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Un certain 23 mars 1965 ...

Commémoration aujourd’hui du 54ème anniversaire des évènements tragiques de Casablanca


J.R
Samedi 23 Mars 2019

Il est des souvenirs comme de la vie. Il y en a qui sont heureux, d’autres qui sont tristes et d’autres, enfin, qui marquent notre mémoire collective au fer rouge. Ceux du 23 Mars 1965 en font encore partie même si ceux qui en ont vécu les péripéties sont sexagénaires.
Retraités de la vie active ou victimes d’une société qui les a condamnés aux indicibles affres de la précarité et des métiers de l’informel, ils en ont été marqués à jamais.
Leurs mémoires dont l’âge a estompé nombre de mésaventures, gardent néanmoins  souvenance de ce jour.
A jamais marqué au feu rouge, à l’instar de la couleur rouge sang qui a dépeint nombre de quartiers de Casablanca où beaucoup de citoyens ont trouvé la mort. Tirés comme à l’exercice par des forces de l’ordre et des militaires peu respectueux de la loi et drapés  d’une légitimité qu’ils croyaient puiser dans l’ineffable concept d’usage légitime de la force. Un usage légitime, certes, mais qui n’aurait pas dû être si disproportionné. L’histoire les a jugés, mais l’Etat ne les a jamais condamnés. L’histoire a également donné raison à leurs victimes qui avaient mis le doigt, sans le savoir, sur un  mal qui rongera le Maroc depuis.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres, fut, en effet, la circulaire du ministre de l’Education nationale, feu Youssef Belabbès, datée de mars 1965 et interdisant aux lycéens de plus de 17 ans de redoubler au brevet (Certificat d’études secondaires).
Dans le calme et en bon ordre, des élèves casablancais manifestèrent leur opposition à cette mesure. Le lendemain, les ouvriers et les jeunes chômeurs les rejoignirent et, le 23 mars, c’est tout Casablanca qui s’est soulevé. 
La police est alors intervenue avec force et la manifestation a tourné à l’émeute. Les parents sont sortis dans la rue demander la libération de leurs enfants incarcérés, les chômeurs pour réclamer du travail, les étudiants des bourses. Des combats de rue les opposèrent aux forces de l’ordre et la contagion a gagné d’autres villes que Casablanca.  Il a fallu faire appel au général Oufkir en personne pour réprimer ces émeutes dans le sang. 
La nuit du 24 mars, les dirigeants de la Fédération de l’enseignement sont arrêtés et le soir même, les brigades spéciales sont entrées en scène.  A la demande du groupe UNFP, le Parlement a constitué une commission d’enquête, mais le gouvernement ne l’a pas autorisée à poursuivre son travail plus avant. La presse est saisie et les tribunaux régionaux multiplient les condamnations. 
Le 25 mars, le calme est rétabli au prix d’un nombre incalculable de vies humaines et de dégâts.
Quelques jours plus tard, S.M Feu Hassan II est intervenu à la télévision pour reconnaître l’existence du chômage et de la crise économique et prédit que «l’avenir n’est pas prospère à courte échéance».  Il a, par la suite, entamé quelques démarches auprès de l’opposition mais jugé ses revendications inacceptables parce que se focalisant sur le partage institutionnalisé du pouvoir.
Après quelques atermoiements, c’est finalement la fuite en avant : le 7 juin 1965, le Souverain annonce l’état d’exception qui a mis un terme à l’expérience inaugurée par l’adoption, en décembre 1962, de la Constitution et, le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka est enlevé à Paris et assassiné.
Interrogé au soir de sa vie par Eric Laurent, Feu Hassan II est revenu sur cette date dans l’ouvrage «La mémoire d’un Roi»: «Il ne s’agissait pas d’événements dont la fatalité était inscrite en filigrane, dans le cours des choses. C’étaient des flambées. Rien ne les laissait prévoir». Mars 1965, selon le Souverain, n’est rien d’autre que le «passage d’un âge à un autre âge, mais je n’ai jamais pu comprendre que ce passage à une autre époque ait pu avoir des effets aussi violents. De toute façon, c’était un épisode malheureux», dira-t-il.  De fait, un épisode annonciateur de tout un cycle d'émeutes et qui a eu pour conséquence une mise du pays sous une chape de plomb, une recrudescence de la répression et une floraison de l’économie de rente et de la corruption dont les citoyens ont payé le lourd tribut de leur bien-être, voire, parfois, de leur vie. 
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. En 54 ans, le visage du Maroc a certes beaucoup changé, mais il n’en demeure pas moins que ces évènements mériteraient d’être mieux analysés et compris.
Comprendre, c'est apprendre à vivre, disait à cet effet le sociologue et spécialiste américain de sciences politiques Seymour Martin Lipset. Comprendre c'est, en fait, ne plus être étranger à sa propre histoire. C'est ne plus se sentir exclu du monde tel qu'il va, tel qu'il nous mène et nous entraîne. C'est entrevoir la possibilité d'agir, échapper à la fatalité, sortir de la passivité, reprendre sa part de liberté. Oui, comprendre, c'est-à-dire ne pas faire semblant de savoir, mais savoir vraiment. Ne pas se rassurer à bon compte, ne pas refuser, ou seulement effleurer la réalité, ne pas prendre le mensonge pour la vérité, préférer la connaissance à la croyance et, surtout, faire face à l'événement, dans sa cruauté et sa brutalité.


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