Subventions à l’agriculture africaine : Une fausse bonne idée !


Par Louis-Marie Kakdeu PhD& MPA.
Vendredi 5 Octobre 2018

Dans l’imaginaire politique, il est très répandu qu’il faut octroyer des subventions aux agriculteurs pour soutenir la production. Ainsi, d’un pays à l’autre, l’on subventionne l’agriculture sous plusieurs formes, mais toujours en vain. Dans les faits, l’agriculteur n’est pas le principal bénéficiaire des subventions et l’agriculture africaine n’est toujours pas compétitive. Par conséquent, le continent dépend massivement des importations alimentaires. Les projections de la FAO situaient en 2017 le coût des importations africaines à quelque 41 milliards de dollars, soit une hausse de 11% par rapport au montant enregistré en 2016. De sont côté, la BAD estime que la facture pourrait grimper à 110 milliards à l'horizon 2025. Pourquoi les subventions ne fonctionnent-elles pas ?
Des approches centralisées inadéquates
Beaucoup de bailleurs de fonds choisissent de subventionner les études préalables, ce qui s’est révélé inadéquat. Par exemple en 2013, la BAD a mis sur pied un Fonds pour l’accélération du développement agricole (FADA) qui octroie des subventions pour couvrir les coûts de conception des projets (études de faisabilité, études de marché, modélisation financière, développement de plan d’affaires et études d’impact environnemental et social). Or, cela a très peu d’impact sur la productivité pour la simple raison que le marché africain, même à l’intérieur de chaque pays, n’est pas une réalité homogène  nécessitant une approche globale. En l’état, les bailleurs de fonds ont la prétention de remplacer les chambres consulaires des différents pays (chambre de commerce, chambre d’agriculture) qui ont la compétence au niveau local de mener des études pertinentes. Leurs études macroéconomiques sont inadéquates pour la création d’entreprises au niveau local. Il convient plutôt de soutenir la structuration et l’autonomisation des chambres consulaires afin qu’elles puissent fournir des informations actualisées et pertinentes sur l’activité économique dans leurs localités respectives.
Des incitations à la recherche de rente
Au Cameroun par exemple, l’Etat fait de la concurrence aux chambres consulaires, ce qui les empêche de se déployer. En plus, de l’agence de promotion des investissements (API) et de l’agence de promotion des PME (A-PME), le gouvernement a créé au niveau central une quarantaine de projets chargés d’appuyer ou mieux, de «subventionner» un volet ou l’autre de l’agriculture. Au bout du compte, les agriculteurs boudent les chambres consulaires, adoptant le comportement rentier en réaction aux incitations de l’Etat. Ces projets ont complètement altéré le sens de l’entrepreneuriat dans la mesure où ils ont crée une dépendance des producteurs à vivre au rythme des financements. En l’état, les agriculteurs sont devenus des «fonctionnaires» des différents projets au lieu d’être des entrepreneurs. Aussi, ils ne se rendent qu’aux ateliers de renforcement des capacités où ils sont payés (prise en charge totale) pour la simple raison que les bailleurs de fonds les ont habitués à faire de la participation aux ateliers un réel métier plus rentable que le travail de production. Au bout du compte, les producteurs les mieux formés ne produisent plus ; ils vivent au rythme de multiples sollicitations de projets qui les éloignent de leurs exploitations. Il convient de mettre fin au paiement de la rente (perdiems) et de favoriser la participation des producteurs à leur propre croissance. L’idée de la gratuité de l’entreprise doit être remplacée par celle de l’autofinancement. Pourquoi ? Parce que de nos jours, la gratuité a poussé les participants à s’attendre à être payés même pour l’application des résolutions des ateliers auxquels ils participent. En clair, un projet de production subventionné s’arrête le lendemain de l’arrêt de la subvention. D’où la nécessité d’autonomiser les producteurs et de les responsabiliser pour voir décoller l’agriculture.
Des subventions nourrissant le clientélisme et la contrebande
De nos jours, les projets de production sont financés en amont. Cela veut dire que la subvention est versée au début de l’activité économique, ce qui crée des effets pervers dans la mesure où elle ne vient pas comme une bouffée d’oxygène mais, comme une rente. Au lieu de soutenir l’existant et d’agir sur les goulots d’étranglement, l’on développe plutôt un système de clientélisme qui conditionne l’obtention des facilités à l’octroi d’une contrepartie. Ainsi, le producteur qui reçoit une subvention reverse une partie aux agents véreux, ce qui dans certains cas alimente des réseaux de trafics sur le marché. Cette pratique de clientélisme est la solution trouvée par les corrupteurs pour blanchir leurs pratiques de détournement de tout ou partie des subventions accordées. Pis, les subventions localisées sont une pratique de concurrence déloyale dans la mesure où elles créent le déséquilibre dans les échanges commerciaux. Par exemple en 2014, la subvention d’engrais au Mali alimentait le trafic vers le Burkina Faso, ou encore au Ghana où les subventions des engrais ont nourri la contrebande frontalière. En 2018, c’est le Burkina Faso qui se retrouve dans ce cercle vicieux selon le Syndicat national des travailleurs de l’agriculture (Synatrag) : un détournement de 105 tonnes d’engrais et 31 tonnes de semences observé.
Des subventions en amont et non-participatives
D’un pays à l’autre, le problème reste le même, à savoir que l’on subventionne en amont. La subvention est utilisée comme un moyen de financer l’agriculture et donc, d’octroyer le capital aux potentiels producteurs, ce qui crée des comportements opportunistes sur le terrain. Certaines associations proposent de subventionner en aval ou mieux de soutenir les exploitations existantes afin d’améliorer leurs productivités. L’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) propose de subventionner sous forme de primes à la production. Cela veut dire que l’on est subventionné proportionnellement aux résultats atteints. Quel que soit le cas, nous pensons que la gestion doit être décentralisée et assurée par les producteurs eux-mêmes dans la mesure où ils maîtrisent au mieux leurs besoins, se connaissent mutuellement et sont aptes à mieux se contrôler. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent leurs systèmes de tontines qui sont des fonds qu’ils constituent eux-mêmes et gèrent de façon autonome sans l’assistance de l’Etat.
En somme, nous disons que la subvention ne fait pas décoller l’agriculture parce qu’elle est une rente inadéquate et clientéliste qui crée des incitations perverses conduisant à des comportements déviants. Pour être pertinente, elle doit cesser d’être un capital pour redevenir une mesure incitative à investir gérée par les producteurs eux-mêmes.

 * Article publié en collaboration avec Libre Afrique


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