Les Européens ont-ils encore un rôle à jouer dans l’affrontement en cours au Moyen-Orient ?


Youssef Lahlali
Mercredi 25 Juin 2025

Les Européens ont-ils encore un rôle à jouer dans l’affrontement en cours au Moyen-Orient ?
Donald Trump déclare la fin de l’affrontement entre Téhéran et Tel-Aviv, et, le même jour, exprime sa colère face au non-respect d’un cessez-le-feu par les deux parties. Ainsi va la vision du monde du locataire de la Maison Blanche : c’est lui qui décide de la guerre et de la paix, et le reste du monde doit exécuter et obéir. Bien sûr, ni Téhéran ni Tel-Aviv ne souhaitent contrarier Trump, chaque camp sachant qu’il en paierait le prix. Quant au reste du monde, il se retrouve en position de simple spectateur.

L’Europe, autrefois porteuse de nombreuses initiatives sur le dossier nucléaire iranien et au Moyen-Orient en général, est marginalisée de manière humiliante. Le président américain ne souhaite pas qu’elle prenne la moindre initiative sur ce dossier. Cela signifie aussi une mise à l’écart totale des institutions des Nations unies, réduites à n’émettre que des communiqués de condamnation, ou à se réunir pour rappeler les principes d’un ordre mondial désormais caduc.

Les alliés occidentaux de Washington ont été totalement écartés de toute prise de décision. Et ce qui inquiète le plus les Européens, c’est le fait de ne plus savoir ce que veut réellement le président américain. Dans son discours politique, il ne défend plus le «monde libre», n’évoque plus les valeurs démocratiques ni une vision morale de l’intervention extérieure, comme les capitales européennes s’y attendaient, ces principes ayant pourtant uni l’Occident depuis sa victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, le président américain parle uniquement de puissance, de qui détient la force militaire, et donc la parole. Le droit international et la légitimité internationale sont rangés au placard.

Les Russes, qui ont lancé leur guerre contre l’Ukraine en février 2022, se réjouissent de cette administration américaine qui partage leur vision du monde : le plus fort décide, sans se soucier du droit international. Après l’attaque américaine contre les sites nucléaires iraniens, Moscou a saisi l’occasion pour mettre en évidence les contradictions de l’Occident et de Washington, leur politique du «deux poids, deux mesures», et la manière dont les Etats-Unis ont violé le droit international. Le ministère russe des Affaires étrangères a d’ailleurs déclaré: «La décision irresponsable de mener des frappes aériennes et de missiles sur le territoire d’un Etat souverain, quels que soient les prétextes invoqués, constitue une violation flagrante du droit international.»

La Russie s’est même proposée comme médiatrice entre les parties en conflit au Moyen-Orient, mettant en avant les bonnes relations que Vladimir Poutine entretient à la fois avec les dirigeants de Téhéran et de Tel-Aviv. Mais Téhéran n’a obtenu aucun privilège de Moscou, malgré les importantes aides militaires fournies pendant la guerre en Ukraine, notamment des drones et des missiles, qui ont permis à la Russie de réaliser quelques avancées limitées.

Si ce conflit a renforcé la position de Moscou, il a davantage affaibli celle de l’Europe, qui ne sait plus sur quel pied danser. L’administration américaine la marginalise, tout en l’obligeant à suivre les décisions imprévisibles de Donald Trump. Les frappes américaines contre les sites nucléaires iraniens dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 juin ont mis les dirigeants européens dans une position difficilement tenable. Aucun d’eux n’a condamné la décision du président américain de soutenir les frappes israéliennes, bien qu’elle contredise – et ridiculise même – les initiatives diplomatiques européennes menées à Genève pour éviter justement cette escalade. Washington n’a même pas pris la peine d’en informer ses plus proches alliés.

Après ces frappes, un vent de peur a soufflé sur l’Europe, craignant une escalade encore plus dangereuse au Moyen-Orient, pouvant entraîner une résurgence du terrorisme, et une nouvelle vague de migration et de réfugiés vers le Vieux Continent. Les principaux dirigeants européens se sont contentés d’un communiqué commun, signé par Emmanuel Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre britannique Keir Starmer, dans lequel ils exhortent fermement l’Iran à «ne prendre aucune mesure supplémentaire susceptible de déstabiliser la région». Et d’ajouter : «Nous continuerons nos efforts diplomatiques conjoints pour désamorcer les tensions et éviter une escalade ou une extension du conflit». Une réaction bien timide face à une situation qui les dépasse.

Pour rappel, l’Europe avait réussi à conclure un accord sur le programme nucléaire iranien en 2015, en collaboration avec l’administration de Barack Obama. Mais Donald Trump s’est retiré de cet accord en 2018, l’a complètement saboté, et a imposé la vision israélienne à ce sujet.

Aujourd’hui, le président américain gère seul ce dossier, en menant des négociations directes avec Téhéran à Oman et en écartant les Européens. Ces négociations ont été interrompues après l’attaque israélienne contre l’Iran. Certains estiment même que ces discussions, et les déclarations américaines à leur sujet, ont facilité la frappe israélienne.

Désormais, les Européens sont écartés de manière humiliante des négociations avec Téhéran et n’ont plus aucun rôle à jouer. Ils sont même divisés sur la question d’éventuelles sanctions contre Israël, qui viole pourtant le droit international dans les territoires palestiniens occupés, et est accusé par les ONG et les organisations internationales de crimes de guerre et de génocide contre les Palestiniens.

L’Europe se contente d’observer, ce qui la rend de moins en moins crédible, et affaiblit son discours concernant la guerre russo-ukrainienne. Son insistance sur le droit international perd tout son sens dès lors qu’elle ne condamne pas l’attaque américaine contre l’Iran, menée en dehors de tout cadre légal. Cela la fait apparaître aux yeux du monde comme adepte du «deux poids, deux mesures», la plaçant hors du jeu international : elle ne défend pas réellement la légitimité internationale, ni s’aligne clairement sur la nouvelle position américaine.

Paris : Youssef Lahlali


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