Nous avons recueilli un grand nombre de données de sources ouvertes et publiques, incluant les médias, les documents relatifs au procès, des articles de recherche et les différents rapports publics et établi à travers des listes de détenus présentés à la Justice, notamment à Casablanca et Rabat, un échantillon de 176 personnes, dont 3 femmes résidant à Oujda arrêtées dans un procès incriminant des journalistes.
A travers l'examen de ces données, il appert que l'on est devant un groupe quasi exclusivement de sexe masculin, où la femme n'a aucun rôle à jouer, composé de personnes qui s'identifient aux compagnons du prophète et qui se retrouvent sur le plan imaginaire et des représentations idéologiques dans le monde de ce dernier.
37% des membres de notre échantillon, soit 65 personnes, disposent d'au moins un nom de guerre renvoyant exclusivement aux compagnons du prophète.
D'une part, ces pseudonymes sont le signe d'une identification qui rompt en termes de valeurs et de représentations avec la société et annonce les traits du monde à la réalisation duquel ces personnes aspirent. D'autre part, ils renvoient à l'état d'instabilité dans lequel vivent leurs porteurs, étant donné la mission et les contraintes auxquelles ils se heurtent. Les faux noms constituent pour une partie d'entre eux, un moyen de camoufler leurs véritables identités et d'éviter le regard accusateur de leurs ennemis, en particulier les agents de la police et les autres membres des forces de l'ordre. 5% des détenus de notre échantillon ont plus d'un alias.Youssef Fikri en a trois. D'ailleurs, dans les camps afghans, il est absolument interdit aux cadres d'Al-Qaïda, les combattants comme les guérilleros ou les terroristes, d'utiliser leur véritable identité. Tout nouveau membre doit recevoir (ou choisir) un pseudonyme; au sein d'Al-Qaïda, personne ne connaît le véritable nom de l'arrivant. Le seul détail personnel connu est le pays d'origine. Néanmoins, pour la majorité d'eux, il s'agit plutôt d'atouts symboliques et de signes qui leur confèrent de la fierté et confortent leur narcissisme.
Contrairement à des idées répandues, 68% de ces personnes ont 25 ans et plus. La thèse de la jeunesse et de l'immaturité des activistes religieux ne concorde pas avec leurs profils. Ils sont majeurs, savent ce qu'ils font et ne donnent nullement l'image d'individus induits en erreur, victimes d'endoctrinement excessif ou de lavage de cerveau. 5% seulement d'entre eux ont moins de 20 ans. En outre, le nombre des personnes mariées constitue presque le double de celui des célibataires: 39% de mariées contre 20% de célibataires (40% des membres de notre échantillon, soit 71 personnes, n'ont pas fourni de réponses à ce sujet).
Concernant les origines géographiques, et au vu des réponses exprimées, environ 46% des individus présentés à la Justice sont originaires de Casablanca, contre 13% de Rabat-Salé, 8% d'Oujda et également de Fès et moins de 7% de la région de Tanger-Nord.
En fait, il s'agit en majorité de personnes résidant dans des milieux urbains connaissant des densités démographiques très importantes et qualifiés souvent de zones à haut risque.
Sur le plan professionnel, 43% des éléments de notre échantillon appartiennent aux domaines du commerce et de l'artisanat, contre 10,5% d'ouvriers. Ces derniers ne constituent pas une force de frappe pour cette mouvance, ce qui s'explique par la fermeture des perspectives d'emploi et les limites du marché du travail.
Sur le plan subjectif, la symbolique de cet état de fait est réconfortante pour les adeptes de cette mouvance qui vivent plus de la rente que de la production: le prophète était commerçant et fils d'une notabilité exerçant le commerce. Sa première femme, Khadija, appartenait également au monde du commerce.
Ils imitent donc l'exemple du prophète et de ses compagnons (sahaba). Ceci d'autant plus que ce métier garanti une sorte d'autonomie et d'autosuffisance matérielle, de même qu'il permet de bénéficier de la mobilité nécessaire à l'action.
Sur le plan imaginaire, ils reproduisent le modèle guerrier des ancêtres et citent les mêmes versets du Coran malgré le fait que sur le plan scolaire, plus de 55% de ces individus n'ont pu aller au-delà de l'école primaire, (29% ont le niveau secondaire, 6% sont bacheliers et 6% universitaires).
Le seul groupe ayant eu en son sein une partie non négligeable de paysans et d'agriculteurs est celui de Meknès.
Car, en dépit de l'identité de son chef, Tawfik Hanouichi, et des circonstances de l'arrestation de ses membres, ce groupe diffère de ceux qui l'ont précédé. Hanouichi était recherché depuis le 16 mai 2003. La police le soupçonnait dans l'assassinat d'Albert Rebibo (commerçant juif abattu à Casablanca, le 11 septembre 2003) et dans d'autres crimes dont celui de Layachi Sdiqui, ex-chef de la Division des Affaires générales de Meknès Al Ismailiya. Le jour de son arrestation, il portait encore les souliers de ce dernier.
Les opérations de la nuit du dimanche 25 à lundi 26 janvier 2004 menées par la Gendarmerie Royale à Douar Aïn Lahjar (Province de Moulay Yacoub) et Douar Aïn Chebik (Borj Moulay Omar) à Meknès, ont permis l'arrestation d'une trentaine de personnes et de saisir :
- 90 détonateurs électriques,
- 3,8 kilogrammes de plastic pour la fabrication d'explosifs,
- un ordinateur pour la falsification de documents et de billets de banque,
- un fusil traditionnel,
- un important lot d'armes blanches,
- des menottes,
- des cagoules,
- des livres et des cassettes de propagande intégriste,
- et une somme d'argent non précisée. (Najib, La Gazette du Maroc, 02/02/ 2004)
La particularité de ce groupe, composé de 30 personnes, consiste en le fait qu'il est constitué majoritairement d'ouvriers (33%), d'agriculteurs (30%), d'artisans (20%), mais d'aucun commerçant, ce qui est logique puisqu'il s'agit de paysans résidant dans une région agricole et travaillant dans des unités agroalimentaires.
A ces faits, s'ajoute l'arrestation de deux avocats: Ahmed Filali Azmir et Abdellah Ammari. Ahmed Filali Azmir est né en 1943 à Tanger, marié et père de trois enfants. Avocat à Casablanca où il réside et défenseur de Mohamed Damir, il a été poursuivi pour émission de chèque sans provision. Abdellah Ammari, quant à lui, est né en 1960 à Casablanca où il réside, marié et père de trois enfants. Avocat à Casablanca, il a été poursuivi pour assistance à personne recherchée, en l'occurrence Khalid Semmak.