“La psychanalyse au Maroc. Questions pour demain” de Rouchdi Chamcham

Zinoun ou l’insoutenable légèreté de la danse


L
Mardi 9 Juin 2009

“La psychanalyse au Maroc. Questions pour demain” de Rouchdi Chamcham
Dans le travail de Zinoun, c’est l’aspect à la fois passionné, poétique et rigoureux de la danse, mais aussi, du corps, de la mémoire, du langage, de la mort, de l’amour et de l’amitié qui se donne à percevoir.
Ses danses sont comparables au tigre de Borges. Dans son poème, Borges exprime sa fascination pour les tigres, mais au-delà des tigres littéraires, faits de symboles et d’ombres, il dit sa quête inlassable de l’autre tigre. Si j’ose le parallèle entre la danse de Zinoun et le poème de Borges, c’est que l’un comme l’autre mettent en nous face-à-face, l’homme de parole que nous essayons d’être et le corps de fauve que nous ne cessons d’être.
Qui n’a pas vu Zinoun, animé par la passion de la danse déplaçant son corps avec la fougue du fauve ayant saisi sa proie, aura perdu un fabuleux spectacle. Parfois, malheureusement, les spectateurs fascinés qui ne regardent pas avec les yeux du cœur en oublient de saisir le sens de son langage corporel son corps dansant sa parole.
Formé en Occident, il n’a jamais renié l’Orient. En cela, c’est un original parce qu’il a une origine qu’il peut quitter et retrouver dans un jeu d’aller-retour, lui permettant de créer un espace intermédiaire, un entre-deux cultures. Car, le drame de la double culture, c’est l’absence d’intermédiaire.
L’aspect séducteur des ballets de Zinoun ne doit pas nous faire voir en lui un remake des ballets modernes. Parmi ces différences, il y a le fait que Zinoun n’a jamais renié sa dette vis-à-vis des arts populaires traditionnels marocains et arabo-musulmans. Même s’il ne ménage pas ses critiques envers les tenants de l’idéologie traditionaliste, il ne tombe pas à genoux devant la modernité.
L’originalité du travail de Zinoun réside dans son rapport au corps, à la mémoire et à la place qu’il leur accorde dans ses ballets. Il a mis le corps au centre de son travail. Un corps vivant à la fois soumis-rebelle et rebelle-soumis. Il y a là une double signifiance du corps entre le signe et le sens.
Lorsque Zinoun, au cours d’un ballet, fait traverser à un danseur la scène dans un sens, puis dans l’autre, en levant les bras, cela peut paraître maigre si l’on reste au niveau du signe, mais « ça devient chair » si l’on passe du côté du sens. On découvre, derrière le simple mouvement, une construction chorégraphique très élaborée, tendue vers la perfection. Il poussera le danseur dont le rôle sera de traverser la scène en levant le bras, à trouver là, pour un instant, un destin qui l’humanisera.
L’essentiel du travail de Zinoun vise à conserver, si j’ose m’exprimer ainsi, le sens du malaise. Il vise aussi à démentir la prétention, plus ou moins sue ou insue, des technocrates de réduire le corps à une chose.
Tous les agencements complexes des ballets de Zinoun aboutissent au fait que celui qui se trouve instrumentalisé est en même temps sollicité de s’emparer du monde afin de s’éviter la robotisation.
Le danseur sujet du corps et graphe et la mémoire
Cela pourrait sembler une impossible cohabitation et pourtant, c’est de cela qu’il s’agit. Comme tous les arts, la danse est une expression de la mémoire. C’est aussi un art d’exception, le plus rebelle, plus rebelle encore que la musique, pourtant sa sœur jumelle.
Cette question ne peut être saisie qu’en rapport avec ce que je disais plus haut sur le danseur sujet. Le danseur comme sujet, c’est aujourd’hui une grande question. Le sujet moderne est déraciné, il n’a plus de mémoire, plus de futur (no future) et plus de lien. Le discours de la modernité est en train d’installer le sujet humain dans une sorte de terrorisme du non-lieu.
La modernité de l’approche de Zinoun est son leitmotiv » : « Pour être moderne, il faut se souvenir. En avant dans la tradition ». C’est une forme inouïe. Il entend par là les formes non encore venues à la vie, celles de demain, il nous aide à clore cette ère des discours en trompe-l’œil à caractère démagogique et qui a tendance à noyer la question de la mémoire dans la prétention libertaire. La danse de Zinoun, par le choix de ses thèmes, montre bien que ce qui est en cause, c’est la structuration du sujet, ses identifications et sa capacité d’édifier une identité construite autour de la mémoire et de la souvenance et non autour de l’oubli de soi.
En psychanalyse, nous appelons cela la capacité de surmonter son narcissisme et d’avoir un nom. Ne confondons pas la question du nom avec les enjeux médiatiques ou commerciaux, mais prenons-la du côté de la personnalisation, et posons-lui la question : « Qu’est-ce qui fait que certaines figures artistiques vont prendre dans notre imaginaire une figure divine ? ». C’est leur capacité de se soumettre à l’exigence et de savoir que la symbolisation opère avec les moyens du bord, c’est-à-dire du milieu.
Le talent de Zinoun réside dans tous les procédés qui l’ont fabriqué comme étoile mais aussi comme être. Il est né danseur. Peut-être même qu’il dansait dans le ventre de sa mère. Son cas est typique, il dansait déjà avant d’être danseur. Mais on ne doit pas oublier qu’on aura beau être né danseur, si la passion est absente – j’entends par là le dévouement au travail de son art- il n’y a pas de danseur. Et c’est à ce prix qu’un danseur peut devenir une figure emblématique et atteindre le statut d’icône sociale, jouant son rôle symbolique éminent dans la représentation d’une société.
Une des illusions actuelles consiste à se figurer que les arts se tiennent à l’écart de l’institution du lien humain et du référent dans une société. Or, le référent, c’est finalement la mise en scène de la figure du père dans la culture.


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