de remonter jusqu'à
son indicible source,
le mal-être qui a mené
à l'irréparable : la mort de cinq enfants.
Les psychiatres et les psychologues qui l'ont examinée pensent qu'au moment où elle donne la mort à ses enfants, ce 28 février 2007, Geneviève Lhermitte vit ce quintuple meurtre comme une sorte de suicide de l'ensemble monolithique qu'elle a toujours formé avec eux. En les tuant, eux, elle tue aussi la mère qu'elle a été. Elle supprime la fonction qui l'a accaparée au-delà de tout. Qu'elle a sacralisée. Geneviève Lhermitte a toujours voulu être une mère idéale. Elle a toujours voulu le meilleur pour ses enfants. Et, ce jour-là, dans son absolue détresse, il lui apparaît que le meilleur pour eux n'est plus la vie : c'est la mort.
Dès ses premières auditions, Geneviève Lhermitte évoque la présence intrusive du Dr Schaar dans son intimité familiale - « un viol psychique », dit-elle.
Curieusement, pourtant, elle n'a jamais mentionné le docteur durant les entretiens qu'elle avait, depuis juin 2004, avec son psychiatre - elle n'évoquera cette situation particulière qu'à compter du début de l'année 2007, soit quelques semaines avant le drame. À son psychiatre, elle s'ouvre surtout du mal qu'elle éprouve à se sentir « une bonne mère » : elle a le sentiment, dit-elle, de n'en jamais faire assez.
Après le drame, toutefois, elle donne du Dr Schaar l'image du persécuteur, du mal absolu, du « porc » - c'est ainsi qu'elle en parle - qui a mis a mal le couple idéal qu'elle formait avec son mari. Ce qu'elle reproche à l'intrus tient pourtant en peu de mots et paraît même bien véniel en regard de l'ampleur du drame qu'il aurait suscité. Geneviève Lhermitte, expliquera la psychologue Martine Bronkart, « a progressivement concentré tout le négatif sur le Dr Schaar, permettant ainsi, assez économiquement, de ne rien remettre d'autre en question dans le système ».
Le système, c'est cette relation triangulaire qu'elle entretient avec son époux et Schaar : une cohabitation étrange qui donne à Lhermitte l'impression « de vivre dans le faux ». Elle le sait, mais elle sera longue à l'admettre : tout sonne faux, dans ce système « où les valeurs et les règles semblaient s'effacer devant le paraître, le “pseudo” ou le “comme si” », écrivent les experts Gueibe, Bongaerts et Meire.
Parce qu'elle est elle-même partie prenante de ce système qui lui offre la sécurité, Geneviève affectera longtemps de ne pas voir qu'il est le lieu de tous les secrets, de tous les mensonges, de tous les non-dits. La famille Moqadem gravite autour d'un tabou : les raisons qui poussent le Dr Schaar à être son éternel protecteur. Qu'est-ce qui amène cet homme à banquer des fortunes pour tout le monde sans contrepartie apparente ? À verser à Bouchaïb, le père, un salaire pour une fonction qu'il ne remplit pas vraiment ? À remettre, année après année, des rapports médicaux qui permettent à Geneviève, la mère, de toucher une allocation d'invalidité ? De payer les courses et vacances ?
Ces questions-là, Geneviève refusera longtemps de se les poser. Comme elle s'échinera à vivre dans l'idée qu'elle a fait un mariage idéal alors que son mari la brime et qu'il est arrivé qu'il la brutalise. « Pour préserver son image idéale, analysent les experts, elle a accepté son mari comme un enfant supplémentaire, parfois difficile et violent mais auquel elle pardonnait ses frasques tout en se sentant sous son emprise.»
Si Geneviève s'enferme elle-même dans ce faux-semblant, c'est qu'il maintient la façade qui rassure sa personnalité fragile, sensible, anxieuse, abandonnique, « susceptible à l'occasion d'angoisse de régresser affectivement, de se replier sur soi et de développer différentes manifestations persécutives et dépressives ».
Cet étrange système lui permet surtout « de développer sa toute-puissance maternelle, explique Martine Bronkart. Malgré la présence de deux hommes, la place de père n'était guère investie dans cette constellation familiale : ni le père qui incarne la loi, ni le père-limite - celui qui vient rompre la fusion mère-enfant - n'était réellement présent. »
Mais ce système si longtemps rassurant devient anxiogène. Geneviève accède au sentiment que « cela ne pourra pas tenir », que ce mensonge permanent dans lequel la famille vit éclatera au grand jour. Qu'il n'échappera pas aux enfants qui ont grandi : « Yasmine, écrivent les experts, aide sa maman pour les comptes et doit commencer à comprendre. La faille de l'idéal et la honte sont probablement à l'œuvre. » Elle se découvre totalement tributaire du Dr Schaar. Selon elle « un homosexuel refoulé» qui se serait acheté une vie de famille.
Le docteur va peu à peu incarner tout ce que, désormais, elle rejette. Elle se débat dans les angoisses qui hantent ses insomnies. Elle a des idées suicidaires. Parce que, disent les experts, « la mort se fait pressante comme la seule issue à cette impasse ». Elle songe aussi à tuer le Dr Schaar. Mais qu'adviendrait-il de ses enfants quand elle serait en prison ? C'est donc elle qui doit mourir. En emportant ses enfants : pourraient-ils seulement vivre sans elle ? C'est elle qui, en définitive, leur survivra. Mais pour expier, dira-t-elle.