«La Mère promise» de Habid Mazini : Terre, mère et sein : retrouvailles jubilatoires

Mercredi 26 Octobre 2011

L’auteur du « Jardinier du désert » et du « Complexe du hérisson » nous revient avec un nouveau roman : La Mère promise, paru aux éditions Marsam. Le livre tranche avec les précédents tant par la forme que par le contenu. L’auteur a opté pour la halka, comme forme, ce qui  permet  de bienveillantes audaces. Il ne s’agit pas de n’importe quelles halkas, celle de Mazini se veut savante  et studieuse. On n’y perd pas son temps, l’individu est acteur et  apporte sa part à la structure romanesque. On participe au déroulement de l’histoire, du début jusqu’à la fin, n’hésitant pas à contredire le conteur pour imposer sa version des faits.  Interpellé, défié, le public échafaude la trame, introduit ou évince des personnages. Roman interactif où les voix  se multiplient et s’apostrophent dans un souci d’éthique et d’esthétique. Par moments, la scène s’apparente à un divan où l’on confie ou dénonce tabou et interdit. Pour ce qui est du fond, l’auteur nous invite à une quête, aux relents psychanalytiques, dans une ville inféodée aux caprices d’une population écartelée entre les ambitions de sa modernité et ses traditions, les premières générant incertitude et contrariété pendant que les secondes rassurent et confortent.
Le roman conte le retour au Maroc du jeune Driss, orphelin et quasi autiste. Il est grutier à Marseille, c’est dire si son métier le condamne à une solitude qu’il affectionne particulièrement tant elle le prémunit de l’Autre et de son enfer. Son retour au pays pour raison professionnelle exhume de profonds sentiments jusque-là jamais éprouvés. Dans un même élan, il découvre le Maroc et Malika par le hasard d’un bref contact dans un bus bondé. Précisément le sein gauche et sa divine sève blanche qu’il effleure de ses lèvres. Envoûté, le jeune Driss s’en va à sa recherche et hante les maternités, les hôpitaux et autres refuges pour jeunes mères en détresse. Ses intrusions lui valent le courroux populaire et, une fois le crime commis,  l’étiquette d’ennemi public.
Le sein gauche si présent dans la peinture fascine l’auteur. Pas le sein érotisé et servi en pâture à d’éventuelles perversités. L’auteur convoque Klimt et Schiele en appui de sa quête, deux artistes aux nus torturés et suppliciés. Il leur emprunte leurs modèles, des femmes au look morbide, certainement pas annonciatrices du plaisir. A la littérature américaine si présente dans ses précédents romans, il fait un clin d’œil au travers du grand Philippe Roth dont il évoque les sombres réflexions sur les métamorphoses du corps féminin (le sein et la bête se meurt). Chez Driss, le sein est révélateur d’un profond désir qui émerge progressivement jusqu’à prendre forme : la quête de la mère. En vérité, le roman se veut un éloge de la relation humaine qui se manifeste par la découverte des gens dans un Casablanca dense et peuplé. Ce sont des retrouvailles avec le sol marocain et ses habitants, quant au sein dont la sève enclenche le processus, il est prétexte à la quête et à l’hommage de la féminité. Le roman interpelle. Par-delà ses références littéraires et picturales, il promène l’auteur dans les chemins sinueux d’un jeune innocent épris de contact. Il chante le corps féminin, c’est même son fil d’Ariane pour explorer la nature humaine complexe et précaire.     
Par son sujet, que d’aucuns qualifient déjà de freudien, le roman est singulier. C’est aussi l’occasion d’explorer la thématique : femme-mère, ô combien conflictuelle pour nous autres Méditerranéens.

Said Lemtouni Professeur

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