Quelle approche pour réformer la Caisse de compensation ?


PAR HICHAM EL MOUSSAOUI *
Mardi 23 Août 2011

Quelle approche pour réformer la Caisse de compensation ?
Depuis longtemps, les marocains entendent parler de la nécessité de la réforme de la Caisse de compensation. L’arrivée du printemps arabe a remis encore une fois ce chantier aux calendes grecques, paix sociale oblige. Pourtant, il y a plus que jamais urgence de réformer sachant que la caisse pourrait engranger la bagatelle de 40 milliards DH cette année, creusant davantage le déficit budgétaire. Quelle approche adopter pour réformer la Caisse de compensation ?
Avec un système généralisé d’attribution des subventions, la Caisse de compensation, conçue au départ pour sauvegarder le pouvoir d’achat des plus démunis, a profité surtout aux riches et aux industriels. En effet, 20% des ménages les plus aisés perçoivent 75% des subventions, tandis que les 20% les plus démunis ne bénéficient que de 1%. Par ailleurs, ce système de subventions profite aux entreprises qui détournent les produits subventionnés (farine, sucre, gaze butane) destinés à l’usage domestique vers un usage industriel. A titre d’exemple, les subventions profitent principalement aux industries grandes consommatrices de sucre et de matières grasses telle l'industrie agroalimentaire, notamment les limonadiers et les pâtissiers qui, au lieu d’utiliser les sucres liquides, continuent à acheter du sucre subventionné pour le dissoudre dans l’eau afin de l’utiliser dans leurs fabrications. Il faut savoir que sur les 4,5 milliards de DH de subventions pour le fioul en 2011, 1,5 milliard de DH va aux industriels du secteur privé et à l’Office Chérifien des Phosphates (OCP) et 3 milliards à l’Office National de l’Electricité (ONE), toutes les deux des entreprises publiques largement bénéficiaires.
En plus d’être injuste, la Caisse de compensation est inefficace. A cet égard, soulignons que les défaillances au niveau de la gestion de la subvention (fixation des marges sur des périodes trop longues, des arriérés de paiement, etc.) créent un manque à gagner pour les opérateurs. Ces derniers tentent de compenser en « trichant » sur la qualité des produits subventionnés, notamment pour la farine, et sur le poids des bouteilles de gaz butane ou encore en vendant à un prix supérieur à celui subventionné. Dès lors, une partie du pouvoir d’achat transféré par le biais des subventions aux ménages se trouve, in fine, capturée par les entreprises et les multiples intermédiaires sur les marchés. Et, cerise sur le gâteau, le système de compensation est devenu un fardeau insoutenable menaçant les équilibres macroéconomiques et exerçant une ponction sur l’investissement public. En effet, en 2010 le coût de la Caisse de compensation représente près des 2/3 du budget d’investissement marocain et 5,5% du PIB.
En soutenant le pouvoir d’achat via les subventions, les responsables marocains font une double hypothèse : le pouvoir d’achat dépend uniquement des prix des biens, lesquels ne peuvent baisser ou être du moins stabilisés que par le biais de subventions gérées administrativement. Or, la science économique nous enseigne que l’on pourrait soutenir le pouvoir d’achat, d’une part, via la baisse des prix en faisant jouer la loi de l’offre et de la demande et celle de la concurrence, et d’autre part, via l’augmentation du revenu disponible des ménages.
Concernant le premier axe, et dans le but de rendre les prix des biens de première nécessité abordables, la libéralisation des prix ne pourrait être faisable sans agir sur le côté offre du marché. Comme la libéralisation des prix se traduira par leur augmentation dans un premier temps, pour contenir les effets négatifs non seulement pour les pauvres mais aussi pour la classe moyenne, il est indispensable d’ouvrir les filières subventionnées à de nouvelles entreprises. Cette ouverture des marchés des biens subventionnés permettra la baisse des prix non seulement à travers l’augmentation de l’offre, mais aussi l’intensification de la concurrence. Celle-ci, par le mécanisme de rivalité et de sanction par les pertes et profits, inciterait les producteurs à faire des efforts pour baisser les coûts et améliorer la qualité. Il faut savoir que ce sont les rentes de situation touchant les filières subventionnées ainsi que l’opacité du système de compensation qui gonflent artificiellement les prix. Il devient donc impératif de débarrasser le marché marocain des structures monopolistiques et oligopolistiques et les lobbys qui constituent un frein à la réforme de la caisse. Parallèlement, et en attendant la consolidation de la baisse des prix, l’Etat pourrait soutenir le pouvoir d’achat des plus démunis en passant à un système d’aides directes et ciblées. Ce système a l’avantage de prévenir le problème d’aléa moral en incitant les consommateurs à rationaliser leurs dépenses, mais aussi d’empêcher que les industriels continuent de profiter des subventions.
Toutefois, maintenir ces populations dans un système d’assistanat risque de pervertir leurs incitations à travailler et à vouloir se sortir de la pauvreté ; sans oublier le poids pour les finances publiques. D’où la nécessité du deuxième axe consistant à booster le revenu des ménages les plus pauvres.
En effet, sortir du cercle vicieux de la compensation suppose que l’on abandonne la logique de redistribution pour aller vers l’autonomisation des ménages pauvres. Cela passe par la mise en œuvre, sur le plan structurel, d’un environnement institutionnel favorable à l’entrepreneuriat. La libération des énergies privées des contraintes réglementaires, bureaucratiques, fiscales et financières excessives, permettra d’une part, la formalisation du secteur informel avec davantage d’opportunités d’emplois pour les jeunes et les pauvres, et d’autre part, la promotion de microprojets pour permettre aux pauvres non seulement de se prendre en charge mais aussi de faire travailler les autres.
Dans la perspective du renchérissement du coût des matières premières et de l’énergie, la réforme de la Caisse de compensation est incontournable. D’où la nécessité d’une nouvelle approche plus globale où l’on ne se contente pas uniquement de distribuer des aides, mais d’ouvrir les marchés à la concurrence et surtout de promouvoir l’autonomisation des nécessiteux : le meilleur filet de sécurité est l’emploi et non pas «l’aumône».

 * Analyste sur www.UnMondeLibre.org


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