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L’intelligence à l’école ?


Libé
Vendredi 24 Février 2023

L’intelligence à l’école ?
L’intelligence, n’est-ce pas le sujet majeur qui retient l’attention de tous les enseignants ? N’est-ce pas l’objectif prioritaire de l’école ? Alors comment l’école en parle-t-elle ? Comment la conçoit-elle ?

Depuis le primaire, les enseignants distinguent deux types d’élèves, les uns sont plus intelligents, les autres le sont moins. Nous chercherons à faire comprendre au lecteur via cette réflexion de quelle manière on entend l’intelligence à l’école.

Un élève qualifié de brillant est celui qui dispose de certaines qualités, en tout cas, ce que les enseignants croient être des qualités. Par exemple, s’il est question de mathématiques, un élève brillant doit savoir calculer correctement et suivre les normes. S’il s’agit des langues, il doit savoir parler et écrire de la bonne manière. Celui qui en est incapable n’est pas un bon élève, et donc il n’est pas intelligent.

Prenons deux exemples concrets, dominants au Maroc, dont nous parlerons en connaissance de cause. La majorité des élèves et des étudiants qui réussissent à l’école, ce sont ceux dont les parents sont des enseignants, des fonctionnaires ou issus de familles aisées. Etant conscients des enjeux scolaires, ils apprennent à leurs enfants comment s’en sortir. Très tôt, ils cherchent à leur apprendre à prononcer correctement les mots, tout en veillant à ce que leurs enfants apprennent très bien le français (surtout le français !), car sans la bonne maîtrise de cette langue, l’élève risque de ne pas tirer son épingle du jeu scolaire, et, pire encore, de ne pas arriver à occuper un meilleur poste.

Bien sûr, il ne s’agit à aucun moment de penser à dévaloriser  l’apprentissage rigoureux, comme nous ne nions en aucun cas l’utilité de la maîtrise des règles dans la créativité, mais il n’en demeure pas moins que l’on doit penser aussi à ces élèves qui n’ont pas pu s’ajuster aux usages consacrés. Quid d’eux ? Et qu’est-ce qu’on a fait/fait/fera pour les sauver?

Le système scolaire obéit donc à une équation simple: pour réussir à l’école,  il faut s’inscrire dans les normes. Or, c’est ainsi que le malheur est né, sans qu’on en soit conscient, ou, plutôt, en faisant semblant de ne pas en être conscient, parce que c’est comme ça, parce que c’est ainsi, dit-on! Le danger consiste en ce qu’on inculque aux enfants depuis le début qu’en faisant ce qu’on leur demande comme on le leur demande, ils réussiront, ils seront plus intelligents d’une certaine manière. Là est toute misère, comme dirait l’autre, car, si certes le fait de suivre les normes rend possible la bonne réussite à l’école, n’empêche néanmoins qu’il ne permet en rien d’être intelligent.  Projet qui rate !

Respecter les règles aide à produire peut-être des individus qui font ce qu’il faut faire comme on veut que cela se fasse, mais il ne rend pas les gens créatifs, car, pour tendre à la créativité, il faut aussi apprendre, en un certain sens, à désobéir. Y a-t-il une école qui pourrait apprendre aux apprenants à désobéir, à subvertir? N’est-ce pas dans la subversion que l’on pense le mieux? Adonis ne dit-il pas que «l’innovation exige la destruction» ? Si l’on adopte cet esprit, on a là largement une preuve suffisante qui doit pousser tout un chacun, soucieux de l’avenir d’un enseignement de qualité, à penser aux élèves qui ne sont pas bons, qui sont «mauvais», qui ont «de mauvaises oreilles», qui sont «lourds», «dépourvus d’intelligence», «lents», et patati et patata ! Si seulement on y réfléchissait !

Les exemples prouvant que ces élèves n’ont rien de mauvais ne sont pas moins nombreux. Thomas Edison renvoyé de l’école à l’âge de sept ans, qualifié de stupide; Albert Einstein, trouvant insignifiant ce qu’on lui racontait, en était complètement déçu, toujours déçu, même à Polytechnique ! Quel dommage que ce soit toujours la même histoire qui se répète : tous ceux qui cherchent à comprendre parce que c’est mal expliqué passent pour des gens lourds ! Bref, les deux patrons de l’invention ne se sont pas affirmés grâce à l’école mais plutôt par autre chose, Einstein dirait par soi-même.

On a qu’à lire le fameux «Comment je vois le monde ?», ce livre dont on parle rarement, ou qu’on fait semblant d’ignorer, pour apprendre à dire non quand tout le monde veut qu’on dise oui, pour apprendre tout simplement que le dépassement de n’importe quelle thèse est toujours possible. Il dépend seulement du commun des mortels que l’on en soit capable ou non. Rien ni personne à sacraliser en matière de science !

Einstein s’insurgeait contre ses enseignants non qu’il leur manque de respect, mais parce que personne ne se pose les vraies questions. Alors qu’il cherchait à comprendre de la manière la plus simple qui soit ce que c’est que le temps et l’espace, il se trouve que personne ne pouvait lui expliquer ce que c’est. On ne faisait que se gargariser de concepts creux en ânonnant par cœur (affaire d’un élève brillant !) les théories de Galilée et de Newton. Einstein voulait savoir ce que cela signifiait, sans rabâcher les cours et les théories des anciens. Ceux-ci sont importants bien entendu, mais ils ont fait leur temps ! Il suffit à titre d’exemple de penser à un enfant qui s’interroge sur Dieu, que lui dire sans lui parler de l’islam, du christianisme ou du judaïsme ? Toute la problématique se comprend par là, que dire à un élève ou un étudiant de la science sans lui casser la tête par la spéculation ?

Donc, si l’on cherche à comprendre comment fonctionne l’école, il faut dire qu’elle fonctionne par imitation, et moins par créativité. C’est pourquoi les meilleurs à réussir à l’école finissent par trouver de bons postes, mais sans plus.

Or que dire de ceux qui ont «la tête lourde», qui ne sont pas «intelligents»; ceux qui finissent souvent par abandonner les établissements scolaires, les maudits de l’école ? Pas grand-chose, ils sont évidemment jetés aux oubliettes, mais le moins qu’on puisse dire, rien que pour leur rendre hommage, c’est qu’ils étaient sur la bonne voie, sauf que l’école avec le système qu’elle défend les a négligés, par incompétence !

Au lieu d’exclure les élèves jugés subversifs, car s’écartant des normes scolaires souvent sclérosées, l’école n’a-t-elle pas intérêt à les intégrer ? Au lieu de constituer une entrave à la marche du cursus scolaire, ces élèves pourraient apporter du sang nouveau permettant à la vénérable institution qu’est l’école de se remettre en question. 

Par Najib Allioui
Enseignant agrégé de français aux classes de BTS, Casablanca


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