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Les marchands ambulants envahissent le domaine public


Rida ADDAM
Mercredi 27 Juillet 2011

Le silence des autorités favorise l’informel

Les marchands ambulants envahissent le domaine public
A la veille de Ramadan, les marchands ambulants gagnent davantage d’espace dans les rues, les boulevards et même devant les grandes surfaces et les marchés. Le silence flagrant des autorités compétentes favorise leur invasion. Les habitants, les commerçants et les passants ne supportent plus cette situation, surtout que le comportement des marchands ambulants laisse souvent à désirer. Sans oublier les saletés et le vacarme que provoque leur invasion.
Les piétons sont privés des trottoirs et les conducteurs sommés de rouler dans le sens opposé pour éviter tout
accrochage avec ces envahisseurs de la voie publique. Les propriétaires de magasins peinent à accrocher des clients car les marchands ambulants les empêchent d’y accéder. Souvent ces derniers proposent la même marchandise des magasins à des prix très concurrentiels. Pour affronter les envahisseurs, certains commerçants adoptent la même stratégie en exposant, à leur tour, leurs marchandises sur des étals juste devant leurs boutiques. D’autres, incapables de pratiquer des mœurs qu’ils n’admettent pas, se préparent déjà à mettre les clés sous le paillasson. En un mot : aux boulevards Prince Moulay Abdellah, Mohammed V, à Derb Omar, Benjdia, Derb Ghalef, Hay Mohammadi, quartier Koréa et partout à Casablanca, la guerre entre le formel et l’informel est ouverte.
Le laxisme qui règne dans ce domaine et qui empêche de lutter contre ce fléau n’arrange pas bien les choses. Ce qui encourage même les marchands de légumes et fruits, les poissonniers et les vendeurs de DVD et produits électroménagers à occuper chaque parcelle de terrain libre dans les quartiers.
Le secteur suffoque devant le silence flagrant des officiels et des autorités locales.

Boulevard Prince Moulay Abdellah, 9 heures du matin. A cette heure matinale, Abdou ouvre sa boutique de chemises située au début du célèbre boulevard piéton. Sa journée s’annonce déjà mal. Elle ne sort d’ailleurs pas de l’ordinaire. Depuis quelques mois, deux marchands ambulants occupent de force l’espace devant sa boutique. Les multiples plaintes et réclamations d’Abdou auprès des autorités compétentes n’ont abouti à rien. Les deux gaillards, ex-détenus dans des affaires de mœurs, sont toujours là. Ils offrent presque la même marchandise que lui à des prix concurrentiels. «Il m’est difficile de baisser les prix à moins de 25%. Mes chemises sont importées d’Espagne. Leur prix de revient dépasse le prix de vente que propose cette concurrence illégale qui s’installe de force devant ma boutique. Bien évidemment la qualité des produits n’est pas la même, mais la majorité des clients ne sont pas habilités à faire la comparaison entre une chemise haut de gamme et une imitation. Surtout que le client est très regardant sur les prix», explique Abdou. Ce quadragénaire qui absorbe déjà des sédatifs à cette heure matinale, ne sait plus à quel saint se vouer.
C’est d’ailleurs le cas de tous les commerçants de ce légendaire boulevard. Son voisin, patron d’une franchise locale, offre son magasin à vendre depuis plusieurs mois. Il n’arrive pas à décrocher une offre. «Personne ne veut d’une boutique au Prince Moulay Abdellah. Les marchands ambulants ont envahi les lieux. Ils tuent le commerce. Ils arnaquent les gens en leur offrant des marchandises de piètre qualité à des prix élevés, mais qui restent concurrentiels par rapport aux prix de nos produits de marque», a-t-il précisé. «Nous sommes en crise depuis plusieurs mois. Les autorités ferment les yeux sur ce crime économique. Les sécuritaires craignent tout soulèvement social et les élus ne veulent pas perdre des voix aux prochaines élections ». Il paraît que la situation est catastrophique pour tous les commerçants du boulevard. Mais les plus avertis jouent désormais le jeu. D’après, un vieux commerçant, «nous avons trouvé la formule magique pour affronter ces marchands ambulants. Après la saison des soldes qui a en quelque sorte boosté nos ventes, nous avons décidé de continuer à occuper les espaces libres devant nos boutiques pour réduire l’invasion de ces marchands.
Ainsi, nous exposons nos produits sur des étals à l’extérieur des boutiques». Une formule qui n’a pas tardé à provoquer la pagaille dans le boulevard. Ces envahisseurs, défiant les autorités et les associations professionnelles, n’ont pas hésité à occuper les passages libres au centre du boulevard et dans les ruelles. D’où l’actuel blocus et le désordre qui règnent sur les lieux. «Les piétons, n’ayant plus d’espace libre sur le boulevard, utilisent des passages étroits entre les chaises des cafés. Ce qui perturbe le commerce de ces derniers et encourage également les voleurs à rôder entre les tables jetant leur dévolu sur téléphones portables, sacs et lunettes des clients. D’autres, font le détour du boulevard pour se rendre à une grande surface de l’autre côté. Ce qui nous fait perdre notre clientèle. Ceci dit, jouer le jeu des marchands ambulants et étaler la marchandise devant les boutiques pour atténuer l’invasion, cette formule magique comme la qualifient certains de nos confrères, a des effets négatifs sur l’ensemble du commerce sur le boulevard», explique un responsable de l’association des commerçants du boulevard. Pour lui, «les officiels doivent mettre fin à cette invasion que nous dénonçons depuis des années.
Il est absurde que nous payons des impôts et des taxes de toutes sortes, les salaires du personnel, l’eau et l’électricité et d’autres charges alors que notre business est mort à cause du secteur ». Un avis que partagent tous les autres commerçants surendettés depuis plusieurs mois. L’un d’eux nous a montré son relevé bancaire débiteur de plus de 20 mille Dh. Une patronne de café fraîchement installé se plaint déjà de la pagaille qui perturbe son business. «Je vends des glaces de marque. Mes clients sont harcelés par les piétons qui se faufilent entre les tables pour éviter les étals des marchands ambulants. J’ai certes un agent de sécurité mais il ne peut contrer tous ces voleurs qui rôdent autour du café. Sans oublier les gros mots échangés entre ces marchands. Ce qui frustre les clients. Je ne revois que rarement un client, surtout quand il s’agit d’une famille», déclare-t-elle.
Les bijoutiers du Prince Moulay Abdellah ont tous eu recours à des sociétés de sécurité et de gardiennage. «Avec cette anarchie et ce désordre qui s’installent de plus en plus dans les lieux, nous sommes menacés à tout moment. Pire, même nos assureurs risquent d’annuler nos contrats car ils refusent des clients dans des endroits à haut risque. Les voleurs sont aux aguets. Il y en a même des marchands ambulants, anciens tolards, qui ne rateraient pas l’occasion pour nous agresser», ricane ce jeune bijoutier. Ce quadragénaire interdit à ses agents de sécurité tout échange avec les envahisseurs. Il panique à longueur de journée même avec la présence de deux agents de sécurité devant sa porte. Cela montre que le boulevard s’expose à des déviances qui menacent à la fois la sécurité physique et morale des propriétaires, des clients et des passants.
Vers midi, les lieux grouillent de marchands ambulants. Les piétons n’ont plus droit au passage. Pour se rendre au boulevard Lalla Yacout ou à l’une des boutiques du Prince Moulay Abdellah, il faut faire le détour et emprunter les ruelles voisines non occupées. Mais cela devient impossible, selon nos interlocuteurs, à partir de 15 heures.
Au niveau du Maârif, le même décor se poursuit. Les usagers du Twin Center et du boulevard Al Massira ainsi que les ruelles adjacentes en témoignent. En plus des marchands ambulants qui se sont installés depuis quelques jours défiant les commerçants du quartier, d’autres commerces ruraux apparaissent même devant les franchises : «Les marchands d’escargots, de maïs et de jus sont installés devant une grande franchise fréquentée par les Casaouis aisés et les cadres moyens. Incroyable mais vrai, d’autant plus que les autorités compétentes ne réagissent pas sous prétexte que ce deal aide à maintenir un certain équilibre socioéconomique.
C’est d’ailleurs la réponse que nous ont infligé les responsables à qui nous nous sommes adressés à maintes reprises.», crie un patron de boutique au boulevard Al Massira. Et d’ajouter : «Heureusement pour moi que mes montres ne sont pas vendues sur le marché. Il n’y a pas non plus d’imitation de ma marque sinon je subirais le même sort que mes voisins». En effet, les voisins de ce jeune franchisé souffrent de l’invasion des marchands ambulants.
Approches conradictoires
Rencontré sur place, un responsable local nous a affirmé que les marchands ambulants qui gagnent leur vie en vendant des articles à la sauvette sur les trottoirs et dans les ruelles du quartier, sont opposés aux efforts des autorités locales qui tentent de les regrouper sur des marchés. Et d’affirmer que les édiles municipaux ont lancé une campagne de sensibilisation pour convaincre ces marchands de quitter les espaces publics, arguant qu'en acceptant de se regrouper sur des marchés, ils éviteront les tracas quotidiens avec les gens et la police». Mais les patrons de boutiques ont une autre vision des choses. Ils accusent les forces de l’ordre, les autorités locales et les édiles d’encourager l’invasion des marchands ambulants en observant le silence et en adoptant le laisser-aller malgré leurs multiples requêtes adressées aux officiels. Khaled, fraîchement débarqué de Doukkala, région d’El Jadida, reconnaît avoir établi un deal avec l’un des agents des Forces auxiliaires : il l’a autorisé à vendre des figues de barbarie devant une grande franchise de prêt-à-porter. Son copain, vendeur de mais, installé devant l’accès principal du Twin Center, affirme à son tour qu’il s’est entendu avec les agents de sécurité de la célèbre grande surface. Deux témoignages qui réfutent en quelque sorte les déclarations du responsable qui pourtant maintient à ses propos. Selon lui, «les statistiques seraient gonflées. Certes en 2007, plus de 128 mille marchands ambulants proposaient leurs marchandises dans le seul quartier Derb Sultan de Casablanca. Dans les autres quartiers, le nombre global de ces marchands qui exercent dans les différents quartiers avoisinait les 800 mille. Mais les autorités locales ont tenté de réglementer cette pratique, notamment la préfecture de Derb Sultan qui avait mis au point une stratégie demandant à ces marchands de s'organiser en marchés définis par des zones bleues.
Les zones interdites aux marchands ambulants seraient repérées par des lignes rouges». Certes, «cette décision ne s’est pas répercutée sur toutes les préfectures de la ville. Mais cela n’empêche pas que les officiels œuvrent dans le sens de combattre ce fléau avec les moyens du bord mais sans déstabiliser ce secteur informel qui embauche des centaines de milliers de chômeurs », poursuit-il.
L’hygiène à l’épreuve
En prospectant les lieux en compagnie de ce responsable local de Maârif, il a relevé en revanche un autre point négatif qu’il qualifie de grave, à savoir l’hygiène. C’est d’ailleurs le cas de tous les quartiers ciblés par les marchands ambulants. «Maârif commence à souffrir de l'amoncellement des ordures que la plupart des marchands laissent en quittant les lieux. Les multiples campagnes de sensibilisation n’ont servi à rien puisque les marchands changent de lieux selon la demande, toujours à la conquête de nouveaux clients. Les nouveaux venus, non avertis de la gravité du phénomène, laissent à leur tour des ordures et ainsi de suite», grogne un habitant du quartier, frustré. Pour lui, «le quartier n’est plus habitable. Nous avons payé cher nos appartements pour le cadre agréable qu’offrait le quartier auparavant. Nous pensons déjà à les revendre suite à l’invasion des marchands ambulants mais ils ne valent plus rien. Personne ne veut plus habiter au Maârif». C’est d’ailleurs le cas au quartier Bourgogne où les marchands de fruits et légumes, maïs, escargots, de figues de Barbarie, de pain et d’autres aliments se multiplient quotidiennement sur le boulevard Goulmima à l’angle de la rue Regraga et dans presque toutes les ruelles avoisinantes. Des dizaines de marchands occupent les lieux au su et au vu de tout le monde. Ils se déplacent en groupes au moment des prières, vers la porte d’une mosquée aménagée dans un magasin d’un centre commercial. Ce qui entrave la circulation et provoque un vacarme insupportable pour les habitants qui protestent presque chaque jour. Le business devant ladite mosquée s’est développé ces derniers jours. Des jeunes barbus ont repris un business interdit depuis 2003, celui des CD-Rom de prêches d’éminents prédicateurs. Ils profitent de la conjoncture qui favorise le commerce informel, sous prétexte de la sécurité sociale, pour véhiculer des idéologies interdites auparavant.
Dans les autres quartiers, le décor est quasiment identique. Les marchands ambulants envahissent boulevards, ruelles voire allées des marchés et centres commerciaux. Le commerce formel paye la lourde facture de ce laxisme. Les habitants des quartiers ne supportent plus cette invasion qui menace leur sécurité et leur paix.


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