Forum de Fès : Des intellectuels font un procès public au monde de la finance


Libé
Jeudi 14 Juin 2012

Un moment à l'abri de toute velléité ou critique, le monde de la finance est désormais accusé de tous les maux de l'humanité, dont la cause a été plaidée, mardi à Fès, par des penseurs et des intellectuels ayant fait le procès du capitalisme dans un panel intitulé "Crise financière ou crise de civilisation?".
D'emblée, l'essayiste altermondialiste Patrick Viveret s'est livré à une mise en contexte de la problématique: le monde de la finance commence à douter de ses capacités comme le démontre la crise de confiance à l'égard du système bancaire.
Quand il s'est retrouvé en danger, le système financier s'est retourné vers l’Etat, qui n'était plus considéré comme une solution depuis des lustres, a-t-il ironisé, notant que cette situation a conduit à remettre en cause le socle de croyance ayant présidé aux 35 dernières années de l'économie ultralibérale, initiée par le président américain Ronald Reagan et le chef de gouvernement britannique Margareth Thatcher.
"A partir de ces deux rapports confiance-croyance, il est nécessaire de penser nos crises financières comme des crises religieuses pour mieux penser la sortie de crise", a-t-il résumé. D'où son appel pour travailler à une civilité mondiale qui doit être co-construite à partir d'un dialogue des civilisations.
Censé être ouvert et exigant, le dialogue doit être organisé de manière à tirer le meilleur de la modernité et le meilleur des sociétés de traditions, a proposé l'auteur de "Reconsidérer la richesse".
Rebondissant sur l'idée de la dualité confiance-croyance, la professeur de droit public international, Assia Bensaleh Alaoui, a relevé que ce paradigme n'a pas attendu la crise financière pour se manifester, car il s'est déjà exprimé sous la forme du "retour du religieux".
Elle trouve assez réducteur de parler uniquement de crise financière, parce qu'"on est confronté à une cascade de crises, entre autres, alimentaire, énergétique et écologique". D'après son analyse, il s'agit de poser des questions sur la capacité de l'Etat à répondre aux attentes "démesurées" des citoyens avec la baisse drastique des aides au développement et la vulnérabilité aux crises.
A ce niveau, Mme Bensaleh aperçoit une inadéquation entre la capacité (des Etats) de faire et de satisfaire, parce qu'il y a à la fois des temps économique, politique, culturel, énergétique... Par conséquent, il faut réfléchir au moyen de faire le lien entre ces temps ou comment revenir à un homme avec une raison d'être.
Plutôt réaliste, le penseur Tariq Ramadan, qui a critiqué sévèrement l'hypocrisie du capitalisme, a reproché aux humanistes d'être "rêveurs" quant au diagnostic, puisqu'ils font le constat de l'indignation sans apporter de réponses aux problèmes.
Il a invité à un échange serein autour des moyens, des principes, des priorités et des objectifs sur lesquels "on veut se baser, tout en œuvrant à concilier tradition et modernité et intégrer les notions de dignité, de justice, d'égalité et de liberté dans cette quête de salut face aux crises répétitives du modèle libéral".
Pour ce faire, il suggère de travailler sur trois pistes. Premier point, il s'agit de réformer le système éducatif en enseignant la philosophie de l'homme et en intégrant le religieux, mais dans le sens de la philosophie. Ensuite, il faut développer une philosophie du pluralisme, à l'opposé du concept de civilité universelle proposé par Patrick Viveret. Enfin, il prêche pour une éthique qui questionne les finalités et qui guide les priorités.
Le Forum de Fès "Une âme pour la mondialisation", sorte de Davos spirituel du Festival des musiques sacrées du monde (8-16 juin), s'est clôturé, mardi, après quatre jours de réflexion sur les "causes profondes des mutations qui traversent le monde actuel, tant sur un plan idéologique que politique et social".
Au fil des journées du Forum, qui a invité des intellectuels de divers horizons, la thématique centrale a été décortiquée en sujets aussi poétiques que profonds portant, entre autres, sur le "Printemps arabe", spiritualité et entreprise, crise financière ou crise de civilisation et enfin la voie vers une politique de civilisation.


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