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La mazurka enflamme à nouveau la Pologne


Samedi 29 Juin 2019

A voir ces couples qui tourbillonnent sans répit, on se croirait dans un bal populaire au milieu du siècle passé. Et c’est en montant le son, l’accordéon et le violon, qu’on fait un vrai bond dans le passé, sur les vieilles planches d’une maison paysanne en Mazovie, la région polonaise autour de Varsovie.
A la fin de la deuxième décennie du 21e siècle, la mazurka que l’on croyait disparue est de retour. Ranimée par des passionnés, elle chauffe le sang à nouveau et la flamme ancienne n’arrête plus d’investir aujourd’hui de nouveaux foyers, et pas seulement en Pologne.
“C’était parti dans les oubliettes mais quand je vois tous ces jeunes qui viennent apprendre chez moi, j’en oublie d’être vieux”, déclare à l’AFP Jan Kmita, 83 ans, un des derniers anciens maîtres de la mazurka.
Il passe des heures aujourd’hui à enseigner ces rythmes farouches des ancêtres.
Car la mazurka polonaise, qui peut porter aussi d’autres noms, comme mazur ou oberek, “n’a pas vraiment grand-chose à voir” avec celles que l’on connaît en France ou ailleurs, souligne Nicolas Roche, violoniste français venu des Cévennes, à l’issue d’un atelier animé par le vieux musicien dans le cadre du Festival Toutes les mazurkas du monde, à Varsovie.
On croit bien les connaître, celles de Frédéric Chopin résonnent partout, on danse la mazurka, du Languedoc à la Bretagne et aux Amériques... Mais ici, en Pologne, “c’est un son très particulier, des subtilités rythmiques, la façon d’appréhender le rythme qui est complètement autre, avec des ralentissements, des accélérations, tout un swing, un feeling qui est très différent”, reconnaît le musicien.
Idem pour les pas de cette danse “minimaliste, horizontale qui ne connaît pas de sursauts”, explique le chorégraphe Piotr Zgorzelski.
Les couples se poursuivent, virevoltent, “tels des derviches tourneurs, mais à deux. Car ce qui importe, c’est le contact très serré avec l’autre”, précise-t-il.
“Le bon danseur pouvait poser un verre plein sur la tête et tourner sans en perdre une goutte”, souligne M. Zgorzelski.
Vite alors “on est pris de transe, on peut s’oublier, pas besoin d’alcool pour sentir l’effet pareil”, dit à l’AFP Agata Kotlicka, orthophoniste de 27 ans.
Autodidacte, Jan Kmita a eu son premier violon à six ans. A douze ans, il a joué pour la première fois lors d’une noce. Oublié pendant longtemps, il a été retrouvé par un groupe de passionnés qui sillonnent le pays depuis bientôt trente ans à la quête des musiques traditionnelles.
A l’époque, tous citadins, “nous pensions qu’on ne pouvait plus jouer que du blues, du rock ou des musiques indiennes”, se souvient Janusz Prusinowski, chanteur et multi-instrumentiste de 50 ans, une des âmes du renouveau de la mazurka.
“Et voilà que nous sommes tombés sur ces musiciens anciens. C’était comme la découverte d’une Atlantide, d’une Pologne vouée à disparaître”, s’enthousiasme-t-il toujours.
Il s’est avéré que “la Pologne n’était pas une terre d’analphabètes musicaux mais celle d’un peuple parlant un langage musical original dans lequel Chopin a pu puiser pour créer sa langue à lui”, lance Prusinowski, un des fondateurs de Toutes les mazurkas du monde.
Selon certains, les premières traces de mazurka sont détectables dans des transcriptions de musiques religieuses du 15e siècle mais le nom apparaît pour la première fois en 1708, indique à l’AFP Tomasz Nowak, musicologue à l’Université de Varsovie.
Après, les soldats polonais de Napoléon emportent leur musique avec eux partout où les mènent leurs combats, jusque dans les Caraïbes. Tout comme, peu après, les nombreux insurgés polonais qui se réfugient en France pour fuir l’armée du tsar russe.
La mazurka devient à la mode. Librement stylisée, simplifiée, mise au goût du jour, du salon et du pays d’accueil.
En Pologne, elle laisse petit à petit la place aux airs d’importation. A la campagne, on la danse encore jusque dans les années 1950, pendant les noces, mais là aussi le déclin vient vite, avec l’arrivée de la radio et des musiques nouvelles.
L’époque communiste a tout fait pour transformer les danses populaires en “danses nationales” devenues spectacles de scène. On en retrouve l’écho dans le film Cold War de Pawel Pawlikowski, prix de la mise en scène à Cannes, nominé aux Oscars en 2018.
Les derniers vestiges de la mazurka ont survécu jusque dans les années 1980 dans quelques contrées perdues au fin fond de la Mazovie, en dépit de l’indifférence, voire du mépris général.
“On a commencé à en avoir même un peu honte”, reconnaît Jan Kmita.
Au gré des bals et des rencontres avec de nouveaux adeptes, il a oublié ces mornes pensées. “Cela ne fait que commencer. Les mazurkas vont survivre. Elles étaient presque mortes et voilà qu’elles reviennent”. En ville, paradoxalement. “Cela doit plaire, je pense...”.


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