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La Fondation Ytto à la rescousse des oubliés de la Moudawana : Des milliers de mariages en attente de régularisation à Azilal


Sofia Aliamet
Mercredi 7 Octobre 2009

La Fondation Ytto à la rescousse des oubliés de la Moudawana : Des milliers de mariages en attente de régularisation à Azilal
Cinq ans après la réforme de la Moudawana, des milliers de mariages sont en attente de régularisation dans la seule province d'Azilal.
L'article 16 du Code de la famille est pourtant explicite : « L'action en reconnaissance de mariage est recevable pendant une période transitoire ne dépassant pas cinq ans, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ». Février 2009 : fin de l'échéance. A l'heure du bilan, le constat reste très nuancé et de nombreux mariages sont encore à régulariser dans le Royaume.
C'est pour pallier cette situation que la Fondation Ytto pour la promotion du droit de la femme et de l'enfant a organisé les 1, 2 et 3 octobre courant une campagne de régularisation dans trois communes de la province d'Azilal, à savoir Tamda-Noumerside, Igmir Ait Abbas et Aït Mhamed où la situation est alarmante. Comme le souligne la présidente de la Fondation Najat Ikhich, « c'est un autre Maroc avec d'autres applications de la loi » auquel il faut faire face.
L'histoire du Royaume explique en partie la situation. De nombreuses provinces à l'instar de celle d'Azilal, ont payé cher leur opposition irréductible au Protectorat et leur lutte incessante pour un Maroc meilleur depuis l'aube de l'Indépendance. Victimes des années de plomb, ces provinces ont été délibérément enclavées et demeurent aujourd'hui coupées du monde, sans eau potable ni électricité.
Arrivés sur les lieux, les bénévoles de la Fondation Ytto sont chaleureusement accueillis. Les gens affluent sous la tente dressée pour la régularisation mais les difficultés s'accumulent rapidement. D'abord, parce que les hommes viennent seuls alors que la présence de la femme est obligatoire pour régulariser la situation du couple. De plus, des documents administratifs leur manquent. Dans des régions qui ne disposent de rien ou de si peu, la conformité au droit positif semble être une préoccupation bien dérisoire. Pourtant la procédure a été assouplie pour la campagne, et l'on exige du couple seulement la carte d’identité nationale de l'homme et une attestation des témoins prouvant la véracité du mariage. Mais la loi est ainsi faite que l'établissement de celle-ci est fort complexe.
Par ailleurs, à Tamda-Noumerside, les autorités n'ont pas effectué le travail préalable de sensibilisation. « C'est du sabotage », explique Mustapha El Karmouni le trésorier de la Fondation. Le gouverneur avait, en effet, promis une annonce à la criée dans le souk. Celle-ci sera bel et bien effectuée mais par les participants à la campagne eux-mêmes. Les questions affluent alors : un homme s'avance et explique que sa sœur a été répudiée par son mari, un homme d'un village voisin, cette dernière se retrouvant donc seule avec ses deux enfants. « Comment faire pour prouver qu'ils étaient mariés ? », s'interroge-t-il. Dans ce cas de figure, des témoins seront indispensables pour prouver que ladite femme a véritablement été mariée à l'homme en question.
La population est intéressée et s'interroge beaucoup sur les modalités de la régularisation.
Hélas, en raison du manque de coopération des autorités locales, peu nombreux seront les couples à se présenter dans les locaux prévus pour la campagne. Il manque beaucoup de documents administratifs aux couples qui n'ont pas été prévenus suffisamment à l'avance pour effectuer les démarches nécessaires. Le bilan est mitigé, mais pour Naima Ame, avocate présente lors de la campagne, et membre de l'Association Solidarité féminine, « il y a des points positifs » car les « gens vont dire que nous les avons aidés », entraînant ainsi un bouche à oreille qui devrait permettre à la deuxième campagne de connaitre un meilleur succès.
Contrairement à ce qui s'est passé à Tamda, la campagne d'Igmir Ait Abbas a enregistré des records d'affluence. Après une plainte généralisée de la Fondation et notamment de Najat Ikhich qui exhorte les hommes à « ramener leurs femmes », les couples sont au rendez-vous sous la tente caïdale dressée à l'occasion. Beaucoup souhaitent régulariser leur mariage afin d'inscrire leurs enfants à l'état civil et de posséder enfin un livret de famille.
Certains cas de figure sont plus dramatiques à l'instar de ce jeune homme de 16 ans marié contre son gré à une jeune fille de son âge. La Moudawana interdit le mariage des mineurs, mais comme le souligne le président du tribunal de la province d'Azilal, une fois que le fait est accompli, il faut essayer, autant que faire se peut, de régulariser les situations, pour donner au moins un statut juridique à l'union. Selon lui, une des solutions serait tout simplement d'interdire les mariages coutumiers, ce qui résoudrait durablement le problème du mariage des mineurs.  Les femmes, effacées en premier lieu, s'enhardissent progressivement. La campagne de régularisation est pour elles l'occasion de se plaindre de leur situation. La jeune Aïcha Aït Alla (tout juste 26 ans), première élue femme de la commune  se veut leur porte-parole. Elle se lance alors dans une énumération de toutes les difficultés rencontrées par les femmes du village, notamment le manque d'accès aux soins, principalement pour les mères.  Ainsi, lorsque des difficultés surviennent lors d'un accouchement par exemple, les hommes sont contraints de conduire leurs femmes à Azilal, soit à une soixantaine de kilomètres à travers les montagnes. Bien évidemment ce trajet ne se fait que rarement en voiture.  Le bilan de la journée est clairement positif: 32 dossiers ont été traités par l'avocate et l'assistante sociale de la campagne.  En outre, la jeune équipe très motivée de la Fondation Ytto a fait remplir bon nombre de fiches signalétiques aux couples présents, renseignant ainsi sur l'identité, l'âge des enfants, les témoins, et l'effectivité ou nom de la régularisation. Cependant, de nombreux blocages subsistent encore notamment dans l'octroi des documents administratifs.  Le problème est surtout financier, la somme de 170 dirhams nécessaire à l'élaboration de l'acte de mariage constitue un réel investissement pour des familles à la bourse plus que modeste. Des certificats d'indigence peuvent être établis pour prendre en charge les frais de la régularisation, mais à Igmir le caïd n'autorise pas la délivrance d'un tel document dans ce cas de figure.
Pour la Fondation Ytto, il est nécessaire que les couples bénéficient d'une « amnistie » et qu'ils soient exonérés de ces paiements. De plus les fiches signalétiques remplies par les couples permettent d'effectuer un « recensement » et de faire le point sur la situation réelle. Ceci permettra de créer un lobbying justifiant la nécessité d'accorder un délai supplémentaire pour la reconnaissance des mariages prévue à l'article 16 de la Moudawana.
En effet, le danger actuel est de légiférer de nouveau. De nombreux juges, adouls et ministères veulent revoir les mesures concernant la famille sous prétexte du fort enracinement de certaines provinces dans la tradition. Or cela creuserait encore plus la fracture (déjà très importante) entre les zones urbaines et les zones rurales du Royaume. Comme le souligne Najat Ikhich, « la loi est faite pour faire avancer les mentalités ». Il est donc primordial de ne pas faire une exception pour les régions rurales et d'instaurer au contraire ce délai supplémentaire afin de finir de régulariser tous les mariages coutumiers. Cependant, comme le souligne la présidente de la Fondation, « si la société civile, et les associations ne réagissent pas pendant cette prorogation des délais, rien ne sera fait ». Les dossiers seront ainsi reportés une nouvelle fois.
A cet égard, le rôle des autorités territoriales est majeur. Caïds, présidents de communes et officiers de l'état civil sont autant d’intervenants indispensables au processus de régularisation. Malheur-eusement, les intérêts politiques priment trop souvent sur la réalité sociale que vivent les citoyens. « On ne peut pas faire le travail seuls », se désole Mustapha El Karmouni trésorier de la Fondation.
A titre d'exemple, la région d'Azilal est souvent touchée par les intempéries. En février 2009, au moment où l'échéance de la reconnaissance des mariages arrivait à terme, la neige empêchait tout accès aux administrations.
Des centaines de familles se sont ainsi vues refuser leurs demandes, sous prétexte de retard dans les délais sans qu'à aucun moment l'on ait tenu compte des aléas climatiques.
Le président de la commune d'Ait Mhamed tient ainsi à montrer une vidéo des inondations qui ont touché la semaine passée le village. Sur les images, plus d'un mètre d'eau qui se déverse continuellement dans les rues entraînant tout sur son passage. Ces intempéries sont chose courante dans la province d'Azilal.
Néanmoins, tout n'est pas si sombre dans le tableau qui s'offre à nous. En effet, depuis la venue en 2008 de la caravane de la Fondation Ytto, une Maison de la mère et de l'enfant a été créée, permettant ainsi aux mères qui sont sur le point d'accoucher d'être accueillies dans une structure médicalisée. De plus, une association de femmes a été créée pour la promotion de leurs droits dans le village. Parmi les priorités de Mohamed Allaoui (président de la commune) on cite également l'accès à l'eau potable pour tous ainsi que l'assainissement des égouts toujours à ciel ouvert à l'heure actuelle.
Le réel problème est de savoir jusqu'à quand pouvons laisser se développer un Maroc à deux vitesses qui rappelle le temps jadis où le Royaume était divisé en Maroc utile et Maroc inutile. Il est difficilement concevable d'accepter l'abandon (car c'est bien de cela qu'il s'agit) de régions entières pourtant indispensables pour le développement du pays.  
Les mariages traditionnels qui perdurent  ne sont qu'une infime partie des difficultés inhérentes à ces régions. Ces dernières sont également dépourvues d'eau potable, d'électricité, d'accès aux soins, et  à l'éducation. Les oubliés du Maroc nouveau qui y vivent y auront-ils droit un jour?



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