Un gouvernement déconnecté, une société sous pression

L’exécutif face à l’épreuve de la réalité


Libé
Mercredi 31 Décembre 2025

Un gouvernement déconnecté, une société sous pression
A mesure que l’année s’est déployée, un contraste de plus en plus saisissant s’est imposé entre la parole officielle et la réalité vécue par les Marocains. D’un côté, un chef du gouvernement multipliant les interventions médiatiques, affichant une confiance inébranlable et revendiquant des succès à répétition. De l’autre, un pays traversé par des tensions sociales persistantes, un chômage qui s’enracine, des services publics fragilisés et des territoires entiers relégués à la marge du développement. Ce décalage n’est plus conjoncturel. Il est devenu structurel. Il révèle un exécutif enfermé dans ses propres promesses, coupé de son environnement social, économique et territorial.

La gouvernance actuelle semble fonctionner en circuit fermé. Les slogans se succèdent, les chiffres sont brandis, les bilans sont proclamés, mais la traduction concrète de ces engagements demeure introuvable sur le terrain. Derrière l’optimisme médiatique soigneusement entretenu, la réalité sociale continue d’opposer une résistance brutale. Le cœur même de la promesse gouvernementale, celle d’un Etat social protecteur et inclusif, apparaît aujourd’hui comme le lieu principal de la désillusion.

La généralisation de la couverture médicale, présentée comme une avancée historique, illustre ce fossé entre l’annonce et l’effectivité. Les chiffres avancés impressionnent, mais ils dissimulent mal les failles profondes du système. Un pays qui manque de dizaines de milliers de médecins et d’infirmiers ne peut garantir un accès réel et digne aux soins, quelles que soient les proclamations officielles. La faiblesse de la densité médicale, très en deçà des standards internationaux, et le renoncement massif aux soins pour des raisons financières ou géographiques, rappellent que la santé publique ne se décrète pas, elle se construit. En l’absence de ressources humaines suffisantes, de gouvernance hospitalière efficace et d’investissements ciblés, la promesse se transforme en illusion.

Le même schéma se reproduit sur le front de l’emploi. Là encore, les engagements initiaux ont laissé place à une réalité plus sévère. Le chômage persistant, particulièrement chez les jeunes et les femmes, traduit l’échec d’une politique incapable de créer des emplois stables et décents. Les programmes lancés par le gouvernement, souvent présentés comme des leviers de relance, peinent à dépasser le stade du traitement statistique. Derrière les contrats temporaires et les dispositifs précaires, l’économie réelle continue de produire de l’exclusion et de l’incertitude. La perte nette de postes de travail n’est pas un accident, elle est le symptôme d’une stratégie économique sans profondeur sociale.

La reconstruction du Haouz est devenue, à son tour, un révélateur cruel de cette gouvernance de façade. Les chiffres avancés sur les plateaux de télévision contrastent violemment avec la lenteur observée sur le terrain. Des familles entières vivent encore dans des conditions indignes, tandis que la communication officielle s’efforce de transformer des intentions en réalisations. Ce décalage nourrit un sentiment d’abandon et fragilise la confiance dans l’action publique, car la douleur sociale ne se mesure pas en tableaux statistiques, mais en vies suspendues.

A ces échecs tangibles s’ajoute une méthode de gouvernance préoccupante, marquée par la fermeture et l’absence de dialogue. Le chef du gouvernement semble considérer que la majorité parlementaire suffit à épuiser la légitimité démocratique. L’opposition, pourtant consacrée par la Constitution comme force de proposition et de contrôle, est reléguée à un rôle marginal, privée d’un véritable espace de débat. Les échanges parlementaires se vident de leur substance, réduits à des réponses formatées et sans engagement réel.

Le dialogue social, longtemps promis comme pilier de la gouvernance, s’est enlisé dans l’attentisme et la surdité. Les mouvements de protestation dans l’éducation, la santé et la fonction publique témoignent d’un malaise profond, entretenu par l’absence d’écoute et le non-respect des engagements pris. Lorsque même les institutions consultatives alertent sur les risques d’une gouvernance sans concertation, c’est que la crise n’est plus seulement sociale, elle est institutionnelle.

Cette coupure avec la société se manifeste également dans l’aggravation des fractures territoriales. Le Maroc continue d’avancer à plusieurs vitesses. Tandis que les métropoles concentrent les investissements, les infrastructures et les opportunités, de vastes zones rurales et montagneuses demeurent en marge. La pauvreté y persiste à des niveaux alarmants, l’accès aux services de base reste inégal, et le sentiment d’abandon se renforce. L’équité territoriale, pourtant brandie comme un principe fondateur de l’action publique, reste largement théorique.

Ce décalage entre le centre et les périphéries n’est pas qu’un problème de développement, il est un enjeu de cohésion nationale. En laissant se creuser les inégalités territoriales, l’exécutif fragilise le lien social et nourrit une défiance silencieuse mais profonde. Les grands projets d’infrastructures ne peuvent masquer durablement l’absence d’une politique de rattrapage ambitieuse et solidaire.

Au fond, la faillite de cette gouvernance dépasse le simple bilan sectoriel. Elle est d’abord politique. Elle réside dans l’incapacité à reconnaître la pluralité des acteurs, à ouvrir des espaces de dialogue, à accepter la contradiction comme une richesse démocratique. En s’isolant dans une communication autosatisfaisante, l’exécutif se coupe de la société réelle et creuse un fossé dangereux entre les institutions et les citoyens.

Dans ce contexte, la question de l’alternative devient centrale. Les forces socialistes et progressistes, et au premier rang l’Union socialiste des forces populaires, portent une responsabilité historique. Celle de proposer un projet crédible, fondé sur la justice sociale, l’équité territoriale et la démocratie participative. Celle de rappeler que gouverner, ce n’est pas s’auto-congratuler, mais rendre des comptes, écouter et corriger.

L’histoire retiendra sans doute moins l’accumulation de promesses que la capacité à les transformer en actes. Elle jugera aussi la faculté des forces progressistes à incarner une rupture méthodologique et morale avec une gouvernance refermée sur elle-même. Car l’enjeu dépasse une majorité ou un mandat. Il concerne l’avenir du lien démocratique, la confiance collective et la possibilité pour le Maroc de renouer avec une trajectoire de progrès partagé, lucide et durable.


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