Ancien professeur à la Faculté des sciences de Tunis, ancien directeur de recherche associé au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) français et consultant international réputé, Mohamed Larbi Bouguerra s’attaque à cette question avec bonheur dans son ouvrage « Les batailles de l’eau : pour un bien commun de l’Humanité».
La quantité de l’eau ne peut ni diminuer (comme celle du pétrole, du gaz ou des minerais, ressources non renouvelables) ni augmenter (comme la production agricole) grâce à des gains de productivité.
Il s’agit donc d’un volume en constant recyclage, mais fini - au sens mathématique du terme - et, de surcroît, dégradé par les pollutions, qui fait l’objet d’une demande en croissance permanente. D’où la nécessité d’arbitrages entre utilisateurs actuels et potentiels, et parfois entre communautés ou Etats inégalement dotés.
Avec cette contrainte supplémentaire : comme l’air, cette matière est indispensable à la vie. Il faut donc la considérer comme un bien commun de l’Humanité.
On ne peut donc décemment pas la livrer aux seules lois du marché.
Puisque cela se fait malgré tout, il faut absolument que les pouvoirs publics veillent à ce que chacun puisse disposer gratuitement d’une consommation permettant de couvrir ses besoins vitaux.
Chez-nous (mais dans d’autres pays aussi), l’eau sert, entre autres, à développer des cultures de rente (légumes sous serres, orangeraies, etc.), orientées vers l’exportation.
Ce qui est insupportable au regard des sécheresses cycliques qui affectent certaines régions.
Selon l’auteur, il ne faut donc laisser ni les technocrates, ni les gouvernements, ni les multinationales de l’eau décider de la répartition de cette précieuse ressource vers les cultures de rente et la priorité au tourisme.
Retrouver une certaine équité implique une participation accrue des gens. Dans les sociétés de l’Afrique du Nord, il existe encore un énorme savoir traditionnel relatif à la gestion et à l’économie de l’eau.
Il faut simplement trouver un équilibre entre les technologies d’hier, liées à ce savoir ancestral, et celles d’aujourd’hui.
En Algérie et au Maroc, certains croient avoir découvert la panacée à travers la privatisation et les contrats avec des grandes entreprises françaises ; pratique qui joue, en fin de compte, contre les plus démunis.
A preuve, les bornes publiques disparaissent graduellement dans le cadre de pareilles privatisations. C’est bien la preuve qu’il faut trouver une autre voie de réflexion.
Et, surtout, éviter celle consistant à soumettre la question de l’eau à l’hégémonie des marchés ; solution d’autant plus « attractive » qu’elle excite la convoitise des financiers, qui voient en cette denrée, une source de profits potentiellement illimités, à l’abri des aléas économiques.
A pareil accaparement, déjà largement réalisé dans de nombreux pays, doit s’opposer une logique de réappropriation publique et démocratique. Laquelle doit, en premier lieu, se fixer comme objectif ultime de donner au milliard d’êtres humains qui en sont privés, l’accès de plein droit à cette ressource vitale.
Un vœu pieu ? Plutôt la marque d’une foi maintes fois réitérée par Mohamed Larbi Bouguerra: l’eau est un cri de ralliement idéal destiné à initier une campagne de globalisation inversée qui pourrait se substituer à la globalisation décidée dans le secret des appareils et des conseils d’administration feutrée.
Globalisation à laquelle même les gouvernements nationaux ne sont pas associés, comme l’a démontré le second Forum de l’eau tenu à La Haye en mars 2000.
En cette occasion, rappelle l’auteur, «on a vu 106 ministres écouter, le doigt sur la couture du pantalon, les ukases proférées par quelques patrons des multinationales de l’eau, qui se sont autoproclamés grands maîtres en la matière».
Résultat : les représentants du Conseil mondial de l’eau, les ministres présents et les grandes compagnies ont refusé de considérer l’accès à l’eau comme un droit humain et se sont contentés de prendre acte du fait qu’il est un besoin vital.
Aux termes de cette déclaration inique, « la fourniture d’eau aux citoyens n’est plus considérée comme une obligation de l’Etat» et «l’accès à l’eau pour tous» pourrait facilement ne plus être garanti.
Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de cette démission des responsables politiques et de la victoire à la Pyrrhus de certains marchands d’«or bleu», nombre de raisons objectives continuent à plaider en faveur d’un optimisme prudent.
«Les batailles de l’eau», Mohamed Larbi Bouguerra, Ed. Enjeux Planète, 240 pages.