Le 1er Mai, dernier refuge des oubliés

Sur la place Bandoeng, ils ont marché pour ne pas plier


Mehdi Ouassat
Vendredi 2 Mai 2025

Ph. Laaraki
Ph. Laaraki
Jeudi 1er Mai, sur la place Bandoeng à Casablanca, ce n’est pas une simple commémoration syndicale qui a eu lieu pour célébrer la fête du travail. C’est une clameur – dense, grave, enracinée – qui a envahi l’espace public. Une voix collective portée par des milliers de femmes et d’hommes, militants de la Fédération démocratique du travail (FDT), venus crier ce que trop de gouvernements préfèrent ignorer : que le travail n’est plus synonyme de dignité, que la justice sociale n’est plus qu’un mot vidé de son sens, et que le pacte social est aujourd’hui rompu.

A la tête du cortège, deux figures emblématiques de l’Union socialiste des forces populaires. D’un côté, Driss Lachguar, Premier secrétaire du parti. De l’autre, Youssef Aidi, secrétaire général de la FDT. Ensemble, ils ont porté un mot d’ordre clair, frontal, sans détour : «Aucun renoncement, aucune compromission sur les droits justes et légitimes». Une sentence gravée en toutes lettres sur les pancartes, murmurée dans les discours, criée à pleins poumons par ceux qui n’ont plus que la rue pour tribunal.

On aurait voulu que ce jour soit une célébration. Une pause dans la tourmente. Mais à Casablanca comme ailleurs, la fête du travail est devenue une cérémonie du désenchantement. Un 1er Mai où l’on marche moins pour célébrer que pour survivre.
Et pourtant, malgré la colère, malgré l’épuisement, il reste une énergie. Celle de l’organisation. Celle de la mémoire. Celle de l’engagement. Ce feu syndical, que tant de politiques aimeraient voir s’éteindre, continue de crépiter, opiniâtre et digne.
La fête du travail, cette année, n’a pas eu le goût du pain partagé, mais celui de la lutte qui s’annonce. Et peut-être est-ce là, paradoxalement, le plus fidèle des hommages aux travailleurs: ne pas céder. Jamais.
 
Une colère à la mesure des renoncements

Car ce 1er Mai n’est plus un jour de fête. C’est devenu, année après année, un miroir tendu à l’arrogance du gouvernement. Une journée de réminiscence, certes, mais surtout une journée de vérité. Et la vérité, cette année, est brutale. Les militants n’ont pas défilé pour un folklore militant. Ils sont venus dénoncer. Accuser. Exiger. Leur message est limpide : il n’y aura plus de paix sociale sans justice économique. La FDT, dans son communiqué, dresse un constat sans fard : les attaques contre les secteurs publics, la précarisation du travail, le mépris affiché envers le dialogue social et les projets imposés sans consultation sapent les fondements de la République sociale.
 
Santé, éducation, protection sociale : les lignes rouges
 
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le cadre corporatiste. C’est le modèle de société qui est en jeu. La privatisation rampante de l’éducation et de la santé – dénoncée avec vigueur par la FDT – n’est pas une simple question de gestion budgétaire. C’est une trahison de l’idéal d’égalité. La Fédération insiste : l’Etat doit garantir un accès gratuit, équitable et de qualité à ces services essentiels. Pas question de transformer les hôpitaux en entreprises ni de soumettre l’école publique aux logiques du marché.

Même ton ferme concernant le projet de fusion des mutuelles CNOPS dans la CNSS, imposé sans consultation ni transparence. Là encore, le rejet est net : les droits des adhérents ne sont pas négociables, et le choix de leur organisme de couverture doit être respecté.
 
Des chantiers sans règles, des ouvriers sans protection
 
Sur les grands chantiers de construction, dans les exploitations agricoles ou les usines industrielles, le sang ouvrier continue de couler trop souvent dans l’indifférence générale. La FDT exige une réforme en profondeur : plans de prévention obligatoires, sanctions systématiques en cas de négligence, et surtout, inclusion des représentants des salariés dans l’élaboration des politiques de sécurité. Ce n’est pas une faveur, c’est une urgence.
 
La classe moyenne : colonne vertébrale brisée
 
Mais ce qui rend la colère plus large, plus lourde, c’est l’effondrement silencieux de la classe moyenne. Cette classe qui, hier encore, incarnait la stabilité, l’ascension, la consommation, n’est plus aujourd’hui qu’un mirage. Etranglée par la cherté de la vie, laminée par la hausse des prix, elle vacille sous le poids d’un pouvoir d’achat en chute libre.

Le gouvernement Akhannouch, dans sa gestion, semble avoir abandonné cette frange décisive de la population. L’austérité pour les plus vulnérables, les privilèges pour les plus riches. Voilà, en substance, le reproche majeur porté par les syndicats, et repris en écho par les manifestants.
 
Un gouvernement sourd, une protestation qui s’organise
 
Ce 1er Mai, sur la place Bandoeng, une vérité s’est dessinée : les syndicats ne comptent plus attendre. Face au mépris institutionnel, à l’absence de dialogue sérieux, à l’écrasement des droits sociaux, la FDT se dit prête à l’escalade, à la construction d’un front syndical unifié, plus combatif, plus indépendant. Car il n’est plus temps d’alerter. Il faut agir. Résister. Construire une force capable de faire face à l’appauvrissement programmé et de redonner sens à la lutte ouvrière.

Mehdi Ouassat


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