Joao Gilberto, la voix et la guitare de la bossa nova

Disparu de la scène musicale depuis près de 20 ans, ce musicien de génie a fini sa vie ruiné et reclus à Rio


Jeudi 11 Juillet 2019

Gilberto, l'un des pères de la bossa nova qui immortalisa avec Stan Getz "la fille d'Ipanema", a bouleversé les canons de l'interprétation musicale et inventé la bande-son du renouveau brésilien des années 1960.
Disparu de la scène musicale depuis près de 20 ans, ce musicien de génie a fini sa vie ruiné et reclus à Rio, dans un appartement prêté par l'épouse de Caetano Veloso, autre grand nom de la musique brésilienne.
Il était le dernier survivant de la "sainte trinité" de la bossa nova formée par le compositeur et pianiste Tom Jobim (disparu en 1994) et le poète et diplomate Vinicius de Moraes (mort en 1980).
Né le 10 juin 1931 à Juazeiro, dans l'Etat lointain de Bahia (nord-est), Joao Gilberto Prado Pereira de Oliveira reçoit sa première guitare à 14 ans. Quatre ans plus tard, "Joaozinho" quitte son village natal pour Rio.
Il joue dans un petit groupe et se fait connaître en 1957 comme guitariste sur un disque de Elizeth Cardoso composé par Tom Jobim et Vinicius de Moraes.
A la même époque, Juscelino Kubitschek est élu président avec un slogan: "Cinquante ans de progrès en cinq ans!" C'est l'époque encore des big-band, des voix cuivrées et des rythmes endiablés de la samba. Mais les jours de ce bruyant folkore sont comptés.
Dans un appartement de Copacabana, la nouvelle vague, "bossa nova" en argot carioca - poètes, musiciens - se réunit chez Nara Leao, une petite chanteuse de 14 ans. Il y a là Vinicius de Moraes, Newton Mendonça, Carlos Jobim et un jeune homme timide, Joao Gilberto. Les deux premiers composent, le troisième écrit et le dernier chante de sa voix timide.
C'est un chuchotement, un souffle, "la dernière étape avant le silence", disent les critiques. Seul sur son tabouret, avec sa guitare, il invente "la batida", un rythme sensuel et impose le "canto falado", le chant parlé. Le 10 juillet 1958, il enregistre "Chega de saudade" et "Desafinado", manifeste de cette nouvelle vague.
Douceur, pudeur, mélancolie balaient vocalises et exotisme brésiliens. Le président Kubitschek, l'homme de Brasilia, est séduit. Il veut montrer au reste du monde le son de son nouveau Brésil.
Le 21 novembre 1962, les jeunes musiciens se produisent à New York, au Carnegie Hall. Joao Gilberto qui s'est marié entre temps à la chanteuse Astrud Weinert, y rencontre Stan Getz, le jazz-man saxophoniste.
Porté par "The girl from Ipanema", l'album "Getz and Gilberto" rencontre un immense succès en 1964. En 1967, Frank Sinatra ajoute la chanson à son répertoire. C'est la consécration internationale qui ouvre la voie à une riche discographie ("Ela é Carioca", "Brasil") et des concerts à travers le monde.
Mais Astrud Gilberto, lassée des humeurs noires de Joao le quitte pour Stan Getz. Le guitariste se morfond à New York, part deux ans au Mexique. Revient après 15 ans à Rio. Le mystère s'épaissit autour du musicien qui vit en pyjama et refuse qu'on lui serre la main de peur d'avoir les os cassés.
Ses concerts se raréfient. "Monter sur scène, c'est marcher vers la guillotine", dit-il, paniqué, coutumier des annulations de dernière minute. En 1984, il reste enfermé dans sa loge tandis que la salle est pleine. A Lisbonne en 1989, il quitte la scène après trois chansons car la climatisation le gêne et intime le silence à des aficionados qui ont le malheur de chantonner.
Le début du déclin remonte à 2010. Sa troisième épouse, une journaliste de 40 ans sa cadette, le convainc de faire une tournée pour ses 80 ans, qu'il doit annuler - et rembourser - en raison de problèmes de santé.
Pris dans un contentieux avec sa première maison de disque, sans nouvel album depuis 1989 ni apparition sur scène depuis 2008, il vend en 2013, plus de la moitié des droits de ses quatre premiers albums.
Il est expulsé en 2017 de son appartement faute d'avoir réglé ses loyers. Sa fille la chanteuse Bebel, née de ses secondes noces avec la chanteuse Miucha, avait alors obtenu sa mise sous tutelle.


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