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Dans ce premier roman intitulé
“Si Dieu nous prête vie” (St Honoré Editions,),
Intissar Haddiya, une jeune médecin agrégée
de néphrologie, nous parle du quotidien d’un groupe
de personnes venant plusieurs fois par semaine
dans un centre de dialyse. La maladie chronique
vécue au quotidien par des gens dont l’auteure restitue l’humanité. Une entrée réussie en littérature.
Le roman commence dans un Centre médical vide. Une femme de ménage nettoie un couloir et une salle d’attente déserts. Puis, peu à peu, la vie s’installe dans cet endroit. Le personnel médical arrive sur son lieu de travail. Et puis c’est au tour des patients. Le roman se déroule essentiellement dans un centre de dialyse, racontant la vie d’un groupe de personnes réunies par l’adversité mais n’apparaissant jamais de manière misérabiliste. L’atmosphère de la salle de soins ne cherche ni à être enjolivée ni extrapolée. Au moment où chacun des patients s’apprête à recevoir son traitement, Intissar Haddiya décrit ces tranches de vie, parfois dans ce qu’elles ont de plus amer : « La douleur du branchement est fugace et nomade d’un patient à l’autre. En effet, chaque patient a une réaction propre, chacun réagit différemment à la grosse aiguille qui s’enfonce dans la chair tendue du cordon. La plupart d’entre eux ferment les yeux, plissent les paupières ou se mordent la lèvre inférieure. Nadia, elle, crie. Un son strident et brutal s’échappe du fond de son être. Toujours le même, toujours au même moment ».
L’œil de l’écrivaine nous montre des personnes fragiles et fortes à la fois, composant avec la pénibilité de leur maladie et de leur souffrance mais en gardant la tête haute et surtout s’accrochant aux espoirs qui leur restent. Tous rêvent de trouver un donneur pour une greffe, leur permettant d’en avoir fini avec les séances de dialyse. Mais pour certains d’entre eux, d’autres lueurs brillent également dans leurs yeux. Nadia s’imagine tomber enceinte, Zoubida remarque le fils d’un des patients du centre qui lui fait les yeux doux. Maryam, une jeune adolescente malade des reins depuis l’enfance et dont le corps a gardé sa physionomie d’enfant, vit une histoire d’amour avec les livres. Durant les séances collectives de dialyse, où tous les membres de cette «communauté» sont branchés sur une machine au ronronnement monotone, interrompu de temps en temps par une sirène alertant d’éventuels dysfonctionnements, chacun s’occupe comme il peut pour tuer le temps. Nadia et Zoubida font la conversation, Mamoun en profite pour dormir, d’autres regardent la télévision. Maryam cherche une échappatoire dans les livres. Lors d’une séance de dialyse, elle focalise son attention sur les photos d’un album et part vers le monde des rêves, s’affranchissant des affres de la réalité : «En l’espace de quelques instants, elle s’est sentie transportée, coupée de tout ce qui l’entourait dans la grande salle. Les voix des autres patients n’existait plus. Le son des machines semblaient tellement lointain, tellement irréel et presque inexistant».
Toutefois, les envolées sont souvent éphémères ; la vulnérabilité des corps se fait régulièrement sentir. Rachida a les veines obstruées et ne peut recevoir de traitement ; sa situation est préoccupante. La mort peut survenir, comme ce triste matin où le groupe apprend avec stupeur, durant une séance, le décès de l’un d’entre eux. Est-ce que cela signifie malgré tout que la maladie aura le dernier mot ? La tonalité du roman est tout autre, même l’on ne guérit jamais de ces maladies chroniques. Intissar Haddiya montre que si l’on ne peut rien face à la fatalité de l’existence, qui n’épargne personne, il nous reste quand même la possibilité de composer avec la maladie, de se réinventer, se reconstruire et essayer d’être heureux malgré les moments difficiles. Maryam se plonge dans le roman «Oliver Twist» de Charles Dickens et découvre la souffrance des gens valides, une souffrance d’une autre ampleur que la sienne et causée par les arbitraires des violences capitalistes, qui frappe aussi aveuglément les vies et les brisent.
Les personnages d’Intissar Haddiya ne cherchent pas la pitié des autres. Toute compassion larmoyante à leur égard est vécue comme une forme de violence symbolique, une agression mentale. Ils vivent leur vie comme les autres, en composant comme ils le peuvent avec les montagnes russes de l’existence. La force du roman est d’avoir rendu compte des émotions ressenties par les personnages, en considérant que la vie de ce groupe de personnes dialysées avait de la valeur et valait la peine d’être racontée. Merci.