Dans ce dernier film, l'auteur dénonce l'invasion des antennes paraboliques dans les quartiers pauvres, dans les foyers où la promiscuité est omniprésente. On nous montre des enfants à la merci des images qui viennent d'ailleurs, une mère absente, une soeur qui la remplace. Un père qui rentre exténué le soir par le travail. Un seul fils, encore enfant, s’occupe de ses sœurs endossant ainsi une responsabilité le dépassant.
Le traitement de l'espace dans ce court est intéressant. L'espace extérieur, celui des bidonvilles, relate le quotidien du père, un quotidien misérable qu'il n'arrive pas à surmonter même avec son dur labeur. Le père, malgré son âge avancé, essaye toujours de travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Les bidonvilles montrent le milieu social dans lequel évoluent les enfants en l'absence du père et de la mère : un lieu insalubre dominé par des antennes paraboliques qui contrastent avec le milieu « misérabilique » qui les a apprivoisés et adoptés non sans difficulté. Les paraboles, le titre du film « Autorisation parentale » préparent le spectateur aux scènes qui suivront. Plus on s'approche du « foyer », en suivant les pas du père, plus on imagine ce qui sera : un écran-télé triomphant dans un « salon », très modeste, orné d'un tissu et relié, bien entendu, à une parabole. C'est dans ce « salon », espace familial que le père et les trois enfants se réunissent à l'accoutumée. Il est le lieu de rêverie par excellence. C'est pourquoi on se dispute la meilleure position, celle du père souvent absent. C'est dans ce lieu où les frères et les sœurs regardent la télé. Il est sombre et manque de luminosité.
A ce manque de luminosité s'ajoute le manque de dialogues et de répliques. Cette incommunicabilité est catalysée par l'écran-télé, source de luminosité et de lumière. C'est cet espace « audiovisuel » qui comble le manque de dialogue père/enfants et aussi le manque de luminosité dans le foyer. Cet espace-télé va permettre à nos acteurs de fuir le quotidien et d'embrasser le monde et ses merveilles, de rêver, de se déplacer dans d'autres espaces, de visiter d'autres lieux, grands et beaux, des maisons avec fenêtres donnant sur de grands boulevards, des maisons où l'on trouve de grandes terrasses et piscines, des villas avec jardins… Bref l'écran-télé aide les enfants à supporter leur quotidien mais ne les met pas à l'abri du danger qui les guette.
Le film « Le dernier cri » de H. Basket relate aussi l'histoire d'un enfant qui vit dans un milieu défavorisé. Son quotidien devient de plus en plus insupportable : un père handicapé et malade et une mère infidèle. Ce film raconte, de manière digne et silencieuse, le vécu d'un enfant, livré à lui-même, un enfant privé de bonheur : un père ne travaillant pas et sans revenu et une mère qui se donne à un autre homme en échange de quelques morceaux de viande.
On n'a pas besoin de parler et de comprendre la langue ou le dialecte des personnages pour suivre l'histoire du film. Car le langage des images est universel. La preuve en est ce court métrage de H. Basket. Ce film, sans répliques, permet au spectateur de reconstruire l'histoire à travers les expressions des visages et les plans qui se suivent et se succèdent dans un ordre narratif bien étudié. C'est grâce à ces plans de visages choisis que le spectateur reconstitue l'histoire du film et approche le sens. Les images, seules suffisent pour transporter le spectateur et l'emporter. Pour communiquer les émotions, le film ne recourt pas au dialogue. Si les mots restent incapables d'exprimer l'inexprimable, de dire l'indicible, de raconter de près le vécu d'un enfant qui n'a pas atteint encore la maturité linguistique pour se défendre, en revanche les images le disent et le narrent judicieusement. Si un enfant est incapable de raconter le mal qui le ronge, l'incompréhension des autres, en revanche les images peuvent le dire à sa place et hausser son cri pour le faire entendre aux autres. Le cri de l'enfant épouse la force des images et l'intensité émotionnelle qu'elles communiquent généreusement au spectateur. La voix de cet enfant a été entendue même s'il a du mal à parler notamment à sa mère et à son amant.
Livré à lui-même, il veut en finir avec la vie. Mais un enfant reste un enfant. Sa naïveté sur le monde et sur la vie l'emporte. Sa représentation des objets et de leur cheminement lui épargne la vie. Il reste livré à l'inconnu, au hasard de la vie et à la dure réalité du quotidien qui vont sûrement l'endurcir, le façonner et faire de lui, peut-être, un être blessé dans son amour propre, un être meurtri par la société des hommes.
Cet enfant en manque d'affection et d'amour peut-il donner aux autres ce dont lui même a été frustré ? A-t-il le droit d'ignorer ce qu'il n'a pas connu ?
- l'amour d'une mère volée par un homme bestialement représenté par la fonction sociale qu'il exerce, celle d'un boucher ?
- l'image d'un père modèle qui a réussi sur les plans social, professionnel et sentimental, lui, qui a eu un père incapable intellectuellement et physiquement de sauver l'honneur de la famille et épargner à sa mère de se salir en souillant ainsi l'honneur et la dignité.
Le modèle familial protecteur et salvateur est ainsi brisé. Les représentations qu'il s'est fait du monde des adultes sont déformées. Il portera en lui et à jamais « l'impuissance » d'une mère angéliquement représentée par son sourire et son visage rayonnant, les pleurs incessants d'un petit frère et le rire d'un homme insensible.
Contrairement au film « Autorisation parentale », « Le dernier cri » s'est positionné beaucoup plus du côté du récepteur en lui donnant la possibilité de reconstituer le sens, de réaliser un montage cognitif et mental. Ainsi le spectateur participe-t-il de la re-construction de la fable, voyage dans le récit, émigre dans le monde du film en quittant son siège et en agissant avec ses émotions et son imagination. Ce spectateur essaye de lire les représentations mentales du héros car il ne peut pas se baser sur les répliques. Seul le regard de l'enfant et certains actes (tentative de suicide par exemple) lui permettent de vivre l'intensité dramatique et la souffrance qui ont atteint leur paroxysme.
Faute de vivre ses moments intenses, le spectateur se projette dans le personnage et essaye de vivre et partager ces moments difficiles. Grâce à cette projection dans le héros et ce montage mental et cognitif, le spectateur réalise une double scénarisation, s'approprie l'histoire du film car il a pu vivre « de près » les souffrances de l'enfant grâce à un dialogue sensori-moteur surtout quand ce dernier tente de se suicider et où l'on se sent menacé en tant que spectateur ayant prêté son « corps » au personnage.
Orienté par le regard de l'enfant vers le train, le spectateur est invité, malgré lui, à réagir, à incarner et à s'approprier la scène finale, celle du suicide raté…
*Enseignant chercheur
à la Faculté des Lettres
de Marrakech
Coordinateur pédagogique
de l'E.C.A.M.