Nouvel ouvrage de Lalla Khadija Alaoui Yousfi : Meddeb ou l’identité culturelle universelle


PAR Moulay Seddik Rabbaj
Mercredi 16 Novembre 2011

Nouvel ouvrage de Lalla Khadija Alaoui Yousfi : Meddeb ou l’identité culturelle universelle
La parution de l’audacieux livre de Samuel Hunkington « Le choc des civilisations » en 1996, a provoqué une controverse et suscité une grande polémique, donnant ainsi lieu à de nombreux débats. L’auteur précise que les conflits qui régissent le monde nouveau ne sont plus d’ordre idéologique ni économique, mais plutôt d’ordre culturel. Le choc des civilisations dominera la politique à l'échelle planétaire. La fracture entre les civilisations sera une ligne de front des batailles du futur. Les attentats à travers le monde apportent de l’eau à son moulin et le laissent dire sardoniquement : « Les événements donnent une certaine validité à ma théorie. Je préférerais qu'il en soit autrement». Les pourfendeurs de cette théorie lui reprochent de dessiner un Occident assiégé par des civilisations hostiles alors que le monde est de plus en plus interdépendant.
Lalla Khadija Aloui Yousfi, docteur ès-lettres et professeur à la Faculté des lettres et des sciences humaines à Marrakech, vient d’ajouter une pierre à  l’édifice des contestataires de Hunkington en publiant un livre qui traite de la question, mais d’un angle littéraire. L’ouvrage intitulé « Abdelwahab Meddeb entre les cultures de l’Orient et de l’Occident ou vers une identité culturelle universelle » aborde la problématique autrement. Aloui, en travaillant sur le cas de l’écrivain tunisien (bon exemple de l’intellectuel arabe)  et en s’appuyant sur quelques-unes de ses œuvres, explique que, loin de l’autre, l’auteur de Talismano ne peut pas se repérer; c’est à travers l’altérité qu’il arrive à définir son identité. Elle cite pour argumenter ses propos Khatibi qui dit : « L’identité est une relation entre l’un et le multiple ». La chercheuse considère l’identité culturelle comme « la structure duelle, ce lieu entre le monde de l’écrivain et celui de l’Autre, entre la langue maternelle et étrangère; elle est cette autocritique, ce vacillement entre deux mondes, deux cultures, deux langues». Loin d’être un moyen de confinement, l’identité culturelle devient pour l’écrivain une ouverture vers le monde, un moyen de reconnaissance de soi et de l’Autre, un tiraillement qui, après un premier choc, qui peut lui conférer, faussement, l’aspect  d’une acculturation, s’avère un outil d’émergence de la vraie pensée de l’auteur.       
Le livre attire aussi l’attention sur les divagations que le concept peut prendre surtout au cours des phases difficiles et décisives dans l’évolution des groupes sociaux. « L’identité culturelle est surtout revendiquée aux moments de crises ou de conflits, elle se trouve donc mêlée aux idéologies et enlacée de passion et d’affectivité, car elle peut devenir facilement un outil idéologique qui va jusqu’à la falsification de la réalité ». Alaoui, avec un travail très subtil sur les textes de Meddeb, montre que pour cet écrivain, l’universalité de l’identité culturelle ne peut être atteinte que lorsque la culture brise la coquille du régional et dépasse ce stade élémentaire et naïf de la race afin de pouvoir se transformer en savoir réfléchi. Lorsque cette culture se transcende et déborde les frontières d’un nationalisme exclusif, elle devient un processus évolutif qui influence et se trouve influencée par le savoir, elle entre par conséquent dans la sphère de la pensée humaine et appartient à la civilisation mondiale. L’auteur, en se basant sur des extraits de Talismano et de Phantasia, les deux romans de Meddeb qui ont constitué l’objet de son étude, met en évidence l’intérêt du romancier pour cet être « hiérologique », cet être cosmopolite qui est bien sûr l’être/espoir, l’être/avenir du monde. Pour montrer la volonté de Meddeb d’universaliser l’héritage culturel, Alaoui commence par l’explication des titres : Talismano qui veut dire talisman est un emprunt de l’arabe « talsam » qui vient lui aussi du mot grec talisma, terme qui signifie rite religieux. « Le mot reflète la traversée culturelle qu’il représente». Alors que Phantasia est un mot latin qui veut dire « les objets fabriqués » dont la valeur réside dans la nouveauté. Et quand une chose est inventée, elle n’appartient plus à son inventeur. Elle devient propriété privée de l’utilisateur. L’écrivain cite un passage qui corrobore l’idée défendue : « Meddeb proteste contre tous ces principes austères qui forment un obstacle à tout échange culturel et un frein ralentissant voire arrêtant tout mouvement progressiste qui aspire au développement et au modernisme. »
«Abdelwahab Meddeb entre les cultures de l’Orient et de l’Occident ou vers une identité culturelle universelle » est une heureuse production. C’est un livre qui montre que la littérature n’est pas seulement un exercice de plaisir, mais aussi une pépinière où s’élaborent des idées qui peuvent constituer l’avenir du monde. Lalla Khadija Alaoui Yousfi a pu aller au-delà de la dénotation du texte, sa formation littéraire et son sens profond de l’analyse l’ont bien aidée à faire dire au texte ce qu’il a essayé de cacher ou du moins de balbutier. On aimerait bien que ce genre de production se multiplie au Maroc pour que nos intellectuels et nos docteurs puissent participer activement aux débats de grandes questions qui occupent le monde d’aujourd’hui au lieu de s’enfermer dans leur tour d’ivoire.


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