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Percevoir le cannabis tout autrement

La légalisation qui devrait changer de nombreuses donnes


Libé
Vendredi 26 Février 2021

Percevoir le cannabis tout autrement
Après son vote favorable pour la reconnaissance officielle des propriétés médicinales du cannabis lors de la 63ème session de la Commission des stupéfiants des Nations unies (CND), le Maroc franchit un nouveau pas sur la voie de la légalisation de l'usage du cannabis. Il vient, en effet, d'entamer l'examen du projet de loi n° 13.21 portant usage légal du cannabis, en prévision de son adoption lors du prochain Conseil. L'un des traits saillants de ce projet sera la création d’une Agence nationale spécialisée dont la mission est de superviser l’achat et la vente de la plante à des entreprises dans le but de l’utiliser à des fins médicinales et à des fins de transformation nationale et internationale. Il y aura également mise en place de six zones de culture du cannabis à travers le Royaume, situées, a priori, dans le Nord du pays. Hors de ces zones historiquement productrices de cannabis, la culture et l’usage récréatifs resteront interdits.

Pourtant, il est légitime de se demander si ce projet de loi va régler une question à forts enjeux politiques et socio-économiques traversée par des rapports de force. Il sera question également de se demander si ce projet répond aux attentes des cultivateurs qui conçoivent le cannabis non pas comme « une activité de survie » mais aussi comme une «culture de résistance » à la marginalisation économique et politique, comme ont noté Khalid Mouna et KenzaAfsahi, dans leur article : «La légalisation du cannabis, une ethnographie d’un débat politique dans le Rif du Maroc ». D’après eux, pour ces cultivateurs, le débat sur la culture du cannabis au Maroc dépasse la seule question de la simple régulation d’une activité économique par l’État ou l’usage du cannabis comme un enjeu de sécurité ou de santé publique (comme dans d’autres pays), il s’agit pour eux de rétablir« en dignité ceux qui le cultivent par leur décriminalisation ou la légitimation historique du produit ».

Une situation des plus compliquées puisque ces cultivateurs ont été exclus du débat national sur la légalisation du cannabis et cela dès les premières années de son lancement. Selon les deux chercheurs, ce débat a été dominé par l’Etat qui donne le rythme et alterne les temps forts et les temps de silence. En effet, « La culture du cannabis est caractérisée par des enjeux de pouvoir et des rapports de force entre différents acteurs. Cette réalité révèle aussi la complexité d’un débat sur la légalisation qui ne semble pas déboucher sur des solutions réalistes et partagées parles différentes parties. Ce débat n’est plus seulement investi sur le plan national par des acteurs exogènes mais maintenant sur un plan local également», soulignent les rédacteurs dudit article. Khalid Mouna et KenzaAfsahi indiquent, en outre, que « depuis les mobilisations de 2011, les acteurs locaux ont mobilisé plusieurs moyens de communication pour publiciser leur souffrance et dénoncer les chantages qu’ils estiment systématiques des forces de l’ordre réparties sur le territoire du Rif ». Ils ajoutent que certains des arguments utilisés par les cultivateurs sont ensuite exploités parles partis politiques dans le débat sur la légalisation du cannabis.

Il a fallu attendre, précisent les deux chercheurs, l’implication de certains jeunes militants associatifs originaires de l’aire de culture du cannabis, en mobilisant «les identités locales du bled du kif » pour que la donne change. Lors des élections communales de septembre 2011, les acteurs locaux du bled du kif se sont mobilisés pour former des alliances en fonction des appartenances ethniques. Les candidats ont mobilisé les arguments du débat sur la légalisation du cannabis pour vaincre leurs rivaux. Les associations locales qui représentent les cultivateurs ont réussi à mieux s’organiser et ont permis aux cultivateurs de prendre conscience que se fédérer pouvait leur donner plus de poids au cœur d’un débat qui ne peut plus se passer de leur participation. Khalid Mouna qui est également l’auteur du livre :«Le bled du kif :Economie et pouvoir chez les Ketama du Rif», nous avait affirmé dans une précédente édition, que la culture du cannabis dans le Rif central n’est pas seulement une activité économique, mais aussi un facteur de stabilité sociale. Et d’ajouter que la volonté gouvernementale de légaliser les cannabis pour des usages médicaux est appelée à affronter certains défis et questions pratiques relatives à la manière de produire, au type de produit et à la qualité de la production. Ce qui nécessite, selon lui, encore du temps et de la réflexion. A rappeler que la CND a décidé, récemment, le reclassement du cannabis et de sa résine dans les conventions internationales. Le cannabis pourrait ainsi être utilisé dans la fabrication de médicaments, au même titre que l’opium ou la morphine, sans que son utilisation ne soit découragée par l’ONU comme ce fut le cas jusqu’alors. Le Maroc a été parmi les 27 pays qui ont voté lors de la 63ème session de la CND pour la reconnaissance officielle des propriétés médicinales du cannabis. Il a été le seul pays de la région MENA à voter favorablement pour le retrait du cannabis de la catégorie des drogues du tableau IV de la Convention de 1961.

Hassan Bentaleb 

Quid de la législation du kif ?

Le Conseil de gouvernement, réuni jeudi par visioconférence sous la présidence du chef du gouvernement Saad Dine El Otmani, a entamé l'examen du projet de loi n° 13.21 portant usage légal du cannabis, en prévision de son adoption lors du prochain Conseil. Présenté parle ministre de l’Intérieur, ce projet de loisera complété et approuvé lors du prochain Conseil de gouvernement, a fait savoir le ministre de l’Education nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, porte-parole du gouvernement, Saaid Amzazi, dans un communiqué lu lors d’un point de presse, tenu à l’issue du Conseil de gouvernement. Le texte de loi consulté par l'AFP prévoit la création d'une "Agence nationale de régulation des activités liées au cannabis" chargée de "développer un circuit agricole et industriel" dans les régions "autorisées à produire". Le texte ne fait aucune mention de la production actuelle - estimée à plus de 700 tonnes, pour une valeur de 23 milliards de dollars(environ 19milliards d'euros),selon une étude publiée en 2020 parle réseau indépendant "Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée". Les quantités produites légalement ne devront pas dépasser les volumes "nécessaires pour la production à caractère médical, pharmaceutique et industriel", indique seulement le projet de loi précisant que les cultivateurs devront intégrer "des coopératives agricoles" et traiter uniquement avec des sociétés autorisées. La culture, la vente ou la consommation de drogue sont strictement interdites au Maroc. Mais dans le Nord du pays, grande région productrice, le kif fait partie du patrimoine local, sa consommation est largement tolérée et sa production fait vivre entre 90.000 et 140.000 personnes, de la culture à la revente, selon des estimations. Le Royaume a réduit les surfaces de cannabis de 134.000 ha à 47.500 ha entre 2003 et 2011 dans le cadre d'un grand programme de reconversion, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Légaliser l'usage thérapeutique permettra de se positionner sur un marché mondial "en croissance annuelle de 30% au niveau mondial et de 60% au niveau européen", d'après une note du ministère marocain de l'Intérieur. Cela permettra aussi d'"améliorer les conditions de vie des cultivateurs et va les protéger des réseaux de trafics de drogue", selon la même source. Selon une étude du cabinet Grand View Research en 2017, le marché mondial du cannabis médical pourrait s'élever à 55,8 milliards de dollars en 2025 (environ 50 milliards d'euros), soit cinq fois plus qu'en 2015. La commission des stupéfiants des Nations unies a retiré le cannabis de sa liste des drogues les plus dangereuses en décembre dernier, ce qui a ouvert la voie à la reconnaissance du potentiel médicinal et thérapeutique de cette plante interdite dans de nombreux pays.


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