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Il y a dix ans, la bête immonde a frappé : 16 mai 2003 de triste mémoire


Hassan Bentaleb
Jeudi 16 Mai 2013

Il y a dix ans, la bête immonde a frappé : 16 mai 2003 de triste mémoire
Il y a dix ans, le 16 mai 2003, une série de cinq attentats  avaient endeuillé Casablanca. Ils s’étaient produits quelques jours après des attaques visant des intérêts occidentaux à Riyad et furent perpétrés par une dizaine d'islamistes radicaux. Le bilan en fut lourd : 41 morts  dont trois Français et deux Espagnols et une centaine de blessés.
Mobilisés contre une menace terroriste dès juin 2002, avec le démantèlement d'un premier réseau d'Al-Qaïda composé de trois Saoudiens, les services de sécurité étaient en alerte rouge et bénéficiaient d'un puissant arsenal législatif. Ce qui ne semblait néanmoins pas suffisant pour empêcher les intégristes de passer à l'action. En revanche, les forces de sécurité purent empêcher une seconde vague d'attentats, prévue pour le 23 mai.
Les actions terroristes du 16 mai qui n’avaient pas de précédent excepté l'assassinat en août 1994 dans un hôtel de Marrakech de quelques touristes étrangers, firent voler en éclats ce que l’on croyait être une exception purement nationale. L’hydre terroriste avait ainsi signé sa première menace sérieuse contre le Maroc et les Marocains. Dix ans après, les stigmates en sont toujours présents dans notre mémoire collective et, surtout,  dans les souvenirs des victimes.


Il y a dix ans, la bête immonde a frappé
La dernière fois que Malika a vu son mari Ahmed, c’était le 17 mai à la morgue du CHU Ibn Rochd au centre-ville de Casablanca. Il gisait parmi les dizaines de cadavres qui ne sont depuis le 16 mai que des chairs abîmées, entaillées et déchiquetées.  Une scène atroce et horrible dont Malika se souvient toujours, 10 ans après. Une page qu’elle a encore du mal à tourner. Le drame restera à jamais gravé dans sa mémoire. Pourtant, elle n’est pas la seule à supporter ce fardeau. Les  victimes des attentats terroristes du 16 mai sont eux aussi incapables de faire leur  deuil. Le temps semble s’être arrêté  à cet instant où une dizaine d’islamistes radicaux originaires du bidonville Thomas, ont fait régner la terreur sur Casablanca, à travers des actes abjects qui ont fait 41 victimes et une centaine de blessés.
 « Cela fait déjà plus de 3.650 jours. Mais on n’a rien oublié puisqu’il ne se passe pas un jour sans qu’on pense à cela. L’attentat est gravé à jamais dans notre mémoire », nous a confié M’hmad Mahboub, vice-président de l’Association marocaine des victimes de terrorisme et ex-gérant de Casa d’España.
Touché grièvement à la mâchoire et au fémur,  M’hmad Mahboub a dû subir sept opérations chirurgicales.  Son corps traîne  encore les débris de la bombe artisanale explosée cette soirée du 16 mai au restaurant Casa d’España où il était gérant.  Aujourd’hui, il ne peut  plus travailler. « Avec un visage défiguré et des jambes qui ne me supportent plus, il m’est impossible de vaquer à mes occupations», nous-a-t-il révélé.   
Pour lui, la plaie est si profonde qu’elle lui semble impossible à cicatriser.  «Chaque fois que la commémoration de cet événement approche, je sens une pression intense qui pèse lourd sur moi. Dans un flot, le passé me submerge d’un coup et me replonge malgré moi dans les souffrances d’un souvenir dont je n’arrive pas à me détacher. Parfois, il suffit d’une image à la télévision pour qu’une sensation de malaise m’envahisse. Je suis encore des séances de thérapie chez des psychologues à raison d’une séance par mois», nous a témoigné M’hmad Mahboub.
Une mémoire blessée qu’on vient de raviver  avec la sortie du nouveau film de Nabil Ayouch «Les chevaux de Dieu ».  Inspiré d’un roman de Mahi Binebine, « Les Etoiles de Sidi Moumen », le film raconte l’histoire des kamikazes  gagnés à la cause des islamistes radicaux et qui ont fini par perpétrer une série d’attentats suicide à Casablanca dont ils seront les premières victimes. Pour M’hmad Mahboub, le réalisateur a offusqué la mémoire des victimes notamment avec cette scène où le gardien de Casa d’España s’est fait égorger. « Le film a donné la voix aux kamikazes au détriment des victimes. Il a péché par son impartialité », a-t-il précisé.  
Selon lui,  le deuil ne se fera pas tant que la vérité sur ce qui s’est passé en cette triste journée du 16 mai n’est pas dévoilée. « On a le droit de savoir d’autant plus que nos questions demeurent sans réponses. On nous a servi une version officielle selon laquelle des jeunes issus de Sidi Moumen ont été embrigadés par des cellules terroristes afin de servir des agendas extérieurs voire intérieurs.  Il y avait des arrestations mais l‘ensemble des personnes arrêtées ont toujours clamé leur innocence. Qui faut-il croire dans ce cas ?  La version officielle ou les salafistes ? », s’est-il demandé avant de poursuivre : « Peu importe qui dit faux ou vrai, notre ardent souhait est de savoir pourquoi ces jeunes ont commis ces attentas. Qui a été derrière ? Et pourquoi avons-nous été visés?».
Le vice-président de l’AMVT ne va pas par quatre chemins. Il estime que l’Etat a le devoir de lever le voile sur ces attentats pour tourner cette page une fois pour toutes. « On réclame la vérité pour que les victimes reposent en paix et que nous puissions nous aussi faire notre deuil », a-t-il lancé.
Une demande qui rejoint celle adressée, il y a quelques jours, au chef du gouvernement par l’Association Espace moderniste pour le développement et la cohabitation ( AEMDC) qui a exigé la mise en place d’une commission d’enquête élargie sur les attentats du 16 mai, d’autant que les islamistes du PJD n’ont cessé de répéter à qui veut les entendre que les citoyens marocains ont le droit de se poser des questions sur ces attentats. En effet, les déclarations du PJD sur le sujet  sont abondantes. C’est le cas d’Abdelilah Benkirane qui a déclaré que son parti  continuera à se  poser la question ou  Mustapha Ramid soutenant que le ministère de l’Intérieur a cherché à faire de ce drame une espèce d’holocauste intouchable. Même son de cloche du côté d’Abdellah Baha, estimant que s’il y a un parti qui est le plus concerné par ces attentats, c’est bel et bien le PJD, car les Pjdistes ont été les premiers à être pointés du doigt avant d’être innocentés, d’où le droit de demander la vérité sur les actes terroristes du 16 mai à Casablanca.
Des questions qui ne semblent pas pourtant être l’apanage du PJD puisque nombreux sont les ONG, les partis politiques, les chercheurs et les analystes qui se sont interrogés sur les véritables commanditaires des attentats en question. Surtout que les déclarations contradictoires de hauts responsables sécuritaires faisant état tantôt d’implication étrangère, notamment d’Al Qaïda, tantôt de réseaux locaux salafistes, takfiristes, fondamentalistes, laissent plainer la doute. Pourtant, ce débat délicat et dérangeant ne fait pas partie des préoccupations des habitants du bidonville Thomas, lieu de départ des kamikazes. Dix ans après le drame, les attentats du 16 mai relèvent aujourd’hui du passé. Un passé lointain qu’on est parvenus, tant bien que mal, à oublier. La dure réalité du quotidien a repris sa loi.   « Les gens ont d’autres préoccupation plus urgentes et plus importantes. Ils ont des familles à entretenir et des crédits à payer », nous a lancé Moustapha Mhnina, acteur associatif.  
Pour lui, l’intégrisme religieux a laissé place aux délinquants et aux repris de la justice qui dictent désormais leur loi.
Le bidonville s’est transformé en haut lieu du trafic de drogue écoulée au vu et au su de tout le monde. « Aujourd’hui, la cité est aux mains d’une bande de trafiquants qui ont repris le flambeau des salafistes. Ainsi, les barbes, la tenue vestimentaire afghane et le khôl ont été échangés contre des casquettes, des survêtements Adidas et des baskets Nike », nous a-t-il précisé. Une réalité sombre que les quelques milliers d’habitants subissent, tétanisés. Eux qui ont perdu tout espoir en un avenir meilleur. En effet, leur déception est grande et la majorité pense avoir été délaissée particulièrement après les promesses faites au lendemain des attentats qui n’étaient, estiment-ils, qu’un simple coup médiatique sans plus.
La métamorphose de Sidi Moumen dix ans après les attentats, n’a, semble-t-il, rien changé à leur quotidien fait de pauvreté, d’exclusion voire de misère. Si la commune de 47 km2 pour une population de plus 350.000 habitants, a connu la mise en place du tramway et des abribus ainsi que  l’électrification, le raccordement en eau potable de certains bidonvilles et l’installation du réseau d’assainissement, rien par contre n’a été fait pour combattre le chômage des jeunes qui vivent des petits métiers (ventes des cigarettes en détail, cireurs de chaussures ou trafics en tous genres). « Les projets pour cet  arrondissement sont nombreux, mais les effets restent limités voire insignifiants sur la vie de la population. Sidi Moumen compte aujourd’hui des dizaines d’associations qui œuvrent dans tous les domaines. Mais aucune n’a créé un vrai projet pour la population, à part la distribution des triporteurs et la mise en place d’ateliers de modélisme et couture destinés aux femmes », a-t-il conclu.


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