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Le Salon littéraire arabe de Bruxelles : Au bord de la fitna


Taha Adnan
Vendredi 10 Décembre 2010

Le Salon littéraire arabe de Bruxelles : Au bord de la fitna
Ce que nous dit la langue arabe, c'est que le diable et l'orfèvre portent le même nom : Al Fattan. Ce nom nous incite à distinguer, discerner, épurer, fortifier, en passant par l'épreuve du feu. Le diable, Al Chittan, Al Fattan, ancien dieu vaincu et banni de la vie, est au service du dieu masculin qui symbolise l'indépendance que notre espèce simiesque s'est donnée en accédant à l'abstrait et à l'écriture. Dans le monde des langues sémites, en particulier chez les Arabes, on sait qu'orfèvres et forgerons étaient souvent des femmes, surtout pour le travail de précision (bijoux, outils de la terre, poignards, pointes de flèches, pointes de lances) ou bien qu'elles travaillaient en famille. « Fatana » c'est l'action de séparer ce que l'on veut obtenir de ce qu'on destine à un autre usage; c'est aussi enlever les impuretés par l'action du feu. On comprend mieux dès lors, le sens figuré de la « fitna », plusieurs fois citée dans le Coran : épreuve, organisation du conflit, examen, prétexte des biens, des enfants, pour entrer en discorde, générer le malheur, comparaison de ceux qui sont rétifs à la parole divine aux impuretés des métaux nobles et image du feu de l'enfer pour les éliminer, expérience de la douleur pour se purifier, et bien sûr, élément qui assombrit la vie des gens. Le terme s'étend à l'orgueil de ceux qui ne se plient pas au pouvoir et en sont fiers, il entend une notion de séduction par les valeurs matérielles, il peut évoquer carrément la folie, l'assassinat, le crime, le scandale, la torture, tout ce qui découle du conflit au sens négatif du terme. Et, qui mieux que les femmes, maîtresses du feu, de la culture, de la fabrication des outils de production et de défense, pleureuses et poétesses, tunnels (pour ne pas dire « toboggans ») qui vous précipitent dans l'amertume de la vie, attraits sexuels emmurés par le sens de la propriété, l'impératif de l'héritage, femmes ensorcelantes et détestées, qui mieux qu'elles évoque la fitna ?  Qui, mieux qu'elles, peut expédier les croyants en enfer ?
Mais de quel anéantissement est-il donc question ?  Il s'agit de tenir en effroi tous ceux qui tenteraient d'échapper au pouvoir. Le pouvoir est à respecter quel qu'il soit. Il s'agit de construire un monde de remparts, de rivalités, de bénéfices. Si les femmes sont une tentation permanente, si on coupe la main du voleur, c'est parce que la société antique incarne ce que sera la société d'aujourd'hui : l'abaissement des uns au profit des autres. Et, frauduleusement, les pouvoirs se comparent au métal incorruptible.
Un pouvoir antique ou pré-médiéval doit se prémunir de toute tentative de discrédit : la notion de « péché » est adéquate pour juger et terroriser, donc le blasphème, l'incrédulité, la sédition dite « idolâtre », c'est-à-dire les autres croyances, font partie des définitions de la fitna, mais, ce pouvoir est si exclusif que même l'attachement aux enfants et les problèmes familiaux, le repli sur ses propres richesses sont fitna. Bien sûr, les oppositions internes telles l'assassinat du khalife Othman en 656, la bataille du chameau (menée par une femme ! en plus) sont définies comme fitna.
Notre Salon littéraire, très féminin, comme à l'accoutumée, très traditionnel en cela, va se positionner clairement : si la fitna est aussi un « jeu brûlant », alors écrire est un jeu brûlant. Mais les pouvoirs, quels qu'ils soient, veillent. On n'a même plus besoin de censure : les commerçants, les éditeurs connaissent bien leur travail : d'où le problème des romancières arabes qui sera posé. Ecrire en arabe, c'est être gommé par les interdits, écrire dans une autre langue, c'est décevoir et les siens et les lecteurs de cette autre langue parce qu'on l'utilise d'une autre façon, d'une façon pas admise.
Cette année, nous reprenons le « travail du feu », métallurgistes dans les fonderies de la résistance, orfèvres pour purifier notre temps, nous continuons de lire, d'écrire, de dire !


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