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Les intrants agricoles sous exploités au Maroc

Lundi 5 Mars 2018

Censés améliorer le rendement des récoltes, mais de par leur faible utilisation,  les intrants constituent un frein au développement des 
petites et moyennes 
exploitations. 


Comme le sont les rayons du soleil à une plante, l’agriculture est indispensable à l’économie marocaine. Aux antipodes d’un secteur industriel encore balbutiant, l’agriculture est le secteur le plus important au Royaume, générant à peu près 14 % du produit intérieur brut (PIB). Mais en dépit de cette omnipotence, le monde agricole souffre encore de quelques maux. 
Bien au-delà des changements climatiques subis de plein fouet sans pouvoir y remédier, un autre handicap freine le développement de l’agriculture au Maroc, en l’occurrence la faible utilisation des intrants chez les petits et moyens agriculteurs. Une situation préoccupante d’autant plus que ces derniers représentent 80% des exploitants. 
Apparus au 20ème siècle entre les deux guerres mondiales avec l’essor de la chimie, avant de connaître une introduction massive dans une logique industrielle lors de la «révolution verte» en 1960 et 1990, les intrants désignent tout produit nécessaire à la marche d’une exploitation agricole. Cela va du matériel agricole aux engrais et amendements, ou encore les produits phytosanitaires, de la famille des pesticides, ainsi que les semences et plants. Autant d’éléments qui, rajoutés à la terre, améliorent son rendement. 
Ainsi, pour les petits et moyens agriculteurs, les intrants devraient logiquement constituer un instrument de développement. Que nenni. Ce décalage n’est pas le fruit du hasard, il est la conséquence de multiples facteurs. 
S’il existe une agriculture moderne qui concurrence celle européenne, il y a aussi  une agriculture traditionnelle et autarcique dont le principal objectif est l’autosuffisance alimentaire. Elle se caractérise généralement  par des petites parcelles de terre ne dépassant guère les 5 ha, se trouvant principalement dans les régions montagneuses. Souvent dans une situation précaire, ces petits agriculteurs sont portés sur un mode de survie plutôt que sur la recherche de moyens pour augmenter la rentabilité. 
Ce contexte a été soulevé par Houmadis Abdelatif, agriculteur dans la région de Safi, tout en pointant un autre élément hautement important : le manque de remembrement. Cette technique de regroupement de parcelles pour constituer un domaine agricole d'un seul tenant «n’est pas encore généralisée dans tout le territoire du Royaume, et notamment en altitude. Ce qui empêche également les agriculteurs d’investir», a-t-il ajouté. 
Pour cet agriculteur, et malgré les bonnes volontés affichées, le manque de soutien financier est lui aussi sujet à interrogations. Cet aspect serait, selon lui, pareillement à l’origine de l’absence d’investissement des petits et moyens agriculteurs. « La majorité cultive leurs terres avec des machines traditionnelles inadaptées à un rendement supérieur » a-t-il souligné. Et d’ajouter: «Quand ils demandent un soutien financier de la part de l’Etat pour renouveler leurs outils de travail, ils se heurtent à un délai de réponse beaucoup trop long, sans même être sûrs d’une issue favorable ».
En effet, depuis quelques années, des aides financières sont accordées par l’Etat pour encourager les investissements agricoles privés à travers le Fonds de développement agricole, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Maroc Vert. 
Cependant comme l’indique Houmadis, par moments, les délais de réponse peuvent être fatals aux cultures : « Et j’en ai fait l’amère expérience. A une époque j’ai demandé une subvention afin d’irriguer correctement mes cultures. Malheureusement plus des deux tiers ont été perdus à cause d’une réponse tardive ». 
L’épilogue de notre entretien avec ce cultivateur a mis en lumière un inconvénient plus profond s’opposant au développement des petits et moyens agriculteurs, à savoir le manque de sensibilisation aux bonnes pratiques culturales et notamment les traitements phytosanitaires, la fertilisation et la protection des cultures. Placée sous ce thème, le 17 février dernier, à El Jadida, une Journée nationale de sensibilisation a été organisée par la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (COMAER) et la Direction régionale de l’agriculture (DRA) de Casablanca-Settat en partenariat avec la Fédération nationale interprofessionnelle des semences et plants. Une initiative de premier plan. Mais est-ce vraiment suffisant pour pallier le manque de connaissances à ce sujet ? 
Présent lors de cette journée, El Willani Boubker, directeur exécutif de Croplife Maroc, une association à but non lucratif, représentant l’industrie phytopharmaceutique, constituée de 23 sociétés et commercialisant environ 90% des produits utilisés par le secteur agricole, nous éclaire sur cet aspect : « Les petits agriculteurs sont mal informés. Ils ne font pas attention aux risques liés à l’utilisation des traitements phytosanitaires. Ce manque de sensibilisation représente un risque aussi bien pour l’utilisateur que pour le consommateur si l’agriculteur ne respecte pas par exemple les délais avant récolte, entraînant des résidus dans le produit, sans oublier les risques pour l’environnement». Dans ce cas, le danger sanitaire est préoccupant. D’ailleurs selon notre interlocuteur, l’association en est consciente et multiplie les journées de sensibilisation, mais cela reste insuffisant. «De notre côté en tant qu’association, on essaie de faire de notre mieux  en organisant des réunions avec les agriculteurs, pour les sensibiliser sur les bonnes pratiques phytosanitaires. Mais comment se protéger ? Comment utiliser de manière raisonnable ces produits ?» argue-t-il. «Mais notre action reste limitée  faute de ressources financières. Le nombre d’agriculteurs au Maroc s’élève à 1 million 400.000 et ceux qui utilisent les produits phytosanitaires sont de l’ordre de 400.000. Pour pouvoir toucher l’ensemble des agriculteurs, c’est très difficile. On arrive peut-être à toucher 10.000 ou 15.000, maximum 50000, mais pour le reste ils sont livrés à leur sort », se désole-t-il avant de conclure sur une note optimiste : «Il est vrai que depuis la création de l’ONCA, celle-ci fait des efforts de sensibilisation et de vulgarisation, à travers la publicité audiovisuelle. Mais comme elle vient juste d’être créée il y a deux ans, son travail de sensibilisation est de longue haleine. Deux années ne sont pas suffisantes pour pallier  cette problématique ». 
Créé dans l’optique de piloter, coordonner et suivre la mise en œuvre de la stratégie du conseil agricole à l’échelle nationale, l’Office national du conseil agricole (ONCA) a aussi comme prérogatives entre autres, de développer et d’appliquer les méthodes innovantes de gestion et de diffusion des informations et des connaissances ainsi que d’encadrer les agriculteurs en matière de conseil concernant la lutte contre les maladies affectant les plantes et les animaux. Nous avons contacté les intéressés afin d’avoir de plus amples éclaircissements sur les actions de sensibilisation qu’ils entreprennent auprès des petits et moyens agriculteurs, mais également, les défis qu’ils rencontrent. Malheureusement, nous n’avons toujours pas eu de réponse.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il paraît clair que les causes résultant d’un manque d’utilisation d’intrants sont clairement identifiées, ce qui constitue en soi un pas important vers leurs résolutions. Ceci dit, une issue favorable à cette problématique ne pourra être atteinte qu’à travers une action coordonnée et harmonieuse entre les différents acteurs du monde agricole. 
 

Chady Chaabi

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