Brefs propos sur le confinement
Chers confinés (femmes et hommes),
Durant mes jours de confinement (‘uzla, khulwa), je m’offre café et fruits confits et autres douceurs, et ce avant de m’attaquer à la lecture curative et féconde, et à l’écriture comme thérapie et pour ne pas perdre la main.
Nous aurions, me semble-il, la vie sauve si notre confinement nous incitait à pratiquer la double culture, physique et mentale. C’est à cela que je m’attelle, autant que je peux, pour ne pas trop me focaliser sur l’infâme et massivement meurtrier coronavirus Covid-19, et c’est ce dont je témoigne.
Puissent mes propos, ci-dessous consignés, contribuer, un tant soit peu, à affronter cette terrible épreuve pandémique, sachant bien que l’humanité en a connu d’autres de par le passé, avec en moins les progrès de la médecine et de la pharmacopée qui sont les nôtres. Et donc disons avec Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui qui s
auve ».
Ce qui me sauve ou plutôt me remet à flot, m’incitant à avoir le goût des autres et à fraterniser avec les survivants, c’est de me retrouver en état d’ascèse avec mes symphonies de toujours : Carmen, Carmina Bourana, La traviata, Hymne à la joie et les muwachahâts, et bien d’autres merveilles qui m’enchantent et font vagues douces et balsamiques dans mon âme et mes sens. Alors, ma femme la coconfinée et moi-même nous dansons un slow attendrissant, puis je lui raconte des blagues drolatiques qui nous font, malgré tout, pouffer de rire.
D’autre part, me confiner ne rime en rien avec esseulement ou retraite décadente et maussade, mais avec retour à mes repères lumineux et éparses qui sont, en supplément à la musique, les sublimes poèmes que je déclame de mémoire à ma femme en cinq langues diverses, mais n’ayant cependant qu’une seule déesse : l’immaculée Beauté et un seul mihrâb, lequel n’est ni oriental ni occidental, mais les deux à la fois, harmonieusement combinés et se partageant les mêmes rayons solaires et les mêmes clairières.
De même, mon confinement m’octroie généreusement une belle opportunité pour revisiter La Peste d’Albert Camus, L’amour au temps du Choléra de Gabriel Garcia Marquez, Le régime du solitaire (Tadbir al mutawahid) d’Ibn Baja et certaines biographies, comme celle de Tchaïkovski, mort du choléra, celle du sultan saadien Ahmed Addahbi, mort de la peste, sans oublier Ibn Khaldûn dont parents et maîtres ont péri de la peste noire du milieu du XIVe siècle, peste à laquelle j’ai consacré des pages dans mon Le roman d’Ibn Khaldûn, etc.
Man khalâ wa lam yajid, famâ khalâ, disait le grand Cheikh Ibn Arabi. J’espère que ce n’est pas mon cas. Car m’étant pris en aparté, confinement oblige, j’ai trouvé et retrouvé moult choses que j’ai tenu à vous faire partager aimablement.
Enfin, est-il preuve de prévenance et de délicatesse plus pures que celles fournies par l’empereur stoïcien Marc-Aure, au seuil même de ses Pensées pour moi-même. Car sur le terrain mouvant du libre-arbitre humain, ne voulant importuner ni gêner personne, il laissa toute latitude aux lecteurs de le suivre dans ses méditations (rédigées entre deux batailles) ou de lui tirer leur révérence quand bon leur semble.
Pouvoir et sagesse ont rarement fait bon ménage. A cette règle quelques exceptions au sommet desquelles figure notre empereur philosophe, qui mourut emporté par la peste au coeur de son empire Rome, sans laisser d’héritiers dignes de perpétuer ses précieux apports!
Quant à moi, je tire, à mes heures pénibles, une leçon bénéfique de l’une de ses stoïques pensées qui invite à contempler les astres comme si avec eux on tournait. Et cela voudrait dire muter, changer cap et boussole et paradigmes aussi, et pourquoi pas nous délester, en la matière, de notre confinement subi pour renaître à un autre choisi, intelligent, flexible, altruiste et aspirant passionnément à la vraie vie et à la souveraine santé…«Ce qui ne nous tue pas nous rend forts », disait Nietzsche. Peut-être. Amen !
Durant mes jours de confinement (‘uzla, khulwa), je m’offre café et fruits confits et autres douceurs, et ce avant de m’attaquer à la lecture curative et féconde, et à l’écriture comme thérapie et pour ne pas perdre la main.
Nous aurions, me semble-il, la vie sauve si notre confinement nous incitait à pratiquer la double culture, physique et mentale. C’est à cela que je m’attelle, autant que je peux, pour ne pas trop me focaliser sur l’infâme et massivement meurtrier coronavirus Covid-19, et c’est ce dont je témoigne.
Puissent mes propos, ci-dessous consignés, contribuer, un tant soit peu, à affronter cette terrible épreuve pandémique, sachant bien que l’humanité en a connu d’autres de par le passé, avec en moins les progrès de la médecine et de la pharmacopée qui sont les nôtres. Et donc disons avec Hölderlin : « Là où croît le péril, croît aussi ce qui qui s
auve ».
Ce qui me sauve ou plutôt me remet à flot, m’incitant à avoir le goût des autres et à fraterniser avec les survivants, c’est de me retrouver en état d’ascèse avec mes symphonies de toujours : Carmen, Carmina Bourana, La traviata, Hymne à la joie et les muwachahâts, et bien d’autres merveilles qui m’enchantent et font vagues douces et balsamiques dans mon âme et mes sens. Alors, ma femme la coconfinée et moi-même nous dansons un slow attendrissant, puis je lui raconte des blagues drolatiques qui nous font, malgré tout, pouffer de rire.
D’autre part, me confiner ne rime en rien avec esseulement ou retraite décadente et maussade, mais avec retour à mes repères lumineux et éparses qui sont, en supplément à la musique, les sublimes poèmes que je déclame de mémoire à ma femme en cinq langues diverses, mais n’ayant cependant qu’une seule déesse : l’immaculée Beauté et un seul mihrâb, lequel n’est ni oriental ni occidental, mais les deux à la fois, harmonieusement combinés et se partageant les mêmes rayons solaires et les mêmes clairières.
De même, mon confinement m’octroie généreusement une belle opportunité pour revisiter La Peste d’Albert Camus, L’amour au temps du Choléra de Gabriel Garcia Marquez, Le régime du solitaire (Tadbir al mutawahid) d’Ibn Baja et certaines biographies, comme celle de Tchaïkovski, mort du choléra, celle du sultan saadien Ahmed Addahbi, mort de la peste, sans oublier Ibn Khaldûn dont parents et maîtres ont péri de la peste noire du milieu du XIVe siècle, peste à laquelle j’ai consacré des pages dans mon Le roman d’Ibn Khaldûn, etc.
Man khalâ wa lam yajid, famâ khalâ, disait le grand Cheikh Ibn Arabi. J’espère que ce n’est pas mon cas. Car m’étant pris en aparté, confinement oblige, j’ai trouvé et retrouvé moult choses que j’ai tenu à vous faire partager aimablement.
Enfin, est-il preuve de prévenance et de délicatesse plus pures que celles fournies par l’empereur stoïcien Marc-Aure, au seuil même de ses Pensées pour moi-même. Car sur le terrain mouvant du libre-arbitre humain, ne voulant importuner ni gêner personne, il laissa toute latitude aux lecteurs de le suivre dans ses méditations (rédigées entre deux batailles) ou de lui tirer leur révérence quand bon leur semble.
Pouvoir et sagesse ont rarement fait bon ménage. A cette règle quelques exceptions au sommet desquelles figure notre empereur philosophe, qui mourut emporté par la peste au coeur de son empire Rome, sans laisser d’héritiers dignes de perpétuer ses précieux apports!
Quant à moi, je tire, à mes heures pénibles, une leçon bénéfique de l’une de ses stoïques pensées qui invite à contempler les astres comme si avec eux on tournait. Et cela voudrait dire muter, changer cap et boussole et paradigmes aussi, et pourquoi pas nous délester, en la matière, de notre confinement subi pour renaître à un autre choisi, intelligent, flexible, altruiste et aspirant passionnément à la vraie vie et à la souveraine santé…«Ce qui ne nous tue pas nous rend forts », disait Nietzsche. Peut-être. Amen !
Votre obligé B. HIMMICH
qui ne sera jamais Feu.
qui ne sera jamais Feu.
Du fin fond de mon confinement jusqu'à ses confins, je récidive après mon article "Brefs propos sur le confinement", vu que nous sommes tous appelés à jouer les prolongations sans qu'on sache jusqu'à quand et que l'affaire semble plutôt tourner à la déconfiture, voire au vinaigre, ballotés que nous sommes entre espoir et broyer du noir. En témoignent aussi nos âmes pétries d'immenses tristesses et nos pieds dans la glaise. Et comment ne pas paniquer lorsqu'on nous dit que l’épidémie peut valser entre disparaître et réapparaître. Parole de l'admirable Angela Merkel ! Et donc qu'il va falloir s'accommoder du virus et vivre avec, en plus des masques et des barrières sanitaires qui créent un climat délétère de suspicion envers l'autre comme étant potentiellement contaminant. Et aux vivants incombe le devoir de se montrer dans cette tragédie disciplinés et résilients, en attendant des jours meilleurs. Pour en avoir le cœur net, je me suis mis, cette fois-ci, à me mêler un peu, par mobile, de ce qui me regarde chez mes semblables les confinés, y menant une sorte de mini-enquête mi-réelle mi-hypothétique, sans me priver d'un ferment romanesque. Alors que de choses stupéfiantes ou cocasses ai-je apprises ! Certaines pouvant être perçues comme des scoops. Jugez-en vousmêmes : "Voile pour tous" et unisexe, résurgence du voile almoravide, orgasmer en self service, baisers aériens et à distance, etc. Choses que j'aimerais partager par écrit avec des personnes réelles ou virtuelles. J'y mettrai un peu de sel humoristique comme remède éphémère à notre mal-être. Après avoir fini la relecture de Hay Ibn Yaqdane d'Ibn Tofaïl, Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre, Huis clos de Jean-Paul Sartre, Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier, je me suis mis au travail. Un ex-ami à qui j'ai posé la question désormais d'une actualité brûlante : "Comment se passe ton confinement?" Il me répond sans se départir d'un iota de son cynisme coriace, atavique.
-Moi, pour être juste, je reconnais quand même qu'on doit au coronavirus création naturelle ou humaine- la baisse significative du taux de pollution de par le monde, celui des cambriolages et des hold-up, sans compter la disparition des prostituées racoleuses, le désengorgement prometteur des prisons, l'amélioration de la fidélité conjugale - confinement et peur de la contagion obligent et un certain retour opportuniste à la foi religieuse, etc.
-Tu restes égal à toi-même, lui réponds-je, sur le champ, cynique et qui plus est avocat du diable. A toute chose, as-tu l'air de dire, malheur est bon. Tes taux en baisse ne pèsent pas lourd au regard du Mal massif et cruel que le coronavirus inflige à tous les terriens de différents âges et conditions. Ton diable maléfique et humiliant est là parmi nous pour être combattu et radicalement exterminé. Nos illustres savants et chercheurs s'y emploient et finiront par y arriver après avoir cerné le gène du virus et séquencé son génome. Et alors toute l'humanité fera le V de la victoire par K.-O. écrasant.
-A toi, rétorque-t-il, insensible et défiant, je te souhaite du courage et plus encore aux saints scientifiques pour annihiler le méchant virus et surtout pour rendre impossible, ce qui n'est pas acquis, son retour adaptif en vagues nouvelles et en rebonds. Mais quoi qu'il en soit, n'oublie pas, bel ami, que les deux dernières guerres mondiales, le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki et les colonisations génocidaires ont massivement tué beaucoup plus d'humains que le très maudit coronavirus ! Fais-en une comparaison statistique macabre et tu seras mieux renseigné, d'autant plus si tu prends en compte les millions de morts de la grippe espagnole (en vérité américaine) à la fin de la Première Guerre mondiale, pandémie à nulle autre pareille. En outre, si le monde de l'après-tsunami virologique deviendra, en fin de chamboulement, meilleur, c'est quand même quelque part grâce à lui. Un peu de gratitude, dis donc... Dis moi, puis-je, à mon tour, te poser une ou deux questions, peut-être indiscrètes.
-Puisque tu en annonces la couleur, dis-je, allons-y pour une seule, car j'ai d'autres coups de fil à donner.
-Voilà, et le très bon Dieu, l'omnipuissant, l'omniscient, le compatissant, etc., où est-il dans tout ça ? Qu'attend-il pour bouger le petit doigt et pulvériser ce Mal absolu qui ravage ses créatures et leur terre, laquelle est en passe de devenir dangereusement habitable ?
Je prends mon courage à deux mains et lui réponds :
- C'est par mobile qui me fait mal à l'oreille que tu me poses ta si complexe et pernicieuse question. Alors différons.
-J'espère qu'on n'est pas sur écoute, lance-t-il. D'ailleurs je n'ai nullement médit de notre Seigneur le Sauveur. Et sache que ma question est sur beaucoup de lèvres des deux sexes, de plusieurs formes et couleurs. Je te laisse le temps d'y réfléchir et vaquer, comme bon te semble, à ton confinement. Enfin, ne t'aventure pas à me chercher pour un face-à-face ou une poignée de main, car je serai hermétiquement voilé ou si tu veux masqué, et j'ai une canne pour mesurer au centimètre près la distanciation réglementaire, comme c'est décrété par la puissance publique...
Maintenant écoute-moi bien, je vais de ce pas rejoindre ma putain respectueuse Nadia la jeune et très saine à qui j'ai donné asile contre virus, chômage, humiliation, faim, effroi, folie ... Tout l'appartement, elle le passe au peigne fin, désinfectant avec parcimonie coins et recoins. Soudain, je lui déclare ma flamme. Faisant mine de ne pas comprendre, je lui dis que je demande sa main, elle me la tend. Sans trop tourner autour du pot, je lui explicite que je veux qu'elle soit ma femme. Submergée par l'émotion et les larmes, elle balbutie oui je veux; alors nous nous livrons à des ébats amoureux comme pour fêter notre sortie, elle de la mauvaise vie et moi de mon célibat endurci, puis nous nous offrons un bain commun où nous nous frottons et rinçons mutuellement ; après quoi nous passons au salon où nous nous saoulons comme il se doit, au rythme d'une musique érotique accompagnée de mets diététiques, et ce sans à personne quémander permission et encore moins absolution... Vive la vie ! A bas la pandémie ... A présent, adieu Pangloss de mes deux !
Il raccroche sans entendre ma réplique et ma bénédiction pour son mariage. En ce temps morose et bien sombre, prendre l'avis d'un jeune homme dont je suis oncle et qui se targue de n'avoir jamais fait le Ramadan. Je lui conseillais, en cette matière, de ne pas faire dans l'exhibitionnisme. Ah ! les jeunes déjeuneurs. Mais je reconnais que, contrairement à beaucoup de jeunes de sa génération, il a un langage dépollué et non bâtardisé.
-Allô mec... ça gaze ton confinement?
-Pas bien tonton. Ah le rester chez soi ! Trop de contraintes et d’interdictions ! Pas moyen de rencontrer les amis, mecs et gonzesses. Et les parents se relaient pour garder un œil sur leur fils unique que je suis. D'ailleurs à l'extérieur tout est fermé : night-clubs, bars, salles de sport et même les mosquées... Quant au vieux, ton frère, il a l'air de couler de bonnes journées entre ablutions, prières, chapelets, nettoyage de son dentier et zapping ; et ma pauvre mère qui remplace la bonne, confinée chez elle, est devenue, comme son homme, téléphage et ne cesse de lui rappeler la prise de ses médicaments et de parfumer l'air du petit salon qu'il pollue à l'envi avec son tabac et même ses rots et pets à répétition, parfois pudiques et souvent sonores. Il en impute la cause aux féculents dont il raffole et remplit la panse durant chaque jour que Dieu fait. Et la nuit, durant le sommeil, il lance des ronflements non-stop qui ont contraint ma mère à faire, depuis belle lurette, lit à part. Comme pour le rappeler à l'ordre, je lui explicite ma question:
-Mais toi, en tant que jeune, comment tu égrènes les heures de ta journée?
-Eh bien, dit-il, les cours à distance, mais ça ne vaut pas la classe et le prof en chair et en os, et puis télé, coups de fil, lecture, rêves éveillés et un peu de musculation moyennant les ustensiles de la cuisine. Mais mes meilleurs moments de relaxe je les passe au petit balcon à parler au mobile avec ma petite amie du balcon d'en face. Et c'est à toi seul que je peux dire ça, cher tonton. Elle est belle, elle louche un peu, et avant le foutu fléau quand je la fixais du regard, elle me saoule, et alors si le lieu s'y prête, on se jette l'un sur l'autre, et ainsi, elle, quelle pure merveille ! Mais à présent que nous sommes tous deux confinés, épiés, elle excelle à m'encenser de paroles mielleuses, ravissantes et toutes si bien sexuées. Quant à moi, je m'essaye à lui rendre la pareille mais sans être de son niveau. Et une fois appelée au périmètre familial, on échange des baisers aériens, et puis elle s'éclipse en me laissant dans un état de surexcitation intense. Et donc que faire, tonton, pour baisser la charge libidinale, sinon en allant revisiter Madame 5 comme au temps de ma prime adolescence, et si tu ne piges pas, il s'agit de houwa sabone alkaff, motivé aussi en cela par mon amuse-gueule aphrodisiaque que je picore chaque fois que j'en ai envie. Et si j'use de mots crus et impudiques, je m'en excuse et rappelle-toi que je suis un étudiant en biologie.
A présent, c'est le tour d'une femme amie, féministe rationaliste, qui fut belle et rebelle à couper le souffle, et d'ailleurs elle le reste en assez bonne position, en dépit du temps qui passe et qui casse. Militante et méritante, je ne pouvais pas me passer de sa réponse à ma fameuse question :
-Bonjour Lalla Kalthoum. Eh bien, étant tous logés à la même enseigne, comment gères-tu ton confinement?
-Que dire, cher ami? Je te mentirai si je te déclame que ma gestion est nec plus ultra. Le moral, je l'ai plutôt dans les chaussettes. Je suis, tu le sais, une femme engagée et d'action, et maintenant avec ce Covid-19 qui ratisse immensément large, j'en suis comme amputée. Même aller me recueillir devant les tombes de mes parents et mon mari, ça m'est interdit, comme d'ailleurs bon nombre de courses. Alors je me dois de vivre à huis clos dans l'attente de vraies bonnes nouvelles qui se laissent trop désirer et tardent à venir. Bonnes nouvelles en tête desquelles la fin effective de l'épidémie suivie par un déconfinement libérateur et sans risque aucun. Entre-temps j'essaie de faire la nique à l'ennui et à la monotonie qui sont, selon Baudelaire, la moitié du néant, mais je n'y arrive pas. Une amie m'a dit que elle, elle y arrive en pratiquant ce qu'elle baptise orgasmer en self service. Mon sommeil n'en est pas un, car trop agité ou paradoxal et parfois truffé de pics cauchemardesques... Un connard hypermisogyne m'a saisi, il y a une semaine, d'un SMS revanchard : "Maintenant, me lance-t-il, tu peux par ce beau temps printanier mariner dans ton jus féministe et surtout militer en cultivant ton jardin", alors qu'il sait lui et sa femme infâme que dans mon petit balcon ne siègent que deux pauvres pots... Mais passons. Je me souviens de ce connard pourri, une tête à claques, qui m'a dit un jour : "Sais-tu, cher intellectuel, que le seul avantage que la femme a sur l'homme, c'est qu'elle met bas son nouveau-né, alors que moi et toi nous ne mettons bas que notre merde en une ou plusieurs livraisons ?" Je lui ai fait signe de déguerpir hors de ma vue.
Je l'ai sentie blessée, mon amie, et même humiliée. Alors pour la soulager, je me suis employé avec ardeur à lui rappeler ses hauts-faits dans la défense des femmes maltraitées, démunies et des mères célibataires ou seules, etc. Et puis, elle m'annonce qu'elle a mis son niqab pour sortir acheter sa pitance. Observant un instant de silence, elle me dit d'une voix apaisée :
-Ne t'en étonne pas, moi aussi, comme tout le monde, je dois mettre ce qu'on appelle faussement un masque, car celui-ci, on ne s'en servait avant le Covid-19 que pour se déguiser et aller faire un hold-up ou participer à un bal masqué. Quant au mien, c'est bel et bien un voile en tissu blanc lavable que j'ai hérité de ma mère la Tangéroise. Il me va et me protège tant et si bien que je projette le breveter avec motifs fleuris à usage exclusivement féminin, et c'est une jeune couturière qui en sera la bénéficiaire alors que son mari s'occupera des voiles pour hommes.
Enchaînant, comme pour valider son choix et son idée, je dis :
-Alors, à l'instar du "mariage pour tous" maintenant c'est "voile pour tous" comme au temps des Almoravides qui s'appellent aussi almoulathamoune (les voilés) contre les tempêtes de sable et la chaleur torride. Quel bel hommage post-mortem nous leur rendons ! Ironie de l'Histoire qui fait un bras de déshonneur aux islamophobes de tout poil, notamment les sulfureux populistes et partisans de l'extrême droite ... Il est temps chère Kalthoum que je te libère. Prends soin de toi et que Dieu te garde.
Resté seul, pensif, je me suis dit que je ne serai pas étonné si elle me confie un jour que pour mettre du baume à son confinement et se préparer à l'aprèspandémie, elle s'est mise à faire ses ablutions et prières quotidiennes en se justifiant que c'est là l'ultime carte qui lui reste à jouer. Soudain, un souvenir me remonte à la mémoire, comme pour m'égayer un peu, celui d'un bal masqué auquel j'ai participé nuitamment, il y a belle lurette, avec sur le corps une minidjellaba jabliya, un tarbouch rouge écarlate, un papillon au cou d'une couleur vermeille assortie avec celle de mes espadrilles Nike et une paire de lunettes solaires flambant neuf. Un autre souvenir, pathétique celui-là, me rappelle un flic, sur la plus belle avenue du monde, qui arrête une femme voilée, lui intimant l'ordre de se dévoiler. Prise de panique, elle s'exécute en montrant sa calvitie et clamant, les larmes aux yeux : c'est pour cacher ma disgrâce causée par un cancer que je me le mets, Monsieur. C'est alors que j'interviens pour demander au flic de laisser cette femme en paix vêtue comme elle était. Furieux, il m'ordonne de foutre le camp. J'ai refusé fortement, encouragé par trois gaillards venus à la rescousse, un Maghrébin comme moi et deux frères africains. Les prenant à témoins, je leur dis l'objet du litige et au flic de faire son PV, mais - surprise! - il s'éclipse furtivement et se fond dans la foule, feignant répondre à une urgence professionnelle. La femme me remercie de tout cœur en m'embrassant la main et disparaît dans la bouche du métro, après avoir reçu de moi des baisers chaleureux sur ses deux mains et son front. Tressaillant d'émotion, j'ai eu le sentiment d'avoir vécu un moment de fraternité sublimissime. Et du coup, j'ai mesuré à quel point des Français dits de souche foulent aux pieds les valeurs de la France des Lumières et des droits humains : Liberté, Egalité, Fraternité que nous aimons et aimerons toujours envers et contre les idéologues haineux et cabosseurs, les Arabes de service et autres serfs volontaires et agents toxiques. Le surlendemain, j'ai reçu de Kalthoum deux e-mails où elle accuse réception des deux miens qui tour à tour l'ont fait rire et pleurer. Elle m'a promis de me raconter de vive voix des drames et anecdotes dès que nous aurons recouvré notre liberté de rencontre et de mouvement. Elle m'en a livré seulement quelques titres : Une adolescente qui s'est défenestrée par dépit amoureux, une autre pour avoir perdu son fiancé fauché par l'épidémie ... Une amie qui a fait deux tentatives de suicide, mais qui sont restées, selon son expression, lettre morte... Un jeune homme qui lui a rapporté le cas d'un couple voisin qui a longueur d'heures se lancent véhémentement des injures pour ne pas en venir aux mains. La femme taxe son mari de sale virus et celui-ci lui réplique : ferme ta gueule sale corona... Une des collègues de mon informatrice reprend la cigarette après un sevrage de six ans et se met à fumer comme une cheminée, et ce dès qu'elle a entendu à la télé que la nicotine tue le coronavirus dans l'œuf ou dès ses premiers symptômes... Quant au vin, elle continue à en boire mais bien chauffé, car ainsi, dit-elle, il dérange le virus ou le sonne ... Enfin, une cousine, poursuit Kalthoum, m'a conté un cauchemar où elle a vu le virus métamorphosé en monstre tout de noir vêtu, avec sur la gueule un masque en peau zébrée puante et sur la tête une couronne truffée de clous et d'épines. Il la crucifie sur son lit et la viole sauvagement. Réveillée en sursaut, toute en sueur, souffle court et le cœur battant la chamade. Elle en informe sa généraliste, laquelle lui conseille de prendre une douche tiède, un calmant et d'être zen. Avant de prendre congé de moi, je l'assure que mon vécu confinementiel bientôt elle le recevra, puis elle me promet de m'informer des SOS femmes battues, et part s'en acquitter et alerter qui de droit. Une fois seul, je me suis mis à m'enquérir des nouvelles du monde, prenant acte qu'un virus dont on ne cerne pas encore le gène pathologique sème à ce point une monstrueuse pagaille inédite et tentaculaire, et ce sur terre, sur mer et dans les airs. De mémoire d'homme, c'est du jamais vu! Hécatombes, cimetières et fosses communes à perte de vue à l'échelle planétaire; économies mises plus bas que terre; entreprises aux abois ; pays de l'UE en récession; la première puissance US (avec 1 million d'infectés) impêtrée dans une crise monumentale et impuissante devant ses 25 millions de chômeurs, la chute du prix du pétrole à zéro dollar le baril, se trouvant, du coup, lui aussi, confiné (en stockage) tandis que le président évangéliste, le bourreau des Palestiniens et le super serviteur des faucons israéliens ne cesse de cumuler bourdes et infamies, et qui pour ne pas choir s'agrippe fortement à sa trempe, et n'éprouve aucune gêne à taxer le réchauffement climatique de mensonge (it's a lie), ni à priver l'OMS de la quotepart américaine (comme il l'a fait auparavant pour 1'UNESCO) et ce au motif qu'elle n'a pas vu venir le Covid-19, ni à prophétiser haut et fort que l'eau de javel et autres détergents sont l'antidote du coronavirus et qu'il serait bon de l'injecter aux malades. Cette recette abracadabrantesque, dit-on, lui aurait été soufflée par un virologue de pacotille. Quant aux pays en voie de développement
à perpétuité, ils essaieront de survivre à crédit auprès du FMI et de la Banque mondiale pour une incertaine relance, en hypothéquant leur liberté de choix et d'action et l'avenir des jeunes, autrement dit leur souveraineté politique, économique et au-delà.
Enfin, la pandémie, une fois jugulée après d'autres vagues et rebonds probables, ses retombées calamiteuses ne s'arrêteront pas aux secteurs cidessus indiqués, mais elles s'étendront au domaine psychosomatique. Ainsi les psychiatres auront beaucoup à faire avec les endeuillés de longue durée ou même à vie, les névrosés obsessionnels, les asthéniques, les paranoïaques, les claustrophobes, les insomniaques, les déprimés à divers degrés et bien d'autres patients saturés de cicatrices et séquelles indélébiles, en somme les écorchés vifs, ceux qui éprouvent perpétuellement ce que Miguel de Unamuno nomme El sentimiento tragico de la vida.
A suivre
-Moi, pour être juste, je reconnais quand même qu'on doit au coronavirus création naturelle ou humaine- la baisse significative du taux de pollution de par le monde, celui des cambriolages et des hold-up, sans compter la disparition des prostituées racoleuses, le désengorgement prometteur des prisons, l'amélioration de la fidélité conjugale - confinement et peur de la contagion obligent et un certain retour opportuniste à la foi religieuse, etc.
-Tu restes égal à toi-même, lui réponds-je, sur le champ, cynique et qui plus est avocat du diable. A toute chose, as-tu l'air de dire, malheur est bon. Tes taux en baisse ne pèsent pas lourd au regard du Mal massif et cruel que le coronavirus inflige à tous les terriens de différents âges et conditions. Ton diable maléfique et humiliant est là parmi nous pour être combattu et radicalement exterminé. Nos illustres savants et chercheurs s'y emploient et finiront par y arriver après avoir cerné le gène du virus et séquencé son génome. Et alors toute l'humanité fera le V de la victoire par K.-O. écrasant.
-A toi, rétorque-t-il, insensible et défiant, je te souhaite du courage et plus encore aux saints scientifiques pour annihiler le méchant virus et surtout pour rendre impossible, ce qui n'est pas acquis, son retour adaptif en vagues nouvelles et en rebonds. Mais quoi qu'il en soit, n'oublie pas, bel ami, que les deux dernières guerres mondiales, le bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki et les colonisations génocidaires ont massivement tué beaucoup plus d'humains que le très maudit coronavirus ! Fais-en une comparaison statistique macabre et tu seras mieux renseigné, d'autant plus si tu prends en compte les millions de morts de la grippe espagnole (en vérité américaine) à la fin de la Première Guerre mondiale, pandémie à nulle autre pareille. En outre, si le monde de l'après-tsunami virologique deviendra, en fin de chamboulement, meilleur, c'est quand même quelque part grâce à lui. Un peu de gratitude, dis donc... Dis moi, puis-je, à mon tour, te poser une ou deux questions, peut-être indiscrètes.
-Puisque tu en annonces la couleur, dis-je, allons-y pour une seule, car j'ai d'autres coups de fil à donner.
-Voilà, et le très bon Dieu, l'omnipuissant, l'omniscient, le compatissant, etc., où est-il dans tout ça ? Qu'attend-il pour bouger le petit doigt et pulvériser ce Mal absolu qui ravage ses créatures et leur terre, laquelle est en passe de devenir dangereusement habitable ?
Je prends mon courage à deux mains et lui réponds :
- C'est par mobile qui me fait mal à l'oreille que tu me poses ta si complexe et pernicieuse question. Alors différons.
-J'espère qu'on n'est pas sur écoute, lance-t-il. D'ailleurs je n'ai nullement médit de notre Seigneur le Sauveur. Et sache que ma question est sur beaucoup de lèvres des deux sexes, de plusieurs formes et couleurs. Je te laisse le temps d'y réfléchir et vaquer, comme bon te semble, à ton confinement. Enfin, ne t'aventure pas à me chercher pour un face-à-face ou une poignée de main, car je serai hermétiquement voilé ou si tu veux masqué, et j'ai une canne pour mesurer au centimètre près la distanciation réglementaire, comme c'est décrété par la puissance publique...
Maintenant écoute-moi bien, je vais de ce pas rejoindre ma putain respectueuse Nadia la jeune et très saine à qui j'ai donné asile contre virus, chômage, humiliation, faim, effroi, folie ... Tout l'appartement, elle le passe au peigne fin, désinfectant avec parcimonie coins et recoins. Soudain, je lui déclare ma flamme. Faisant mine de ne pas comprendre, je lui dis que je demande sa main, elle me la tend. Sans trop tourner autour du pot, je lui explicite que je veux qu'elle soit ma femme. Submergée par l'émotion et les larmes, elle balbutie oui je veux; alors nous nous livrons à des ébats amoureux comme pour fêter notre sortie, elle de la mauvaise vie et moi de mon célibat endurci, puis nous nous offrons un bain commun où nous nous frottons et rinçons mutuellement ; après quoi nous passons au salon où nous nous saoulons comme il se doit, au rythme d'une musique érotique accompagnée de mets diététiques, et ce sans à personne quémander permission et encore moins absolution... Vive la vie ! A bas la pandémie ... A présent, adieu Pangloss de mes deux !
Il raccroche sans entendre ma réplique et ma bénédiction pour son mariage. En ce temps morose et bien sombre, prendre l'avis d'un jeune homme dont je suis oncle et qui se targue de n'avoir jamais fait le Ramadan. Je lui conseillais, en cette matière, de ne pas faire dans l'exhibitionnisme. Ah ! les jeunes déjeuneurs. Mais je reconnais que, contrairement à beaucoup de jeunes de sa génération, il a un langage dépollué et non bâtardisé.
-Allô mec... ça gaze ton confinement?
-Pas bien tonton. Ah le rester chez soi ! Trop de contraintes et d’interdictions ! Pas moyen de rencontrer les amis, mecs et gonzesses. Et les parents se relaient pour garder un œil sur leur fils unique que je suis. D'ailleurs à l'extérieur tout est fermé : night-clubs, bars, salles de sport et même les mosquées... Quant au vieux, ton frère, il a l'air de couler de bonnes journées entre ablutions, prières, chapelets, nettoyage de son dentier et zapping ; et ma pauvre mère qui remplace la bonne, confinée chez elle, est devenue, comme son homme, téléphage et ne cesse de lui rappeler la prise de ses médicaments et de parfumer l'air du petit salon qu'il pollue à l'envi avec son tabac et même ses rots et pets à répétition, parfois pudiques et souvent sonores. Il en impute la cause aux féculents dont il raffole et remplit la panse durant chaque jour que Dieu fait. Et la nuit, durant le sommeil, il lance des ronflements non-stop qui ont contraint ma mère à faire, depuis belle lurette, lit à part. Comme pour le rappeler à l'ordre, je lui explicite ma question:
-Mais toi, en tant que jeune, comment tu égrènes les heures de ta journée?
-Eh bien, dit-il, les cours à distance, mais ça ne vaut pas la classe et le prof en chair et en os, et puis télé, coups de fil, lecture, rêves éveillés et un peu de musculation moyennant les ustensiles de la cuisine. Mais mes meilleurs moments de relaxe je les passe au petit balcon à parler au mobile avec ma petite amie du balcon d'en face. Et c'est à toi seul que je peux dire ça, cher tonton. Elle est belle, elle louche un peu, et avant le foutu fléau quand je la fixais du regard, elle me saoule, et alors si le lieu s'y prête, on se jette l'un sur l'autre, et ainsi, elle, quelle pure merveille ! Mais à présent que nous sommes tous deux confinés, épiés, elle excelle à m'encenser de paroles mielleuses, ravissantes et toutes si bien sexuées. Quant à moi, je m'essaye à lui rendre la pareille mais sans être de son niveau. Et une fois appelée au périmètre familial, on échange des baisers aériens, et puis elle s'éclipse en me laissant dans un état de surexcitation intense. Et donc que faire, tonton, pour baisser la charge libidinale, sinon en allant revisiter Madame 5 comme au temps de ma prime adolescence, et si tu ne piges pas, il s'agit de houwa sabone alkaff, motivé aussi en cela par mon amuse-gueule aphrodisiaque que je picore chaque fois que j'en ai envie. Et si j'use de mots crus et impudiques, je m'en excuse et rappelle-toi que je suis un étudiant en biologie.
A présent, c'est le tour d'une femme amie, féministe rationaliste, qui fut belle et rebelle à couper le souffle, et d'ailleurs elle le reste en assez bonne position, en dépit du temps qui passe et qui casse. Militante et méritante, je ne pouvais pas me passer de sa réponse à ma fameuse question :
-Bonjour Lalla Kalthoum. Eh bien, étant tous logés à la même enseigne, comment gères-tu ton confinement?
-Que dire, cher ami? Je te mentirai si je te déclame que ma gestion est nec plus ultra. Le moral, je l'ai plutôt dans les chaussettes. Je suis, tu le sais, une femme engagée et d'action, et maintenant avec ce Covid-19 qui ratisse immensément large, j'en suis comme amputée. Même aller me recueillir devant les tombes de mes parents et mon mari, ça m'est interdit, comme d'ailleurs bon nombre de courses. Alors je me dois de vivre à huis clos dans l'attente de vraies bonnes nouvelles qui se laissent trop désirer et tardent à venir. Bonnes nouvelles en tête desquelles la fin effective de l'épidémie suivie par un déconfinement libérateur et sans risque aucun. Entre-temps j'essaie de faire la nique à l'ennui et à la monotonie qui sont, selon Baudelaire, la moitié du néant, mais je n'y arrive pas. Une amie m'a dit que elle, elle y arrive en pratiquant ce qu'elle baptise orgasmer en self service. Mon sommeil n'en est pas un, car trop agité ou paradoxal et parfois truffé de pics cauchemardesques... Un connard hypermisogyne m'a saisi, il y a une semaine, d'un SMS revanchard : "Maintenant, me lance-t-il, tu peux par ce beau temps printanier mariner dans ton jus féministe et surtout militer en cultivant ton jardin", alors qu'il sait lui et sa femme infâme que dans mon petit balcon ne siègent que deux pauvres pots... Mais passons. Je me souviens de ce connard pourri, une tête à claques, qui m'a dit un jour : "Sais-tu, cher intellectuel, que le seul avantage que la femme a sur l'homme, c'est qu'elle met bas son nouveau-né, alors que moi et toi nous ne mettons bas que notre merde en une ou plusieurs livraisons ?" Je lui ai fait signe de déguerpir hors de ma vue.
Je l'ai sentie blessée, mon amie, et même humiliée. Alors pour la soulager, je me suis employé avec ardeur à lui rappeler ses hauts-faits dans la défense des femmes maltraitées, démunies et des mères célibataires ou seules, etc. Et puis, elle m'annonce qu'elle a mis son niqab pour sortir acheter sa pitance. Observant un instant de silence, elle me dit d'une voix apaisée :
-Ne t'en étonne pas, moi aussi, comme tout le monde, je dois mettre ce qu'on appelle faussement un masque, car celui-ci, on ne s'en servait avant le Covid-19 que pour se déguiser et aller faire un hold-up ou participer à un bal masqué. Quant au mien, c'est bel et bien un voile en tissu blanc lavable que j'ai hérité de ma mère la Tangéroise. Il me va et me protège tant et si bien que je projette le breveter avec motifs fleuris à usage exclusivement féminin, et c'est une jeune couturière qui en sera la bénéficiaire alors que son mari s'occupera des voiles pour hommes.
Enchaînant, comme pour valider son choix et son idée, je dis :
-Alors, à l'instar du "mariage pour tous" maintenant c'est "voile pour tous" comme au temps des Almoravides qui s'appellent aussi almoulathamoune (les voilés) contre les tempêtes de sable et la chaleur torride. Quel bel hommage post-mortem nous leur rendons ! Ironie de l'Histoire qui fait un bras de déshonneur aux islamophobes de tout poil, notamment les sulfureux populistes et partisans de l'extrême droite ... Il est temps chère Kalthoum que je te libère. Prends soin de toi et que Dieu te garde.
Resté seul, pensif, je me suis dit que je ne serai pas étonné si elle me confie un jour que pour mettre du baume à son confinement et se préparer à l'aprèspandémie, elle s'est mise à faire ses ablutions et prières quotidiennes en se justifiant que c'est là l'ultime carte qui lui reste à jouer. Soudain, un souvenir me remonte à la mémoire, comme pour m'égayer un peu, celui d'un bal masqué auquel j'ai participé nuitamment, il y a belle lurette, avec sur le corps une minidjellaba jabliya, un tarbouch rouge écarlate, un papillon au cou d'une couleur vermeille assortie avec celle de mes espadrilles Nike et une paire de lunettes solaires flambant neuf. Un autre souvenir, pathétique celui-là, me rappelle un flic, sur la plus belle avenue du monde, qui arrête une femme voilée, lui intimant l'ordre de se dévoiler. Prise de panique, elle s'exécute en montrant sa calvitie et clamant, les larmes aux yeux : c'est pour cacher ma disgrâce causée par un cancer que je me le mets, Monsieur. C'est alors que j'interviens pour demander au flic de laisser cette femme en paix vêtue comme elle était. Furieux, il m'ordonne de foutre le camp. J'ai refusé fortement, encouragé par trois gaillards venus à la rescousse, un Maghrébin comme moi et deux frères africains. Les prenant à témoins, je leur dis l'objet du litige et au flic de faire son PV, mais - surprise! - il s'éclipse furtivement et se fond dans la foule, feignant répondre à une urgence professionnelle. La femme me remercie de tout cœur en m'embrassant la main et disparaît dans la bouche du métro, après avoir reçu de moi des baisers chaleureux sur ses deux mains et son front. Tressaillant d'émotion, j'ai eu le sentiment d'avoir vécu un moment de fraternité sublimissime. Et du coup, j'ai mesuré à quel point des Français dits de souche foulent aux pieds les valeurs de la France des Lumières et des droits humains : Liberté, Egalité, Fraternité que nous aimons et aimerons toujours envers et contre les idéologues haineux et cabosseurs, les Arabes de service et autres serfs volontaires et agents toxiques. Le surlendemain, j'ai reçu de Kalthoum deux e-mails où elle accuse réception des deux miens qui tour à tour l'ont fait rire et pleurer. Elle m'a promis de me raconter de vive voix des drames et anecdotes dès que nous aurons recouvré notre liberté de rencontre et de mouvement. Elle m'en a livré seulement quelques titres : Une adolescente qui s'est défenestrée par dépit amoureux, une autre pour avoir perdu son fiancé fauché par l'épidémie ... Une amie qui a fait deux tentatives de suicide, mais qui sont restées, selon son expression, lettre morte... Un jeune homme qui lui a rapporté le cas d'un couple voisin qui a longueur d'heures se lancent véhémentement des injures pour ne pas en venir aux mains. La femme taxe son mari de sale virus et celui-ci lui réplique : ferme ta gueule sale corona... Une des collègues de mon informatrice reprend la cigarette après un sevrage de six ans et se met à fumer comme une cheminée, et ce dès qu'elle a entendu à la télé que la nicotine tue le coronavirus dans l'œuf ou dès ses premiers symptômes... Quant au vin, elle continue à en boire mais bien chauffé, car ainsi, dit-elle, il dérange le virus ou le sonne ... Enfin, une cousine, poursuit Kalthoum, m'a conté un cauchemar où elle a vu le virus métamorphosé en monstre tout de noir vêtu, avec sur la gueule un masque en peau zébrée puante et sur la tête une couronne truffée de clous et d'épines. Il la crucifie sur son lit et la viole sauvagement. Réveillée en sursaut, toute en sueur, souffle court et le cœur battant la chamade. Elle en informe sa généraliste, laquelle lui conseille de prendre une douche tiède, un calmant et d'être zen. Avant de prendre congé de moi, je l'assure que mon vécu confinementiel bientôt elle le recevra, puis elle me promet de m'informer des SOS femmes battues, et part s'en acquitter et alerter qui de droit. Une fois seul, je me suis mis à m'enquérir des nouvelles du monde, prenant acte qu'un virus dont on ne cerne pas encore le gène pathologique sème à ce point une monstrueuse pagaille inédite et tentaculaire, et ce sur terre, sur mer et dans les airs. De mémoire d'homme, c'est du jamais vu! Hécatombes, cimetières et fosses communes à perte de vue à l'échelle planétaire; économies mises plus bas que terre; entreprises aux abois ; pays de l'UE en récession; la première puissance US (avec 1 million d'infectés) impêtrée dans une crise monumentale et impuissante devant ses 25 millions de chômeurs, la chute du prix du pétrole à zéro dollar le baril, se trouvant, du coup, lui aussi, confiné (en stockage) tandis que le président évangéliste, le bourreau des Palestiniens et le super serviteur des faucons israéliens ne cesse de cumuler bourdes et infamies, et qui pour ne pas choir s'agrippe fortement à sa trempe, et n'éprouve aucune gêne à taxer le réchauffement climatique de mensonge (it's a lie), ni à priver l'OMS de la quotepart américaine (comme il l'a fait auparavant pour 1'UNESCO) et ce au motif qu'elle n'a pas vu venir le Covid-19, ni à prophétiser haut et fort que l'eau de javel et autres détergents sont l'antidote du coronavirus et qu'il serait bon de l'injecter aux malades. Cette recette abracadabrantesque, dit-on, lui aurait été soufflée par un virologue de pacotille. Quant aux pays en voie de développement
à perpétuité, ils essaieront de survivre à crédit auprès du FMI et de la Banque mondiale pour une incertaine relance, en hypothéquant leur liberté de choix et d'action et l'avenir des jeunes, autrement dit leur souveraineté politique, économique et au-delà.
Enfin, la pandémie, une fois jugulée après d'autres vagues et rebonds probables, ses retombées calamiteuses ne s'arrêteront pas aux secteurs cidessus indiqués, mais elles s'étendront au domaine psychosomatique. Ainsi les psychiatres auront beaucoup à faire avec les endeuillés de longue durée ou même à vie, les névrosés obsessionnels, les asthéniques, les paranoïaques, les claustrophobes, les insomniaques, les déprimés à divers degrés et bien d'autres patients saturés de cicatrices et séquelles indélébiles, en somme les écorchés vifs, ceux qui éprouvent perpétuellement ce que Miguel de Unamuno nomme El sentimiento tragico de la vida.
A suivre
Si la grande mutation ne s’opère
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Si la grande mutation ne s’opère,
La pire des pestes s’en prendra à ton corps, frère, à mon corps,
Aux corps de tous les précaires et les démunis de tout poil,
Qui naissent au monde du labeur et y meurent.
La pire des pestes,
Quelle écriture pourrait en rendre compte
Et nous en rendre compte ?
Et n’ayant nul abri en campagne ou habitation de plaisance,
Tu tourneras en rond, comme moi, comme eux,
Cherchant vainement à nous échapper.
Il y a le large, bien sûr,
Mais un frère, c’est de l’aimant.
Tes frères te retiendront donc à eux,
Et à leur propos fameux :
Il n’y a de salut que collectif.
Et sache que tout sauf-conduit est illusoire.
Tout sauf-conduit ramène à la peste,
Joint ta base à ton sommet dans le gisement.
Et tu chancelleras,
Et tu paieras de ta vie l’alliance
De la pénurie et de l’oppression,
Si la grande mutation ne s’opère
En toi, en moi, en nous, frères.
Perpétuelle menace sur nos corps,
Elle (la pire des pestes) sera si massive, si ravageuse
Qu’il faudra pour en témoigner un oeil surhumain.
Et ton cri et nos cris, nous populations infectées, seront longs,
Si longs et tragiques qu’ils n’auront d’écho que chez des peuplades
Lointaines dont l’écoute n’est pas encore souillée par les moeurs courantes.
Elle s’appelait Az-zahra.
Elle était ton amour et mon azur,
Notre nuage vert en somme.
Et maintenant que la peste l’a enterrée,
Nous la retenons de mémoire,
Comme signe de notre plénitude manquée
Et nous perdrons d’autres, de nouvelles Silles du bon vent,
Si nous n’en prenons pas soin.
Ainsi devrai-je tout comme toi, frère,
Garder un oeil sur elles et un autre sur la menace
Qui sera imminente,
Si mon tonus et ta teneur s’effondrent,
Si la grande mutation ne s’opère.
“El deber de todo revolutionario”
Est de se tenir debout en éveil
Là où les générations décadentes sommeillent.
Je ne suis ni charognard,
Ni prédicateur de champs de ruines.
Mais mes nouvelles qui viennent du Sin fond de la nuit
Pour informer le jour,
Mes nouvelles assorties de Slammes Sines
Ont pour source sûre mes agences intérieures,
Mes antennes sensibles
Et mon oeil.
Ton oeil hypertrophié, frère.
Ton oeil exorbitant, dehors-dedans,
Ton oeil aride ou larmoyant,
Il détient le meilleur chiffre, l’éclatante parole.
Il témoigne et te signe…
L’essentiel n’est pas que tu remportes des victoires sur les pierres.
Ni que tu te saisisses de quelques trêves au rabais ou passagères.
L’essentiel c’est que tu saches pour qui
Tu mets en état de culture les marécages.
Si c’est pour tes frères, vas-y et opère.
Si c’est pour d’autres, NON.
Ton frère ?
Tu le reconnaîtras à sa plaie,
Visible ou cachée.
S’il est fou, enlace-le davantage.
Car il est celui qui a rompu avec la peur
Et s’est barricadé dans des périmètres interdis
Et a tout dit,
En disant l’alphabet vital et la clarté.
Quant aux autres, tes ennemis de classe, frère :
Ce sont ceux qui investissent ton for intérieur,
Ton sang et ta chair,
Ceux qui te poursuivent jusqu’au tréfonds de ta détresse
Et te torturent même en temps de trêve,
Ceux qui t’immatriculent, te Sichent,
Et te rendent familier à moult maladies,
En étouffant ton espérance de vie allègrement.
En te poussant à péter ta Sleur prématurément.
Tu crèves donc, homme, sans même pouvoir crier.
T’annonçant le temps qu’il fera, je dirai :
Ni coupes de vie, ni miracles purs,
Mais mers de mainmorte et terres, volées,
Mais âmes en peine et corps abîmés,
Et nulle part où aller. Nulle part où aller…
Alors aménage tes assises et décrète l’état d’alerte.
Taille ta vigilance dans la hauteur du feu fertile,
Et renaîs aux Sins les meilleures ;
Il est question de ton être en péril
Et de la peau d’hommes et de femmes,
Tes frères et soeurs en humanité…
La pire des pestes s’en prendra à ton corps, frère, à mon corps,
Aux corps de tous les précaires et les démunis de tout poil,
Qui naissent au monde du labeur et y meurent.
La pire des pestes,
Quelle écriture pourrait en rendre compte
Et nous en rendre compte ?
Et n’ayant nul abri en campagne ou habitation de plaisance,
Tu tourneras en rond, comme moi, comme eux,
Cherchant vainement à nous échapper.
Il y a le large, bien sûr,
Mais un frère, c’est de l’aimant.
Tes frères te retiendront donc à eux,
Et à leur propos fameux :
Il n’y a de salut que collectif.
Et sache que tout sauf-conduit est illusoire.
Tout sauf-conduit ramène à la peste,
Joint ta base à ton sommet dans le gisement.
Et tu chancelleras,
Et tu paieras de ta vie l’alliance
De la pénurie et de l’oppression,
Si la grande mutation ne s’opère
En toi, en moi, en nous, frères.
Perpétuelle menace sur nos corps,
Elle (la pire des pestes) sera si massive, si ravageuse
Qu’il faudra pour en témoigner un oeil surhumain.
Et ton cri et nos cris, nous populations infectées, seront longs,
Si longs et tragiques qu’ils n’auront d’écho que chez des peuplades
Lointaines dont l’écoute n’est pas encore souillée par les moeurs courantes.
Elle s’appelait Az-zahra.
Elle était ton amour et mon azur,
Notre nuage vert en somme.
Et maintenant que la peste l’a enterrée,
Nous la retenons de mémoire,
Comme signe de notre plénitude manquée
Et nous perdrons d’autres, de nouvelles Silles du bon vent,
Si nous n’en prenons pas soin.
Ainsi devrai-je tout comme toi, frère,
Garder un oeil sur elles et un autre sur la menace
Qui sera imminente,
Si mon tonus et ta teneur s’effondrent,
Si la grande mutation ne s’opère.
“El deber de todo revolutionario”
Est de se tenir debout en éveil
Là où les générations décadentes sommeillent.
Je ne suis ni charognard,
Ni prédicateur de champs de ruines.
Mais mes nouvelles qui viennent du Sin fond de la nuit
Pour informer le jour,
Mes nouvelles assorties de Slammes Sines
Ont pour source sûre mes agences intérieures,
Mes antennes sensibles
Et mon oeil.
Ton oeil hypertrophié, frère.
Ton oeil exorbitant, dehors-dedans,
Ton oeil aride ou larmoyant,
Il détient le meilleur chiffre, l’éclatante parole.
Il témoigne et te signe…
L’essentiel n’est pas que tu remportes des victoires sur les pierres.
Ni que tu te saisisses de quelques trêves au rabais ou passagères.
L’essentiel c’est que tu saches pour qui
Tu mets en état de culture les marécages.
Si c’est pour tes frères, vas-y et opère.
Si c’est pour d’autres, NON.
Ton frère ?
Tu le reconnaîtras à sa plaie,
Visible ou cachée.
S’il est fou, enlace-le davantage.
Car il est celui qui a rompu avec la peur
Et s’est barricadé dans des périmètres interdis
Et a tout dit,
En disant l’alphabet vital et la clarté.
Quant aux autres, tes ennemis de classe, frère :
Ce sont ceux qui investissent ton for intérieur,
Ton sang et ta chair,
Ceux qui te poursuivent jusqu’au tréfonds de ta détresse
Et te torturent même en temps de trêve,
Ceux qui t’immatriculent, te Sichent,
Et te rendent familier à moult maladies,
En étouffant ton espérance de vie allègrement.
En te poussant à péter ta Sleur prématurément.
Tu crèves donc, homme, sans même pouvoir crier.
T’annonçant le temps qu’il fera, je dirai :
Ni coupes de vie, ni miracles purs,
Mais mers de mainmorte et terres, volées,
Mais âmes en peine et corps abîmés,
Et nulle part où aller. Nulle part où aller…
Alors aménage tes assises et décrète l’état d’alerte.
Taille ta vigilance dans la hauteur du feu fertile,
Et renaîs aux Sins les meilleures ;
Il est question de ton être en péril
Et de la peau d’hommes et de femmes,
Tes frères et soeurs en humanité…
Bensalem HIMMICH