“Missa” : L'absurde dévoilé



Intellectuels et Médias ? Dr Boujema El Aoufi : Les intellectuels ont des espaces rétrécis au sein des médias marocains


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mardi 7 Mai 2019

Les artistes ayant eu une opportunité  de suivre les cours de Dr Boujemaâ El Aoufi disent qu’ils ont beaucoup appris en matière d’évaluation d’une œuvre d’art quels que soient sa nature, son regard critique et sa rigueur, ainsi que sa manière de décortiquer sémiotiquement les œuvres d’art. Il n’a jamais cessé d’entretenir des relations avec les médias depuis bien longtemps. Une expérience qui permet d’avoir un certain regard sur le sujet.

Libé : Quelle lecture faites-vous du champ médiatique marocain ?
B.E.A : Le champ médiatique marocain a certes connu un grand changement avec un élargissement remarquable ces dernières années, surtout après la libéralisation du secteur de l’audiovisuel en 2002 et 2016,  soit au niveau des différents supports médiatiques (radios, chaînes de télévision) ou à travers d’autres plateformes médiatiques (sites de la presse électronique), mais cette diversité quantitative n’a pas pu, malheureusement, aboutir à une production qualitative, digne de l’enjeu de ce pays et justifiant, en même temps, les grands budgets consacrés à cette production médiatique.
Dans la réalité, ce champ est devenu, au fil du temps, un grand marché accueillant des “ boutiques de médias”, comme on dit, plutôt qu’un champ professionnel qui pourrait instaurer les règles d’un métier d’information basé sur la transmission honnête et logique de l’information. Ainsi, le champ médiatique marocain, dans sa globalité, a perdu et raté aussi, à mon avis, sa crédibilité et son professionnalisme. En fin de compte, le journalisme a perdu son éthique : n’importe qui, dans ce nouveau monde, pourrait écrire, dire, publier ou diffuser n’importe quoi. Nous sommes vraiment au cœur d’une situation inédite.
De même que l’espace ou la marge consacrée à la liberté de la presse s’est bien rétréci, avec des conséquences néfastes : beaucoup de journaux ont été censurés,  des journalistes jugés et emprisonnés à cause de leurs opinions.. Et ce n’est pas par hasard, dans ce contexte, que le Maroc, au niveau de la liberté de la presse, est classé 135ème parmi 180 pays, selon l’indice de la liberté de presse publié en 2018 par l’organisation “  Reporters Sans Frontières”.

Quels rapports entretenez-vous  personnellement avec les médias marocains ?
En tant que poète, écrivain et critique d’art, ma production écrite, dans sa totalité n’a jamais été loin des médias marocains ; je suis bien intéressé par tout ce qui se passe dans mon pays, soit au niveau politique, social et économique, ou culturel en général, je suis présent comme écrivain d’opinion depuis bien longtemps dans la presse écrite et électronique marocaine, mais parfois, on a des difficultés et des lignes rouges qu’on ne peut pas franchir, surtout pour les supports médiatiques dominés par l’Etat ou par les partis politiques.
Nous n’avons pas non plus suffisamment de médias libres dans le pays, et même ceux qui prétendent l’être, sont orientés ou financés implicitement par des lobbys politiques et économiques, ce qui assimile cette “ prétendue liberté  “ : à un poisson d’avril.

Quelle image les médias nationaux  réservent-ils aux intellectuels marocains ?
A vrai dire, les intellectuels qui ont une vision libre et audacieuse avaient toujours une marge réduite au sein des médias marocains, ce qui rend leur espace de  liberté d’expression bien serré aussi. Et à cause de cela, beaucoup d’entre eux ont choisi “la gloire des ombres”. Il y en a ceux qui ont choisi le silence, et d’autres qui continuent à écrire avec un style métaphorique ou presque abstrait pour éviter la censure ou pire encore.

Les médias marocains sont-ils suffisamment ouverts sur les intellectuels nationaux ?
Les médias marocains, en majorité, regardent l’intellectuel d’un œil craintif, car celui-ci veut s’exprimer en toute liberté et dire les choses telles quelles, sans maquillage ni intérêt personnel, contrairement aux hommes politiques qui défendent souvent leurs intérêts avec beaucoup de rhétorique et de mensonges.  

Quels sont les différents angles d’attaque utilisés par les médias marocains pour aborder les différents événements sociaux, politiques ou idéologiques ?
On l’a déjà dit, l’absence horrible de l’éthique du métier, du professionnalisme et de la crédibilité de la majorité des opérateurs médiatiques, a bien déformé aussi ces angles d’attaque présumés ou utilisés par les médias pour traiter les différents événements sociaux, politiques idéologiques, ce qui rend ce traitement sans crédibilité aucune en fin de compte. Les médiats marocains utilisent à leur tour, habilement, cet instrument propre aux politiques “les faux débats “, pour falsifier nombre de vérités politiques, sociales et économiques, ou plutôt, beaucoup de causes ou actes historiques dans le pays.

Quel regard portez-vous sur les intellectuels marocains fort présents sinon omniprésents dans les médias marocains ?
Malheureusement, les intellectuels marocains fort présents dans les médias sont vraiment rares. Pour ceux qu’on regarde en boucle et de manière itérative, les visages et les noms sont bien connus. La première remarque est qu’ils sont devenus même des célébrités vu leur présence permanente sur tous les plateaux de télévision et dans des émissions diffusées à des heures de pointe.  Quant à leurs apports, la  moindre des choses que l’on puisse dire, c’est que ces « célébrités » manquent d’honnêteté intellectuelle.

Repères

Né en 1961, Boujema El Aoufi est poète, traducteur et critique d’art. Il a commencé à écrire et publier des poèmes et des articles en 1986. Ses premiers écrits s’appuyaient beaucoup sur des documents visionnaires et mythologiques, mais il a ensuite tenté de s’écarter de cette tendance en optant pour la  «nouvelle poésie» qui se caractérise par l’usage du langage ordinaire et de la vie quotidienne.
Outre ses occupations poétiques et critiques, il est aussi un intellectuel actif et organique avec une touche charismatique qu’il met à profit pour participer aux  événements littéraires et artistiques. En 2001, il a reçu le prix Shariqa pour la création littéraire arabe, décerné par le ministère de la Culture et de la Communication des Emirats arabes unis.
Ce natif de Taza est membre à la fois de l’Union des écrivains du Maroc et de la Maison de la poésie. Il a publié deux recueils de poèmes, mais aussi plusieurs  essais littéraires dont «De l’oralité à l’écrit », «La critique plastique entre la lecture et la traduction » et «Les arts plastiques marocains entre l’identité et l’expérimentation ».


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