Voix off : Au cinéma, le réalisme, ce n'est pas le réel !


Mohammed Bakrim
Vendredi 15 Mai 2009

J'étais, mardi dernier,  l'invité de l'école de cinéma de Marrakech où j'ai présenté des extraits de films marocains. L'intérêt des jeunes cinéastes pour connaître le cinéma de leurs aînés fait chaud au cœur. Cela rassure;  la transmission qui est une éthique de l'acte pédagogique est en marche. Cela n'empêche pas le débat. Et les questions que m'ont posées les étudiants de cinéma ont porté principalement sur le rapport cinéma réalité. Vieux débat mais toujours passionnant…
Vous vous rappelez certainement ce beau film de François Truffaut « La nuit américaine ». Il est formidable dans sa présentation de l’univers du cinéma comme il l’est dans sa présentation de la perception de Truffaut et des rapports entre le cinéma et la vie. Voici un extrait du scénario : “Je sais, il y a la vie privée...mais la vie privée, elle, est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n’y a pas d’embouteillage dans les films, il n’y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est fait pour être heureux dans le travail… dans notre travail de cinéma”.
Depuis sa naissance, le cinéma a été confronté à  la question du statut du réel à partir de la distinction théorique documentaire-fiction. Les images projetées renvoient-elles à un référent ou sont-elles l’expression d’un imaginaire? Les conditions de tournage sont à ce niveau un indicateur pertinent permettant de préciser la nature du regard porté sur une réalité.  Quand on est dans un spectacle, le niveau de la réception cette fois, peut-on dire que nous sommes dans un rapport à des données réelles ou nous sommes déjà dans les conditions d’une fiction?
Une distinction peut intervenir au niveau de l’information accompagnant le film (la délimitation en genre par exemple); à ce niveau, on peut parler alors du film documentaire et du film de fiction permettant ainsi au spectateur d’adopter une attitude à son égard.
Ce débat n’est pas fortuit, d’abord pour ses vertus didactiques, ensuite il se pose au moment où le cinéma marocain est porté par un désir de témoigner de plus en plus évident à l’égard par exemple des années de plomb. Des scénarios portés par l’ambition de décrire, de restituer des moments de ces années terribles. Mais comment procéder? Il faut reconnaître que le projet est bloqué par la surcharge thématique qu’il véhicule dans la mesure où il fait appel à un désir d’imaginaire et par une volonté de témoignage. Nous retrouvons ici une caractéristique majeure du cinéma marocain, à savoir le verrouillage du récit par l’histoire ; la narration sublimée par la monstration.
Peut-être que dans chaque cinéaste, il y a un documentariste frustré (Voir Latif Lahlou dans son premier film « Soleil de printemps »). Le documentaire est la structure absente de notre production audiovisuelle : peut-être qu’une activité florissante  autour du documentaire aurait libéré l’expression de l’imaginaire aujourd’hui en panne (même si mon ami Lagtaâ avait déjà critiqué cette notion sur nos colonnes). Je dirai aussi que le passage par le documentaire est aussi une école qui favorise une maîtrise de l’outil cinématographique. Le passage du documentaire est aussi une question de transfert de signification. Récit fictionnel ou projet de description passe également par l’organisation de l’activité de la caméra. Libéré du souci de témoigner, la narration cinématographique s’autonomise. Gros plans, plans américains, plans généraux se succèdent; l’ellipse, le montage alterné, le montage parallèle font que le statut du réel au cinéma devient formaté par le langage. On passe tout simplement de la réalité à la diégèse.


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