"L’artiste et le psychanalyste" dernier ouvrage de Joyce McDougall : L'art sur le divan


L B
Mercredi 4 Février 2009

"L’artiste et le psychanalyste" dernier ouvrage de Joyce McDougall : L'art sur le divan
Une conférence américaine de 1994 de la première auteure, inédite en français, et intitulée "L’artiste et le psychanalyste", est suivie dans ce petit volume de six commentaires, ou libres rebonds (c’est selon). Le ton général passe largement les éloges de courtoisie adressés à Joyce McDougall, et frise l’adulation. À l’exception des contributions de Jacques André et surtout de Michel de M’Uzan, on ne trouvera pas grand-chose qui ressemble à une discussion de fond des thèses du texte introductif. Le plus frappant, dans ce recueil, c’est la promesse, voire le contrat, que son titre ambitieux et excitant passe avec le lecteur, et la façon, extrêmement décevante pour finir, dont cette promesse ou ce contrat sont remplis. Le titre d’un essai, ou d’une conférence, peut être simplement thématique (voilà de quoi je vais parler); sur la couverture d’un volume d’une collection aux parutions aussi attendues et enrichissantes que la "petite bibliothèque de psychanalyse", il annonce bien trop.
Ce trop éclate d’ailleurs dès le propos de Joyce McDougall, et le malaise qui envahit le lecteur ne se dissipera presque jamais ensuite. Il a trois aspects. Le premier, c’est l’invocation rituelle de la formule de Freud, déclinée de bien des façons, selon laquelle "la création artistique reste en tant que telle un mystère impénétrable, mais…". Et après ce "mais…", on trouve tout ce qu’on veut, selon l’état du développement de la théorie psychanalytique, autant chez Freud que chez ses successeurs, et selon les clichés en vigueur aux époques différentes de la culture, sur la nature de l’art et de l’activité artistique. "On fera donc semblant de croire en la légitimité de l’entreprise !" s’écrie ainsi Michel de M’Uzan . Le second, c’est la gêne qu’on ressent à voir des cures d’artistes invoquées (on suppose qu’ils sont connus du public, vu les sous-entendus que Joyce McDougall multiplie à plaisir), mais sans possibilité aucune, du fait de la clause de confidentialité, de se faire la moindre idée de ce qu’ils ont effectivement réalisé, et du rapport éventuel entre ce que raconte l’auteure, ce qu’ils disent eux-mêmes de leur œuvre et de leur créativité, et des productions esthétiques, mais aussi intellectuelles ou professionnelles qui justifient leur titre de créateurs. L’appel à communier dans une évidence inscrutable, banal dans les vignettes cliniques en psychanalyse, est comme ici redoublé. Car on peut bien se faire une idée du genre de symptômes que produit une personne en analyse, mais bien moins, si on veut être précis et penser quelque chose de déterminé, des résultats complexes de ce qui n’est pas vraiment un symptôme, mais plutôt le résultat d’une sublimation, et surtout quand cette sublimation prend la forme d’une œuvre d’art. Ces deux premiers embarras conspirent pour produire le troisième : il y a chez Joyce McDougall un ton "explicatif" qui paraît mettre au jour, artiste par artiste analysé, un mécanisme fantasmatique primordial à la source du conflit créateur (bisexualité psychique ou autre), et cependant, qu’on en lise les formules dans tous les sens, qu’on y suppose toute la profondeur qu’on veut, il reste absolument impossible de comprendre pourquoi ces mécanismes allégués devraient déboucher sur des œuvres d’art, plutôt, justement, que sur des rêves, ou des symptômes, ou des délires, etc. Évidemment, il y a aussi tout cela, et en plus, des œuvres d’art (ou des accomplissements censés manifester une capacité créatrice spéciale). Les artistes analysés par Joyce McDougall ne parlent pas que de leurs œuvres. Mais le mur freudien reste infranchissable : une fois qu’on a dit que l’artiste exprime dans son œuvre des insatisfactions qui sont du même tonneau que les insatisfactions attestées dans les fantasmes (hystériques, par exemple), que le matériau de ces œuvres, c’est la sexualité infantile, que l’œuvre d’art peut s’analyser comme un rêve, et que la signification des œuvres d’art est passible d’une interprétation de ses motivations inconscientes, on fait tout bonnement du surplace. L’annexion pure et simple de l’œuvre d’art au champ de pertinence de la psychanalyse se fait au profit unilatéral de la psychanalyse (elle peut parler de ça aussi, comme de la religion, elle s’y retrouve sans mal), au prix, malheureusement, de l’œuvre d’art. Du coup, parler d’œuvre d’art n’a strictement aucun intérêt supplémentaire, si on la compare à ce que nous apprennent les formations de l’inconscient que n’importe qui, artiste ou pas, produit pour son compte.



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