Séparation et création


Atmane Bissani
Mercredi 20 Juillet 2011

Séparation et création
L’homme est le produit d’un ensemble d’épreuves existentielles qui s’enchevêtrent sagement ou cruellement pour fabriquer son être. Tout commence par le rejet de l’homme du corps maternel. C’est là l’expérience la plus déterminante de l’acheminement de l’être vers l’inconnu qu’est le monde. Le petit de l’homme commence sa croisière existentielle par cet événement cruel qui le condamne à errer éternellement à la quête d’un autre lieu où il peut abriter ses peurs, ses angoisses et ses attentes incertaines dans un monde incertain. L’homme donc fait des rencontres, lesquelles traversent son être et son existence. Il en tire profit car ces rencontres lui apprennent à vivre suivant le rythme de la réalité et jamais suivant le rythme des souhaits vagues et indécis. L’homme s’invente en inventant son chemin, comme le dit Sartre. La création du chemin ou la création d’une œuvre d’art est toujours liée à la question de la séparation. C’est, en effet, parce que l’homme est délaissé par une force donnée (humaine ou surhumaine) qu’il acquiert la sagesse de la création. Au fond, la séparation n’est pas une rupture avec ce qui fut ; elle est une détermination de ce qui va arriver. Pour être, l’homme a besoin de se séparer de soi d’abord, avant de ses séparer d’autrui. Seule la séparation est censée créer/recréer l’homme car elle re-structure sa vision du monde et sa vision des choses. Pour reconnaître la valeur d’un être ou d’une chose, il faut s’en séparer. Nul ne peut se saisir dans le statu quo des choses ; on se saisit dans l’absence d’un repère on le recréant soi-même ; on se saisit dans la quête de la volonté de puissance qui puisse anéantir l’incohérence du passé et l’indécidabilité du présent en vue de réorienter les schèmes du futur. La séparation cimente les liens que tient l’homme avec ses lieux de mémoire. Elle cimente les liens avec l’abstrait et défait les liens avec le concret. In concreto, dans les relations interhumaines les liens ne sont jamais sûres car ils sont matériels, physiques et loin d’être éternels ; in abstracto, ces liens sont consolidés par la pensée, par les sentiments et par les émotions qui demeurent. Dans l’expérience amoureuse, à titre d’exemple, les soufis considèrent plus l’amour spirituel que l’amour matériel. Ils pensent que le premier est inaltérable par l’usure du temps, alors que le second est voué aux gémonies. Toute création est amour et tout amour est séparation. L’homme chemine est ne cesse de se créer par amour et par fidélité à son devoir d’être homme. Il se rencontre pour se séparer ; il se sépare pour créer. La séparation est on ne peut plus douloureuse, certes. Mais la douleur est là pour sonder l’originalité de la création de l’homme. Expérience tellement consternante, la séparation permet à l’homme, tout comme le phénix, de renaître de ses cendres afin de recréer sa légende d’être. La nature humaine veut que l’homme soit l’avenir de l’homme, son destin et sa destinée. Elle veut aussi que l’expérience existentielle de l’homme dans le monde soit une expérience de fabrique de l’homme. La fabrique de l’homme comme avenir et comme devenir de l’homme nécessite la remise en question et en cause de l’identité de l’homme comme facteur et comme acteur de la nostalgie de l’homme. La nostalgie de l’homme est nostalgie de l’homme libre, sauvage, désertique, l’homme réfractaire aux normes et aux exigences de la société. Dans ce sens, la séparation est au fond un retour aux origines qui fondent l’expérience ontologique de l’être : la solitude et le silence comme moteurs sine qua non de toute création. Si, en d’autres termes, la séparation est l’envers de l’expérience existentielle de l’homme, la création, elle, en est l’endroit. La séparation n’élimine pas la trace que laisse l’autre inculquée dans la mémoire de l’être. Elle ne diminue en rien la valeur ajoutée d’être avec que connaît l’homme depuis son arrivée au monde. La séparation retrace le cheminement des énigmes de l’expérience humaine et fonde la logique de la création comme victoire du plein sur le vide, de la plénitude de l’être sur la vacuité du néant. Le « je » de la création renaît du dépassement de « tu » de la séparation. Le « je » transcende le « tu » comme pour faire valoir un « il y a » incontestablement éternel. Entre le « je » de la création et le « tu » de la séparation, cet « il y a » demeure éternellement philosophique, poétique, transcendantal, spirituel  et métaphysique…


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