Guerre de Gaza : Dommages collatéraux


Mohammed Bakrim
Mercredi 14 Janvier 2009

Le ridicule ne tue pas; mais à ce rythme  ce ne sera pas pour longtemps: la guerre actuelle au Proche-Orient joue aussi hélas comme un révélateur du ridicule en passe de devenir l’horizon incontournable de la société de non-sens qui semble être la nôtre. Un exemple pour commencer pris tout à fait à l’improviste du zapping: lundi soir, c’est le jt d’une grande chaîne française; le sujet est bien sûr la guerre à Gaza reléguée avec le temps à la cinquième position dans l’ordre du conducteur établi par la rédaction.
Le thème cette fois est le recours de l’armée israélienne aux bombes à phosphore. Un débat surréaliste s’ensuivit entre le présentateur du jt et  le porte-parole du gouvernement de Tel Aviv: débat sémantique sur les mots à utiliser “bombe interdite” ou “illégale” ou à “usage modéré” puis le journaliste annonce la requête du gouvernement français “ami d’Israël”: prière de ne pas utiliser des bombes qui font mal “sic” aux civils. On peut mourir d’une bombe mais il ne faut pas que cela fasse souffrir…un vrai cauchemar.
Il y a beaucoup de dommages collatéraux, beaucoup de souffrance autour de cette sale guerre qui est en elle-même un exemple du non-sens généralisé: bien malin qui peut nous dire quels en sont les protagonistes réels. Entre Israéliens et Palestiniens? Quels Palestiniens? Si le monde entier s’accorde à reconnaître à l’Autorité palestinienne légitimité et légalité, pourquoi refuse-t-on d’entendre cette même autorité quand elle appelle à l’arrêt de cette guerre absurde? Quand elle affirme sur les ondes que ce n’est pas de la résistance que de faire du martyr un choix stratégique? Pourquoi personne n’écoute Mahmoud Abbas quand il dit qu’il faut arrêter d’envoyer des enfants au massacre?  Qui peut dire autre chose que ce que nous servent les médias de propagande?
 Ce soir, la deuxième chaîne  marocaine organise un débat autour du sujet en lui consacrant l’émission de Jamaâ Goulahcen. Enfin sommes-nous tentés de dire. Mais reste à savoir quels sont les angles qui seront privilégiés, la marge de manœuvre accordée aux uns et aux autres pour donner aux citoyens les indications pour se forger une opinion sereine sur le sujet. Mais, remarqueront certains, le mal est profond, les dégâts des images médiatisées sont telles qu’il n’y a pas d’opinion à se faire mais des convictions et des croyances à galvauder.
Les dommages des attaques de Tsahal ne sont pas seulement ces statistiques macabres devenues l’exercice favori des journalistes “embarqués”. Oui, les dommages collatéraux des missiles lâchés sur Gaza ne sont pas seulement ces cortèges de cadavres d’enfants que certaines chaînes transforment en programme d’appel, en générique et en images d’accroche; les dommages sont surtout culturels enfonçant nos société dans une vision du monde ahistorique.
Gaza est devenue la métaphore globale de notre retard historique. Gaza, la figure même de la marginalisation, est devenue par la convergence des intégristes des deux bords l’horizon de notre projet de société: nous renforcer dans notre position de résident de la banlieue en marge de la cité universelle. Le comble du ridicule n’est-il pas ces discours qui crient à la victoire au moment même où la débâcle militaire se double d’images d’humiliation et de détresse de tout un peuple? Qui peut nous dire quelle est la stratégie de Hamas en la matière? Sommes-nous réellement dans une logique de mouvement national en bute à une force d’occupation? Tout hélas indique que nous sommes en présence d’un autre schéma qui puise ses références dans une autre approche du monde. Hamas n’est pas un mouvement national, de type  FLN que nous avons connu en Afrique par exemple. Ses finalités sont extra-nationales; ses motivations transcendent le profane au bénéfice du sacré. Du coup, c’est la confrontation de deux référentiels qui appartiennent à des univers opposés. Pour Hamas, il est primordial de déplacer constamment la lutte dans la sphère symbolique où la règle est celle du défi, de la surenchère, du verbe éloquent et des images fortes (la dernière en vogue est celle du cortège de cadavre d’enfants reprise en boucle par les médias compatissants et reproduites par la masse des partisans dans la Oumma).
Dans cette logique, la mort reste l’arme absolue pour défier le système d’en face. Renvoyer en permanence la mort comme défi pour acculer l’autre à réagir par la mort.
Une obligation symbolique qui enferme dans un cercle infernal. Défier par la mort pour obtenir la mort de soi en postulant celle de l’autre.  La tactique de Hamas consiste à inonder le monde de symboles (de martyrs) pour provoquer une overdose sémiotique du système.
Et nous? Et nous? Comment dire notre solidarité en nous distinguant de cette apologie mythologique de la mort? C’est l’un des enjeux politiques qui interpellent en particulier les partis de gauche: comment rester citoyen d’une nation qui a des échéances à respecter, des objectifs de développement à atteindre tout en agissant activement contre la guerre? Un lycéen qui casse le matériel pédagogique de son établissement contribue-t-il à la victoire de la cause palestinienne ou crée-t-il les conditions pour perpétuer son séjour dans la banlieue du monde?
Nos intellectuels, nos élites politiques ont un devoir en la matière de dire ce que devrait être une approche citoyenne de la solidarité. Celle-ci est d’abord l’émanation d’un référentiel de valeurs. Il y en a au moins trois qui nous paraissent fondamentaux: la solidarité sur la base des valeurs universels de l’humanité; les principes et les pactes internationaux; les intérêts stratégiques de notre pays. Tout le reste c’est de la métaphysique.


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