanglanté. Cela concernait tous les Marocains, pas seulement les Juifs, d’ailleurs, au Maroc, à cette époque, on était tous Marocains, et on vivait en paix. En 1948, il ne s’est presque rien passé, contrairement à l’existence de l’Etat d’Israël créé afin d’attiser le feu de la haine entre Musulmans et Juifs.

Il faut dire qu’El Maleh reproche à Memmi d’être un raciste, lui qui ose se présenter comme «historien juif oriental», c’est-à-dire préoccupé de faire voir les choses elles-mêmes, sans les manipuler pour une telle ou telle idéologie raciste et impérialiste.

Bref, il faut lire El Maleh: «Inutile de poursuivre plus loin. Il est temps de rompre avec le type de pensée totalitaire, spécifique de toute idéologie et dont nous venons de voir une parfaite illustration. S’enfermer dans une attitude manichéenne, ne voir rien d’autre, pour ce qui concerne les Juifs marocains notamment, que l’alternative: l’enfer ou l’éden, c’est la démarche propre de la pensée schématisante, nécessairement génératrice d’aliénation et donc d’erreur. Pas plus d’ailleurs qu’une voie moyenne, faite de compromis et de dosage, n’est susceptible de conduire à la vérité. Toute conceptualisation totalitaire et totalisante, par le fait qu’elle opère par identification, par réduction à l’identité, est conduite de son propre mouvement à nier ce qui est irréductiblement autre, spécifique dans sa différence et sa vérité. Nous en avons eu un exemple quand Memmi, de propos délibéré, a tenté de nier une situation multiple, ordonnée selon une historicité discontinue, et ce par l’affirmation pure et simple d’un prétendu antisémitisme érigé en instrument opératoire universel» (1977).

Par Najib Allioui
 
 
 

Najib Allioui
Lundi 4 Août 2025

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